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Jean Galtier-Boissière. L’âme du Crapouillot

Crapouillot : petite pièce d’artillerie utilisable pour lancer des grenades dans les tranchées adverses. Arme qui évoque la silhouette d’un crapaud à la gueule ouverte et menaçante. Voilà pour la définition officielle. Mais Le Crapouillot, c’est aussi l’un des plus célèbres « canards » sortis des tranchées, qui réussit à survivre, la paix revenue. Une « feuille de choux », à l’encre acide de l’humour noir, due à la plume de Jean Galtier-Boissière. Un Parisien pur sucre, né le 26 décembre 1891, mais dont la souche paternelle prend racine sur le domaine de La Boissière, commune de Marnhagues, dans le Sud-Aveyron. Son grand-père, d’extraction noble, portait encore le nom de Pierre-Galtier de la Boissière-Mazarin de Montagnol-Rivesaltes. Quand on a 20 ans en 1911, après une année de philosophie à la Sorbonne, on se doit d’accomplir deux ans de service militaire. Manque de chance pour cette classe 1911, en 1913, le service militaire est rallongé d’une année. Et de trois pour le jeune Galtier-Boissière qui ne sait pas encore qu’il demeurera sous les drapeaux jusqu’en 1918. Sept années où sa jeunesse s’étiole dans la discipline militaire et dans l’horreur des combats. De quoi laisser s’épancher sa gouaille naturelle dans des articles qui mettent à mal les planqués de l’arrière, la hiérarchie militaire trop encline à utiliser les pious-pious comme de la chair à canon. Un premier numéro sort en août 1915, diffusé dans les tranchées mais aussi à l’arrière, grâce au concours de son père, qui en assure l’édition et la distribution. La censure, « Madame Anastasie », veille et Le Crapouillot subit à de multiples reprises les foudres du contrôle de l’information.

Arrive la paix. Jean Galtier-Boissière rendu à la vie civile, décide de transformer son journal des tranchées en une revue littéraire et artistique tout en conservant son ton caustique et ironique. A cet égard, le premier numéro de la paix ne laisse planer aucun doute sur son indépendance d’esprit : « Et maintenant au travail » titre ce numéro de janvier 1919, agrémenté d’un dessin de poilu amputé des deux jambes. Attirés par cette liberté de pensée, plusieurs écrivains de renom (Francis Carco, Pierre Mac Orlan, Henri Béraud) prêtent leur plume au Crapouillot. Ce qui vaut au journal satirique un public fidèle mais aussi une flopée de procès : une quarantaine en quarante ans d’existence. Par chance, l’achat au bon moment d’actions du pétrole russe permet à son directeur d’en assumer les coûts. Spéculation que Jean Galtier-Boissière tient secrète, lui préférant une version plus en rapport avec sa revue : « Petit joueur aux courses du P.M.U., j’ai repéré que les journaux du turf pronostiquaient des chevaux qui gagnaient rarement. Alors je me suis mis à parier gros sur les tocards… et ça marche ! »

Au fil des événements de l’entre-deux-guerres et des scandales politico-financiers qui égrènent la fin de la IIIème République – dont le plus connu est l’affaire Stavisky – Le Crapouillot évolue, traitant de grands thèmes d’actualités. Jean Galtier-Boissière, dont la plume ne s’épuise jamais, écrit plusieurs romans (« La Bonne Vie », « La Fleur au fusil », « La Vie de garçon »…) et collabore à diverses publications au ton semblable à sa revue. Notamment au Canard Enchaîné, autre journal issu des tranchées, au sein duquel il retrouve son ami Henri Béraud. Jusqu’au jour où ce dernier adhère aux thèses d’extrême-droite, devenant le directeur de rédaction de Gringoire. Condamné à mort à la Libération, Béraud évite le peloton d’exécution grâce à l’intervention de plusieurs écrivains dont Jean Galtier-Boissière auprès de général de Gaulle, la vieille amitié passant avant les idées politiques.

Durant la Seconde Guerre mondiale, Le Crapouillot est mis en sommeil par la volonté de son créateur, lui-même se réfugiant à Barbizon. Il ne reparaitra qu’en 1948, se nourrissant désormais de sujets historiques passés et présents et de sujets plus légers et donc d’une plus grande audience.

L’équipe du Crapouillot fréquente désormais le boulevard Saint-Germain et, plus particulièrement, le « Bar de l’Institut », tenu par un bougnat aveyronnais bon teint, Albert Fraysse, siège aussi du photographe Robert Doisneau et du poète Jacques Prévert.

Le temps vient où Jean Galtier-Boissière, repus des jeux de la polémique, songe à la retraite. En 1965, il cède sa revue à l’éditeur Jean-Jacques Pauvert. Le Crapouillot survivra encore une vingtaine d’années avec des fortunes diverses et des changements fréquents dans sa direction. La publication évoluera vers des thèmes politiques sous l’influence de plus en plus grande des partis d’extrême-droite. L’ultime numéro paraîtra au mois d’octobre 1996. Jean Galtier-Boissière est mort depuis trente ans !

A lire :

GALTIER-BOISSIERE, Jean, Mon journal pendant l’Occupation, Libretto, 2016

GALTIER-BOISSIERE, Jean, Mon journal depuis la Libération 1944-1945, Libretto, 2016

GALTIER-BOISSIERE, Jean, Mon journal dans la Drôle de paix, Libretto, 2017

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