La disparition du 5e bataillon  de Norfolk  

Au début de l’année 1915, pour soutenir la Russie en armement, face au blocus imposé par les Allemands et son allié ottoman, Français et Britanniques, soutenus par des troupes de l’ANZAC (Australian and New-Zealand Army Corps), après l’échec d’une opération navale, décident un débarquement aux Dardanelles.

Ce détroit se situe entre le territoire turc au sud et la péninsule de Gallipoli au nord dont la pointe s’avance dans la mer Egée, à l’ouest. Au nord-ouest de la péninsule se situe la baie de Suvla, théâtre d’une bataille au mois d’août 1915 durant laquelle se déroule une étrange histoire.

Ce 12 août, le 5e bataillon britannique de Norfolk, composé de 267 hommes, se porte au secours du corps d’armée ANZAC, à la cote 60 où il essuie le feu de l’armée turque. Les pertes sont terribles, tant du côté allié que turc. Une bataille parmi tant d’autres de la Grande Guerre mais qui rebondit, un demi-siècle plus tard, avec l’incroyable témoignage de trois vétérans néo-zélandais présents lors de ce combat. Voici ce qu’ils racontent : « Le jour se leva, très clair, visibilité parfaite… à part six ou sept nuages en forme de « miches de pain » – tous absolument identiques – qui s’aggloméraient au-dessus de la cote 60. Malgré une brise de six à sept kilomètres à l’heure venant du sud, ces nuages ne changèrent ni de position, ni de forme, pas plus qu’ils ne se dispersèrent sous l’effet du vent. De notre poste d’observation, à cent cinquante mètres d’altitude, nous les distinguions sous un angle de soixante degrés. Egalement stationnaire et reposant sur le sol exactement au-dessous de ce groupe de nuages, il y en avait un autre, analogue par la forme, mesurant environ deux cents cinquante mètres de long, sur soixante de haut et de large. Ce nuage était particulièrement dense, presque solide dans sa structure ; il se trouvait à une distance d’environ trois ou quatre cents mètres de l’engagement se déroulant sur le territoire tenu par les Britanniques. Tout cela fut observé par vingt-deux hommes des 1ère et 3e compagnies néo-zélandaises, depuis nos tranchées de l’éperon Rhododendron, à environ deux milles cinq cents mètres au sud-ouest du nuage rasant le sol. Notre emplacement nous permettait de surplomber la cote 60 d’une centaine de mètres. Il se révéla par la suite que ce singulier nuage enjambait le lit d’un cours d’eau à sec ou une route encaissée (Kaiajik Dere) et nous distinguions parfaitement les flancs et les extrémités du nuage reposant sur le sol. Il était de couleur gris clair, tout comme les autres.
Un régiment britannique, le 104e Norfolk, comprenant plusieurs centaines d’hommes, fut aperçu alors qu’il avançait le long de cette route encaissée ou lit de rivière en direction de la cote 60. Il paraissait se porter en renfort des troupes engagées sur cette position. Pourtant, parvenus à hauteur du nuage, les hommes pénétrèrent dans le rideau de brume sans marquer la moindre hésitation, mais aucun des soldats n’en sortit pour prendre part aux combats de la cote 60. Environ une heure plus tard, quand le dernier homme eut disparu dans le nuage, celui-ci se souleva de terre discrètement et, comme n’importe quel autre nuage ou banc de brume, s’éleva jusqu’à ce qu’il rejoignît les autres nuages du même genre déjà mentionnés au début de ce rapport. Pendant tout ce temps, ceux-ci avaient stationné au même endroit mais, quand l’insolite nébulosité du sol les eut rejoints, tous s’éloignèrent vers le nord, c’est-à-dire vers la Thrace (la Bulgarie). Au bout d’environ trois quarts d’heure, ils avaient tous disparu… »

Une analyse précise de ce témoignage révèle plusieurs erreurs : il ne s’agit pas du 104e Norfolk mais du 5e bataillon. La bataille ne s’est pas déroulée le 21 août mais le 12 août et, qui plus est, à plus de cinq kilomètres du lieu où se trouvent les Néo-Zélandais. C’est oublié également qu’en 1917 est publié un rapport intitulé « Final of the Dardanelles Commission » qui évoque des nuages reflétant les rayons du soleil, phénomène météorologique particulier pouvant faire penser à de la brume, phénomène assez courant dans cette région. Qui plus est, parmi les 267 soldats du 5e bataillon de Norfolk, 122 sont retrouvés enterrés le 23 septembre 1919. Pour les 145 manquants, la putréfaction des corps à l’air libre a dû provoquer leur disparition. Un soldat britannique raconte la vision d’un sol jonché de cadavres : « Nous parcourûmes un plateau au relief accidenté et couvert de thym, où gisaient environ 4000 cadavres de Turcs… Les morts recouvraient plusieurs hectares de terrain. Ils remplissaient les creux de terrain où poussait du myrte… » C’est ainsi que sur 34 000 Britanniques et soldats de l’ANZAC tués, 27 000 n’ont jamais été retrouvés.

Sans doute, au cœur du combat, les soldats du 5e bataillon de Norfolk ont-ils été pris dans un piège et décimés par l’armée turque, leurs dépouilles laissées à même le sol avant que certains soient enterrés. Nous voilà bien loin de la disparition étrange d’un bataillon tout entier, enveloppé par un mystérieux nuage que les passionnés de l’étrange et du fantastique se plaisent à raconter.

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