Jean Boudou. Sur le chemin de l’or
Le Viaur. La via aurea. Le chemin de l’or. Celui emprunté par le drac facétieux, les trèves, les fadas et les fachilières. Ce petit peuple de la marge. Celui qui vit sur la limite (la talvera). Que raconte si bien l’Albanie. Une Balssa dont on dit qu’elle est une lointaine parente de l’immense Honoré de Balzac. Et le petit Jean, blotti contre le jambage de la cheminée, écoute sa mère dans l’éclatement des braises. Dans la nuit profonde descendue sur la ferme de Crespin. Le père, silencieux, écoute. Un taiseux, Cyprien Boudou. Celle qui raconte et celui qui se tait façonne le regard et l’esprit du môme. Lui dessinent un monde fantastique. Un monde qui s’imprègne en lui et qui marquera tant son œuvre comme une restitution d’un manque et d’un besoin de le retrouver.
Le gamin entend cette langue familière. C’est-à-dire familiale. Celle qui lui parle. Celle qu’il veut parler. Celle interdite d’expression dans les écoles. Ce lieu consacré à la connaissance et à l’ouverture devient lieu d’oppression pour l’enfant Boudou. Qui préfère se taire. Et écrire pour lui. En langue d’oc. Son choix de langue. Comme son maître et ami Henry Mouly. Son déterminateur. Comme l’abbé Justin Bessou ou Calhelou, sa consoeur institutrice. Paraissent « Contes del meu oustal » (1951) ; « La grava sul camin » (1955) ; « La Santa Estéla del Centenari » (1960) ; « Lo libre dels Grands jorns » (1964) ; « Lo libre de Catờia » (1966) ; « La Quiméra » (1974) et « Los Contes del Drac » (1975). Et qu’importe si cette langue n’est pas celle des salons et des prix littéraires !
Le cours de la vie de Jean Boudou est fait de voyage. Long ou court. Contraint ou désiré. « Je me suis tellement déplacé que je n’avais pas une minute », écrit-il le 14 juin 1942. Crespin, Naucelle et le cours complémentaire. Rodez et l’Ecole normale. Quand on a 20 ans sous Pétain et Vichy, s’imposent les Chantiers de jeunesse. « Nous n’avons même pas le temps d’être jeune », rappelle Jean Boudou en janvier 1946. Préambule au départ pour le S.T.O. Pour Jean Boudou, ce sera Breslau, dans la lointaine Silésie. Libéré par les Russes, il en sort moralement et durablement marqué. Dix ans lui seront nécessaires pour écrire « La grava sul camin », qui raconte sa vie en Allemagne et la difficulté de se réadapter à la vie, après être sorti de l’épreuve. « Le temps passé en Allemagne s’est écoulé très lentement. » (6 juillet 1947). Castanet, Saint-André-de-Najac, Durenque, le Mauron de Maleville en 1949, l’enseignant agricole itinérant pose ses bagages à Saint-Laurent d’Olt de 1955 à 1968. Un intermède d’une année à Clermont-Ferrand avant le départ pour un collège agricole du quartier de l’Arbatach, à Alger, pris dans la souffrance d’un homme seul, que personne ne peut comprendre. Préférant s’éloigner plutôt que d’être accaparé. Homme solitaire et méprisé dont la vie n’est que drame et qui crie sa douleur intérieure en écrivant. Incompris parmi les incompris. Complexe dans sa personnalité et dans son écriture. Jusqu’à sa mort le 24 février 1975, dans un taxi qui le mène vers l’hôpital, souffrant de problèmes respiratoires qui lui provoquent de fortes crises d’asthme. Alors, il aurait pu écrire comme Baudelaire :
« C’est la Mort qui console, hélas ! et qui fait vivre :
C’est le but de la vie, et c’est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le cœur de marcher jusqu’au soir. »
Boudou goûte à l’engagement militant pris comme une marginalité politique. Sans bannière derrière laquelle défiler. Sans parti et leader charismatique. En d’autres temps, il aurait été cathare, croquant du Rouergue, camisard, enfariné. Avec les hérétiques ou les sorciers. En son temps, avec ceux qui, au fond de la mine, à Decazeville, ne veulent pas céder leurs pics et leurs pioches. A eux, il leur offre « Les carboniers de la Sala / Occitans sens lo saber / Cantan l’internacionala / …La cançon del desespèr / del punh sarrat que se lèva / Saludem l’acordeon / Qual compren la nòstra grèva ? (« Mineurs de Decazeville / Occitans sans le savoir / Chantent l’Internationale / … La chanson du désespoir / Du point fermé qui se lève / Saluons l’accordéon / Qui comprend notre grève ? »)
Il est de ceux et de celles, à l’Institut d’Etudes Occitanes qui se battent pour la survie de la langue d’oc. Pour continuer à la transmettre. Comme l’a fait sa racontaïre de mère. Il est encore avec ceux qui, sur le Larzac, dans les années 1970, refusent de perdre leurs terres. De ne plus voir le soc de la charrue tracer le sillon. Son engagement, c’est la lutte contre l’oppression !
Son œuvre complète a été rééditée en français par les Editions du Rouergue et en occitan par Ideco. Aujourd’hui, à Saint-Laurent, un petit musée rappelle son passage comme instituteur. A Crespin, une plaque a été apposée en 1985 sur sa maison natale, qui dit : « Es sus la talvéra qu’es la libertat » (« C’est sur la limite que se trouve la liberté »). Le 22 mai 2010, le président du Conseil général inaugure l’ostal Joan Bodon à Crespin.
A lire :
GINESTET, Joëlle, Jean Boudou. La force d’aimer. Editions Praesens, 1997
PORNON, Francis, En Algérie sur les pas de Boudou. Carnet de voyage, Vent Terral, 2011
SOULIE, Rémi, Les chimères de Jean Boudou, Fil d’Ariane Editeur, 2001


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