La boîte de nuit tragique. Saint-Laurent-du-Pont. 1er novembre 1970
Un petit matin frais. Dans la brume se dissipant par lambeaux, le bus de Chambéry s’éloigne du théâtre du drame. La veille au soir, le chauffeur a déposé toute une bande de jeunes venus passer la soirée au 5/7. S’amuser. Draguer un peu. Faire la fête dans ces temps d’insouciance. Ce petit matin-là, de cette bande ne reste plus qu’un homme. Un survivant plutôt. Ou un miraculé. Les autres. Ses copains. Des anonymes peut-être ont laissé leur chair au feu de l’incompétence et de l’inconscience. Dans son rétroviseur, le chauffeur ne voit plus qu’un amas de poutres métalliques de ce qu’était encore, quelques heures plus tôt, la boîte à la mode de cette région rurale, entre Grenoble, Chambéry et Voiron : le 5/7 de Saint-Laurent-du-Pont.
Le 5/7, c’est une histoire toute récente naît dans la tête de trois jeunes du pays : Jean-Paul Reverdy, Jean-Louis Herbelin et Gilbert Bas. A l’origine, il existe bien, à Saint-Laurent-du-Pont, « La Guinguette », un petit établissement juste bon à faire danser les gens de la commune. Trop petit. Trop vieillot. Has been. Mais il faut bien faire avec quand la bourse est encore trop maigre. Du moins pour l’instant. Jean-Paul Reverdy achète le fond. Contacte ses deux amis. Le rock et la pop remplacent la musique à papa. Les décibels pleuvent les samedis soirs de fête. Sans compter les allées et venues. De quoi susciter la désapprobation du voisinage qui s’en plaint au maire. Mais il faut bien que les jeunes s’amusent. Et puis les trois associés sont des gars du pays. Le maire tente de raisonner les uns et les autres. La situation devient intenable. A la Guinguette, le public afflue toujours plus. Le succès appelle le succès. La solution : un terrain à l’écart du village, sans voisinage où les trois compères pourront créer une boîte de nuit moderne. Maire et voisinage acquiescent.
Les travaux débutent après l’obtention du permis de construire. Système D. Débrouille. Bricolage. Les trois associés veulent de l’original. De l’intimité. Du festif. La structure intérieure prend l’allure d’une grotte dont le décor est réalisé en polystyrène et polyuréthane. Des matières très inflammables. Et puis, on bidouille le permis de construire. Qui viendrait contrôler ? Les autorités administratives ? Certes, elles ont des devoirs. Mais ni la Préfecture, ni les pompiers, ni le maire de Saint-Laurent ne s’inquiètent. Aucun certificat de conformité délivré ; aucune inspection de prévention d’incendie. Quant au maire, il affirmera plus tard tout bonnement qu’il n’a jamais mis les pieds dans la boîte de nuit. Bref, le 5/7 ouvre son tourniquet au public le 28 mars 1970, soit moins de cinq mois après la délivrance du permis.
Ce 1er novembre 1970, comme chaque week-end, la foule est au rendez-vous. De toute la région mais aussi de Grenoble, de Chambéry ou de Voiron. Des jeunes essentiellement. Venus en voiture ou en bus, affrétés par la direction. C’est qu’en plus, ce soir-là, se produisent les Storms, un groupe parisien à la mode qui va mettre, dit-on, le feu. Deux cents cinquante personnes environ ont franchi le tourniquet à sens unique permettant l’entrée. Mais devant l’affluence, et pour éviter les petits resquilleurs, les gérants ont décidé de bloquer les portes de secours. A 1 h 30 du matin, ils sont encore près de cent soixante fêtards à virevolter sur la scène ou à boire un coup à l’étage, dans les parties plus intimistes de la boîte. Là où, à cette heure précise, se dégage une fumée jaunâtre. Le danger et les premiers cris se perdent en bas dans le bruit des décibels et de la fureur de vivre. La grotte de plastique devient en quelques minutes une boîte d’allumettes prête à s’enflammer. Une souricière quand du plafond coule des larmes brûlantes de plastique en fusion. Et tandis que Les Storms continuent à battre un rythme effréné, chacun se rue vers le tourniquet et les portes de secours qui restent désespérément fermées malgré les coups de poing et les hurlements de terreur. Enfin, l’ouverture d’une porte laisse présager un espoir mais l’appel d’air provoqué produit une explosion, accentuant la panique. Les corps, asphyxiés ou brûlés vifs, s’amoncellent les uns sur les autres. Le chaos a remplacé la fête. Le 5/7 est devenu un tombeau tragique. A leur arrivée, les secours découvrent des scènes d’horreur. Des corps calcinés. Méconnaissables. Il faudra plusieurs jours pour identifier les 142 corps âgés de 14 à 25 ans. Quatre corps resteront sans nom. Anonymes. Quatre victimes décèderont à l’hôpital. A Saint-Laurent, la salle de la mairie est transformée en chapelle ardente. Au petit matin, tandis que les derniers éléments du 5/7 finissent de se consumer, la France entière apprend le drame en même temps que des parents de victimes qui n’ont pas vu rentrer leurs enfants.
Devant l’ampleur de la catastrophe, le gouvernement décide, le 4 novembre, de suspendre le secrétaire de la préfecture de l’Isère et le maire de Saint-Laurent-du-Pont. Avant de les réintégrer le mois suivant, au grand désappointement des familles des victimes qui manifestent place de la Mairie. « Un maire, crie l’un d’entre eux, ça se remplace. Un enfant, non ! » Mais, entretemps, l’actualité a gommé le drame des pages des médias. Huit jours après l’incendie, à Colombey-les-deux-Eglises, le « grand Charles » s’est éteint. Le journal Hara-Kiri ironise : Bal tragique à Colombey : 1 mort. » Le 5/7 passe au second plan. Avant de revenir dans l’actualité le 9 octobre 1972 quand s’ouvre le procès au Tribunal correctionnel de Lyon. A la barre, un seul des trois gérants, Gilbert Bas, qui plaide coupable. Ses deux associés ont péri dans l’incendie. A son côté, le maire Pierre Perrin ; les deux installateurs de chauffage et le fournisseur de la matière plastique. L’enquête a révélé soixante-huit manquements aux règles de sécurité. Interrogés, les accusés fournissent des réponses peu convaincantes. Pourtant, le réquisitoire du procureur reste relativement clément, irritant les familles des victimes : deux ans de prison avec sursis pour Gilbert Bas. Dix à quinze mois pour les autres. Un second procès en appel, en novembre 1973, augmente la peine de Gilbert Bas : six mois de prison ferme et douze avec sursis tandis que le gérant de l’entreprise de plastique voit sa peine réduite de dix à quatre mois avec sursis. Par ailleurs, le tribunal accorde pour chaque victime, une compensation de 38500 francs.
Il reste désormais à l’association des familles des victimes d’entretenir la mémoire. Une nouvelle épreuve face à l’opposition du maire et d’une grande partie des habitants de la commune. Enfin, le 13 juin 1976, un monument aux morts des victimes est inauguré sur l’emplacement des ruines du dancing, démoli le mois précédent. Sans le maire ni la majorité des habitants de Saint-Laurent-du-Pont. A proximité, comme un symbole de l’inconscience humaine, a été placé le tourniquet sur lequel est posée une plaque : « Placés dans le hall d’entrée, ces tourniquets faits par des hommes inconscients et avides d’argent ont provoqué la mort de 144 enfants brûlés vifs le 1.11.1970. »
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