La Coupe de France est née dans les tranchées. 1918

Dimanche 5 mai 1918. Stade de la Légion Saint-Michel. Rue Olivier de Serres. XVe arrondissement de Paris. Deux mille spectateurs, parmi lesquels se mêlent autant de curieux que de supporters, se pressent autour de la pelouse pour assister à la première finale de la Coupe de France.

Paul Michaux, président de la Fédération des patronages et Henri Delaunay qui préside aux destinées du Comité Français inter-fédéral, l’ancêtre de la FFF, peuvent être fiers. En pleine guerre mondiale, alors que la plupart des footballeurs ont troqué leurs maillots pour enfiler le dolman bleu des pious-pious, ces deux férus de sport ont mis sur pied en quelques mois cette compétition qui doit se jouer par élimination directe. Certes, une grande partie du nord-est du pays, prise sous les bombardements, n’a pas pu participer. Certes, des clubs huppés, comme le Red Star, ont préféré s’abstenir tant que la guerre n’est pas terminée. Mais au final, ce sont bel et bien quarante-huit équipes qui se sont inscrites. Des équipes parisiennes surtout mais aussi de Toulouse, Marseille, Lyon, Cognac ou Auxerre. Auxquelles s’ajoutent deux équipes anglaises dont l’une sera rapidement disqualifiée.

Quelques mois plus tôt, les deux hommes se sont rendus chez l’orfèvre Chobillon, rue Croix-des-Petits-Champs, à Paris, pour lui commander un trophée à la mesure de l’événement. L’artiste a bien travaillé. Monté sur un socle marbré des Pyrénées, l’objet d’art pèse 3,150 kilogrammes d’argent pour une valeur avoisinant les deux mille francs.

Les deux présidents n’ont pas longtemps hésité à lui donner un nom, en hommage à leur ami et sportif Charles Simon, le père-fondateur du Comité Français Inter-fédéral, tué le 15 juin 1915 par un éclat d’obus.

Le 7 octobre 1917, la compétition débute par une phase éliminatoire. Six mois plus tard, les demi-finales opposent le CASG Paris, l’un des favoris à l’Olympique de Pantin, la surprise de la compétition avec le FC Lyon qui affronte l’AS Française. C’est que les deux « Petit Poucet » de la compétition se sont renforcés avec des joueurs étrangers dont le régiment stationne dans leur ville. Les Lyonnais ont notamment engagé un gardien exceptionnel, Carlos Mutti, uruguayen d’origine et légionnaire. Ce 3 mars 1918, il réussit à conserver ses buts inviolés et à qualifier son club pour la finale qui l’opposera au club amateur de Pantin, vainqueur du CASG Paris par deux buts à un.

Malheureusement pour les Lyonnais, à l’heure du coup d’envoi de la finale donné par l’arbitre Jacques Bataille – un nom qui ne s’invente pas dans le contexte de l’époque – Carlos Mutti est absent. Le légionnaire a quitté depuis plusieurs semaines la capitale des Gaules pour rejoindre le front et malgré la promesse d’une permission exceptionnelle accordée par l’armée, il demeure introuvable. C’est donc la mort dans l’âme que l’arrière central du FC Lyon, Paul Weber, se résout à enfiler les gants de gardien.

Outre l’excellente tenue d’une partie âprement disputée où les joueurs font preuve de ténacité plus que de technique, la finale est surtout marquée par le geste plein de panache et de fair-play du capitaine lyonnais Roger Ebrard. À l’arbitre qui vient d’expulser le gardien de Pantin René Decoux, coupable d’avoir frappé d’un coup de poing un joueur adverse, il demande de surseoir à sa décision, arguant du fait que son équipe ne veut pas jouer contre un adversaire réduit à dix. L’arbitre accepte. Finalement, l’Olympique de Pantin s’impose par trois buts à zéro dont un doublé d’Emile Fiévet qui devient, pour l’occasion, le premier buteur d’une finale de Coupe de France. Mais sans gardien de but, le sort du match aurait-il pu être changé ?

C’est à leur retour que les joueurs lyonnais  apprennent la raison de l’absence de leur gardien titulaire. Le légionnaire a fait parvenir une lettre à son président, s’excusant d’avoir abandonné son équipe pour un match si important mais expliquant les raisons de son choix. Son régiment, ayant été désigné le jour de la finale pour monter à l’assaut, il a préféré rester avec ses camarades de combat, la victoire de la France passant avant la victoire de son équipe.

Sa fin appartient à la légende du sport. Si l’histoire rapporte que le 1ère classe Mutti serait mort au combat, le jour même de la finale, les registres mentionnent la date de son décès, près de Gentelles (Somme), seulement le 26 août 1918.

La Coupe de France, elle, subsistera à la guerre. Près de cent ans plus tard, le trophée Charles-Simon, dont l’original est précieusement conservé dans un coffre de la FFF depuis 1967, fait toujours rêver petits et grands clubs.

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