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« La fête des insultes » tourne au drame. Bron. 11 octobre 1711

Ce mercredi 21 octobre 1711, la foule se presse place des Terreaux, à Lyon. La veille, les bourreaux ont dressé la funeste roue vers laquelle s’avance maintenant, le corps droit et clamant son innocence, le sergent Thomas Michel Bel-Air, ancien commandant du pont du Rhosne. Sa faute : avoir, comme chaque soir, à heure dite, abaissé la barrière du pont, empêchant toute traversée. Mais ce jour-là, 11 octobre 1711, n’est pas un jour comme les autres. Dans la paroisse de Saint-Denis-le-Neuf, après avoir honoré le saint deux jours plus tôt, l’heure est au défoulement et à la ripaille. Une tradition née sans doute de l’Antiquité ou du Moyen Age où il est de bon ton d’insulter, quinze jours durant, noblesse et clergé avec force vin et victuaille. Un jour de liberté sans que clergé et autorités s’en émeuvent, quoique… ! Un grand défoulement qui ressemble aux défilés carnavalesques. « Tout ce monde : riches, pauvres, bourgeois, nobles, paysans, artisans, roturiers et hélas, tire-laine et vide-goussets, raconte l’historien Marcel Forest, se mêlait aux danseurs, jongleurs, saltimbanques, et autres bateleurs de place publique pour chanter, boire, manger jusqu’à la nuit tombée, à la lueur des lanternes, dans les nombreuses tavernes, auberges et gargotes. » Une foule joyeuse et bien imbibée du vin des vignobles de Bron et de Vinatier, estimée certains jours, à près de 40000 personnes, dont la seule exigence est de rentrer chez soi avant la fermeture du pont du Rhosne, unique passage permettant de rejoindre Lyon. Un pont étroit où la foule débordante s’engouffre ce soir-là quand, ainsi que le raconte l’historien et avocat Louis de Combes dans la revue Les Nouvelles Littéraires (1909), citant une source de l’époque : « … il survient malheureusement le carrosse de la dame servien, dame de la pardieu, laquelle après avoir attendu longtems s’impatienta. Elle voulut sortir absolument et traverser cette foule innombrable de peuple qui rentroit. Son cocher eut l’imprudence d’avancer sur l’entrée du pont, dans l’endroit le plus rapide et jusqu’au devant du corps de garde après avoir passé la barrière qui est la première de costé de la ville. Deux autres carrosses qui rentroient se trouvèrent précisément à gauche dans le même endroit à six heures et quart et quelques minutes. Et ce fut alors que commença le funeste accident… la quantité extraordinaire de peuple qui se pressoit d’entrer poussèrent violement le dernier des deux carrosses venant de la Guillotière. Les chevaux de celuy de la dame de Servien, fouettez par son cocher pour prendre la sortie de la porte, furent un obstacle à ce nombres de personnes qui se précipitant les unes sur les autres firent abattre un des chevaux ; celuy-ci avec la foule entraina l’autre, en sorte que le passage s’estant presque entièrement bouché, les chevaux étouffés dans l’instant et étendus au travers du passage, le carrosse versé sur la droite du corps de garde, cette foule incroyable ayant trouvé une résistance considérable, se trouvant d’ailleurs extrêmement poussée par ceux qui étoient derrière, il n’est pas étonnant que dans la nuit tombante où à peine voyait-on ce qu’il y avoit devant soy, quatre ou cinq cent personnes tombant ou culbutant en quelques manière tout à la fois dans cet endroit, s’embarrassant entre les carrosses et les chevaux, chacun songeant à se tirer de la presse, le désordre, la confusion et l’entrelassent ayant esté si monstrueux et que tous ceux qui approchoient dans cet endroit soient tombés les uns sur les autres… ».

« La fête des insultes » tourne au drame. 241 victimes sont relevées dont 216 par écrasement et 25 par noyade. 130 corps sont enterrés dans une fosse commune du cimetière d’Ainay, faute d’avoir été réclamés par leur famille. La justice, expéditive, reprochera seulement à la dame Servien d’avoir « voulu faire reculer des milliers de lyonnais pour lui livrer passage », reportant son glaive sur le sergent Bel-Air, victime expiatoire de ce drame. Il se dit aussi que la dame en question, accablée de remords, fit don à l’hôpital du Rhosne, de son domaine de la Partdieu. Quant à « la fête des insultes », elle perdurera jusqu’en 1811, date de son interdiction par l’archevêque de Lyon Mgr Fesch, outré par les insultes, dit-on, proférées à son égard par ses paroissiens. Mais que ne dit-on pas…

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