La révolte tragique des Croquants du Rouergue. Mai 1643

« Jean Petit qui danse / De son pied il danse / De son pied, pied, pied / Ainsi danse Jean Petit… » Cette comptine, que chantent les gamins des écoles primaires, illustrerait – car rien n’est moins sûr – le destin tragique de Jean Petit, l’un des trois chefs, avec Lafourque et Lapaille, des Croquants du Rouergue qui se soulèvent en 1643 dans la région de Villefranche-de-Rouergue, sous la régence d’Anne d’Autriche et de son ministre Mazarin.

En ce temps-là, Villefranche-de-Rouergue est la plus peuplée et, sans doute, la plus dynamique des cités du Rouergue. Mais, alentour, la misère ronge les paysans dont les récoltes sont compromises par six années d’intempéries climatiques. Ces calamités coïncident avec une situation politique catastrophique pour la France, éreintée par les luttes qui déchirent catholiques et protestants.

Circonstance aggravante : la lourdeur des impôts dont le chiffre vient de doubler en l’espace d’un an ! La colère des petits paysans est à son comble lorsque se répand la rumeur : les Fermiers Généraux du Bas-Rouergue sont soupçonnés d’augmenter la taxe royale afin de mettre la différence dans leurs poches.

Les consuls de Villefranche envisagent l’envoi d’émissaires à Paris pour informer le pouvoir afin qu’il mette fin à cette supposée malversation. Or, M. de La Terrière, intendant de Guyenne dont l’accord s’avère indispensable, s’oppose formellement à cette démarche.

Ce refus a pour effet de grossir le clan des mécontents qui s’organise à l’initiative de quelques Villefranchois solidaires de la cause paysanne. L’un d’entre eux s’en prend publiquement à un receveur des Tailles, M. de Pomairols qui, croyant ses jours en danger, dégaine son épée et blesse légèrement son contradicteur. Menacé par les témoins de l’altercation, M. de Pomairols s’enfuit de la ville pour trouver refuge auprès de M. de La Terrière. Lequel prend aussitôt la décision de « juguler un mouvement subversif avant qu’il ne prenne de l’ampleur ».

Rassemblant des gens d’armes à pied renforcés par une centaine de cavaliers, l’intendant les conduit à Villefranche pour y prendre position à la date du 23 mai. La décision effraye consuls et notables de la bastide tandis qu’elle incite les contestataires à passer à l’action.

Tout est prêt pour un affrontement qui, jusqu’à la fin de l’été 1643, va embraser le Bas-Rouergue.

Les Croquants s’organisent autour de trois chefs villefranchois : Bernard Calmels, plus connu sous le sobriquet de Lafourque, exerce la profession de sellier. Guillaume Brasc (dit Lapaille) est maître-maçon. Quant à Jean Petit, sa fonction sociale est plus floue. Il possède une sorte d’officine où il dispense à quelques jeunes étudiants de mystérieuses notions touchant à la médecine. D’aucuns lui accordent volontiers « des qualités équivalentes à celles des chirurgiens ».

Les premiers affrontements entre les troupes royales et cette armée de « gueux » qui n’ont que leurs faux pour se défendre ou attaquer tournent à l’avantage des troupes de Jean Petit. Plus d’un millier se présente devant Villefranche pour y mettre le siège avant de pénétrer dans la bastide. L’intendant De La Terrière, craignant pour sa vie, se voit obligé de céder aux revendications de Jean Petit et des Croquants : « annuler les charges avancées pour l’exercice présent et calculer celles à venir selon les barèmes appliqués en 1618 ». Libéré, il quitte Villefranche, bien décidé à se venger de cet affront. Avertis de la situation, Anne d’Autriche et Mazarin s’inquiètent d’un mouvement qui pourrait s’étendre à d’autres provinces du royaume. Aussi, exige-t-elle du sénéchal du Rouergue, le duc de Noailles, d’aller régler ce conflit. Celui-ci arrive à Villefranche le 27 juillet 1643, rencontre les chefs Croquants et tente de les amadouer. L’important est de gagner du temps en attendant des renforts.

Dans la nuit du 19 au 20 septembre, des troupes de fantassins et de cavaliers pénètrent dans Villefranche. Quand Jean Petit et les Croquants s’en rendent compte, il est trop tard. Jean Petit est arrêté. Lapaille, qui s’est caché chez une amie, est dénoncé et rejoint Petit en prison. Cette double capture porte un coup fatal aux Croquants. Reste Lafourque parti en mission dans le Quercy et l’Auvergne. M. de Noailles est satisfait. Expert en la matière, il a réussi à gagner du temps en pratiquant un double jeu perfide.

Les Croquants, cependant, ne s’avouent pas vaincus. Rassemblés sur les hauteurs de Macarou, ils battent le rappel. Le tocsin sonne dans toutes les paroisses du Bas-Rouergue. Le mercredi 23 septembre et le lendemain, l’étau se resserre autour de la ville. Les assaillants campent sous les remparts, bien décidés à les forcer pour aller obtenir la libération des deux prisonniers. Le sénéchal sachant qu’il a de quoi résister à un siège, se garde d’aller provoquer les Croquants hors les murs. Le duc de Noailles préfère recourir à la ruse. Il négocie une trêve jusqu’au 25 septembre avec les assiégeants. Durant ce temps, Lafourque est revenu et exige la libération de ses deux amis. Refus du sénéchal.

Le 1er octobre, la sortie de deux escadrons de cavalerie sème la terreur parmi les Croquants. Leur troupe est décimée. Pendant, ce temps, s’ouvre le procès de Jean Petit et de Lapaille, condamnés à mort et roués vif le 8 octobre. Trois de leurs complices sont pendus. La plupart des révoltés abandonne les armes. Quelques irréductibles se replient à Najac, Lunac, Vabre et Sanvensa dont ils sont délogés. Lafourque, de son côté, entreprend de gagner Najac à la tête d’un commando. Des émissaires sont envoyés par M. de Noailles pour négocier sa reddition. Lafourque accepte de se rendre à Villefranche le 11 octobre. Arrêté, il est jeté dans un cachot du château de Najac puis roué vif, le 20 octobre 1643. Sa tête tranchée est exposée « pour l’exemple, à l’attention de la population »…

C’en est fini de l’épopée des Croquants qui sombre, après six mois de luttes héroïques, dans une sanglante répression.

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