Jean-Louis Alibert. Le médecin à fleur de peau
Né sous la monarchie absolue de Louis XV (2 mai 1768) ; décédé sous celle de juillet (4 novembre 1837), celui qui entretemps (31 octobre 1827) est devenu le baron Jean-Louis Alibert par la bonne grâce du roi Charles X, a survécu à tous les régimes politiques depuis l’avènement de la Révolution française. Autant dire que ses opinions sont toujours restées très réservées vis-à-vis des pouvoirs en place même s’il n’est guère risqué d’affirmer qu’elles penchent en faveur de la monarchie. Homme de compromis sans doute, qui lui permet d’accéder aux plus hautes responsabilités médicales et de poursuivre sans contraintes ni entraves à sa liberté, ses recherches sur la dermatologie.
L’enfant de Villefranche-de-Rouergue, qui voit le jour au N° 10 de la rue Prestat, est issu d’une famille aisée de la bourgeoisie, son père exerçant la fonction de conseiller au présidial de la cité. Elève studieux des pères de la doctrine chrétienne, dans la Perle du Rouergue puis à Toulouse dans le cadre du noviciat, il exerce ensuite dans sa ville natale comme professeur de lettres quand éclate la Révolution et l’interdiction des congrégations à enseigner. Un tournant pour Jean-Louis Alibert qui l’incite à monter à Paris pour intégrer l’Ecole normale nouvellement créée. Pour peu de temps, l’Ecole étant fermée au bout de cinq mois par les autorités. Dans la fièvre politique que connaît la capitale, il fréquente aussi le salon d’Auteuil et goûte à la littérature et à la philosophie. Il se lie d’amitié avec le physiologiste Georges Cabanis qui lui conseille d’intégrer la première Ecole de Santé, ouverte en 1794. Cinq ans d’étude plus tard, sous l’influence de son maître, le médecin Philippe Pinel, il présente sa thèse sur la « Dissertation sur les fièvres pernicieuses et ataxiques intermittentes ». Le début d’une carte de visite exceptionnelle tant pour ses futures fonctions que pour ses nombreuses publications scientifiques.
Médecin puis médecin-chef de l’hôpital Saint-Louis à Paris sous le Ier Empire, Jean-Louis Alibert rebondit sous la Restauration en devenant pas moins que le médecin ordinaire des rois Louis XVIII et Charles X. Cette nomination n’est ni le fruit du hasard ni de l’entregent politique. Si ses ouvrages font largement autorité (« Nouveaux éléments de thérapeutique et de matière médicale ». 1817 ; « Précis historique et pratique sur les maladies de la peau ». 1818 et « Physiologie des Passions ». 1823), c’est à l’organisation de la science dermatologique (description et classement des maladies de la peau ; riche iconographie) et plus encore à sa méthode d’enseignement novatrice qu’il doit réputation et reconnaissance. En effet, Jean-Louis Alibert adopte un nouveau langage médical basé sur la description. Ainsi peut-on le voir et l’entendre enseigner à Saint-Louis, tantôt dans l’amphithéâtre du pavillon Gabrielle, tantôt sous les tilleuls quand les travées débordent d’auditeurs. Laissons à Alfred Hardy, interne à Saint-Louis au temps d’Alibert d’évoquer ses cours : « Alibert écrivait bien, son style, un peu prétentieux, était élégant, clair, très correct ; il était également orateur, sa parole était facile, attachante mais son expression était exagérée ; il aimait les comparaisons, les images un peu forcées. (…) Ayant fait de fortes études littéraires, il aimait à citer les adages classiques, grecs ou latins et empruntait souvent à la mythologie des termes et des exemples qu’il appliquait plus ou moins heureusement et ses expressions étaient souvent d’un goût douteux ; c’est ainsi que je l’ai vu signaler à son auditoire et montrer à ses côtés “une jeune prêtresse de Vénus blessée par un trait perfide de l’Amour”, c’était une fille publique atteinte d’une syphilide. Une autre fois, il faisait examiner un jeune garçon “victime de la morsure d’un loup dévorant” ; il s’agissait d’un lupus tuberculeux ulcéré. Une autre fois, allant plus loin encore dans la plaisanterie, après avoir parlé d’un homme atteint d’un pemphigus foliacé dans le lit duquel on pouvait ramasser tous les matins une quantité considérable de squames, il montrait dans une boîte tout ce qu’on avait recueilli ce jour-là même de produits épidermiques et en même temps il déversait le contenu de la boîte sur la tête de ses auditeurs les plus voisins à la grande joie des élèves plus éloignés. (…) Sa parole vive, spirituelle, imagée, je dirai même sa mise en scène avait du succès parmi les étudiants ; les cours d’Alibert étaient renommés et on s’y donnait rendez-vous avec plaisir. (…) C’était un médecin instruit, aimant les élèves, cherchant jusqu’à la fin à les instruire. »
Considéré comme le père de la dermatologie française, le baron Alibert, tout en continuant l’étude des maladies cutanées – il publie à ce propos « Arbre des dermatoses » et « Description des maladies de la peau » – s’intéressent également aux eaux thermales en tant qu’inspecteur des eaux d’Enghien-les-Bains et surtout à la poésie. Une amitié profonde le lie à Marceline Desbordes-Valmore, chanteuse à l’Opéra-Comique mais aussi poétesse, qui lui dédie plusieurs vers. Lui-même s’essaie à taquiner la muse : « Poèmes sur l’émulation » et « Quelques réflexions sur les poèmes médicaux ».
Marié à Constance Barrois, fille d’un imprimeur parisien, qui décèdera rapidement après une courte vie commune, Jean-Louis Alibert est décrit comme un homme de « taille moyenne, un peu ramassée. (…) il avait un accent méridional très prononcé. Sa figure était agréable, bonne et cependant expressive et même un peu narquoise. Son linge était beau et renouvelé chaque jour ; cependant tout cela était mal arrangé. A peine était-il assis qu’il croisait ses jambes et s’essuyait ses pieds sur ses bas de soie blanc (…) Tout en parlant il chiffonnait sa chemise, son col, sa cravate ce qui lui donnait l’air un peu débraillé. Son caractère bon, facile et obligeant lui avait fait beaucoup d’amis véritables… ».
Terrassé par un cancer de l’estomac, Jean-Louis Alibert s’éteint à Paris à l’âge de 79 ans. Enterré au cimetière du Père-Lachaise, sa dépouille est ensuite transportée à Marin, près de Villefranche-de-Rouergue, où elle repose dans une chapelle construite à cet effet.
A lire :
ALFARIC, A., J.-L. Alibert fondateur de la dermatologie en France, sa vie, son œuvre [thèse de médecine], 1917.
BRODIER, L., J.-L. Alibert médecin de l’hôpital Saint-Louis, 1768-1837, Maloine, 1923
Busquet (P.), Les biographies médicales, janvier 1927.
Jean-Louis Alibert, 1768-1837. Fondateur de la dermatologie française, médecin chef de l’hôpital Saint Louis, Société des Amis de Villefranche et du Bas-Rouergue, 1987


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