La tuerie d’Aubin. 8 octobre 1869
Il y a les dures conditions de travail imposées aux femmes et aux enfants – ils sont 372 en 1863 travaillant douze heures par jour pour charger les hauts fourneaux, au triage et au lavage du charbon. Puis ce mouvement de grève d’octobre 1867 – le premier dans le Bassin alors que le droit de grève est reconnu depuis 1864 – qui voit les mineurs de Bourran s’en prendre au directeur Rouquayrol et l’obliger à démissionner. Responsable de la colère des mineurs : une baisse de 15% du prix des fers qui amène le directeur de l’usine à prélever une retenue de 0,10 cts par tonne sur les ouvriers extracteurs. Un conflit qui passe presque inaperçu mais révélateur des tensions entre ouvriers et direction. Le Journal de l’Aveyron évoque seulement « quelques désordres qui ont éclaté à Decazeville… Tout cependant est rentré dans l’ordre grâce à l’intervention des autorités locales qui ont su faire entendre raison aux ouvriers. Le Préfet de l’Aveyron s’est rendu sur les lieux et sa présence a puissamment contribué à ramener le calme ». Calme éphémère ! Car l’action fait boule de neige à Viviez, à Firmy puis aux puits de Rulhe et de Campagnac.
En cette année 1869, après 18 ans de pouvoir sans partage issu du coup d’état du 2 décembre, le régime napoléonien accorde quelques libertés, notamment celle autorisant les Républicains à présenter des candidats aux élections législatives de juin, face aux « candidats officiels ». Quelques mois plus tôt, une grève a éclaté chez les ouvriers tanneurs et corroyeurs de Creissels pour des augmentations de salaire, entraînant la condamnation de dix grévistes (15 jours à 5 mois de prison). Derrière cette répression, un préfet, Nau de Beauregard, arrivé en Aveyron le 12 novembre 1868 et qui n’aura de cesse, jusqu’à l’effondrement de l’Empire en 1870, de réprimer tous les mouvements ouvriers du département.
Le 6 octobre 1869, des mineurs prennent à partie deux de leurs chefs, les dénommés Imbert et Estival, accusés de rogner sur leurs salaires en déclarant une quantité de charbon « trop sale » pour être utilisé. Les ouvriers contestent en effet le mode de constatation des travaux à la tâche, défectueux et préjudiciables à leurs intérêts. Direction alors « les grands bureaux » pour demander leur renvois ainsi que celui de l’ingénieur Tissot. Refus du directeur Lardy de donner suite.
Le lendemain matin, 1200 mineurs en grève dont une moitié de femmes se rassemblent sur le plateau des forges. Avertis, le substitut du procureur de Villefranche et le sous-préfet De Saint-Aulaire se précipitent au Gua. Arrivés en début d’après-midi, ils tentent de dialoguer avec les grévistes qui refusent de nommer des délégués par crainte de représailles à venir. Les grévistes se précipitent vers les bureaux des forges, les envahissent et s’en prennent à l’ingénieur en chef, entraîné vers le crassier, puis vers le Gua et Cransac. 70 hommes du 46e de ligne stationnée à Rodez, sous les ordres du préfet Nau de Beauregard, débouchent au même instant à l’entrée de l’usine, délivrant l’ingénieur et repoussant les mineurs. Dans la nuit, vers 2 heures 30 du matin, un incendie éclate dans le grand magasin où se trouvent concentrées huiles et graisses sans que l’on puisse déterminer s’il s’agit d’un incendie accidentel ou criminel.
Face à une situation explosive, le Préfet fait appel à un nouveau détachement de 80 à 100 soldats du 46e de ligne. Le 8 octobre, vers midi, les ouvriers grévistes tentent de rallier à eux les mineurs de Combes puis ceux de la forge qu’ils envahissent vers 15 heures. Le directeur Lardy tente d’arrêter le mouvement avec l’appui d’une trentaine de soldats qui se positionnent à l’intérieur des ateliers, dos au mur. Des projectiles volent. La tension est à son comble quand un ordre fuse : « Défendez-vous ! Utilisez vos armes ! » Les coups de feu claquent, provoquant un mouvement de panique de la foule qui reflue, laissant sur le carreau quatorze corps sans vie dont celui d’un enfant de 7 ans et de deux femmes. Trois autres décèdent dans les heures suivantes à l’hôpital du Gua où les blessés ont été transportés. Le Journal de l’Aveyron parle alors dans ses colonnes « d’un lamentable incident » tandis que Le Napoléonien, journal pro-gouvernemental, utilise le rapport militaire pour présenter les faits.
Les jours suivants, le Bassin est mis en état de siège avec l’arrivée de chasseurs à pieds de Toulouse et de soldats du 27e de ligne de Montpellier.
Dans l’Empire finissant, quatre mois après les quatorze morts de la fusillade à La Ricamarie, la tragédie bouleverse le pays. Victor Hugo s’en empare le temps de son exil en écrivant le poème « Aubin ». A l’assemblée, une commission d’enquête est diligentée. Jules Simon et Jules Ferry se rendent d’abord à Aubin puis à Villefranche-de-Rouergue où ils assistent au procès (8 novembre) des mineurs. « Après avoir enterré les morts, on poursuit les vivants », publie La Voix du peuple.
Le procès condamnera seulement les fauteurs de trouble – 26 condamnations à la prison entre 8 jours et un an – oubliant la responsabilité des autorités dans la fusillade. L’ingénieur Tissot sera tout de même déplacé et le directeur Lardy remercié. Quant au préfet, il reste en fonction avant d’être limogé en septembre 1870 par le nouveau pouvoir républicain. 41 orphelins sont confiés à des institutions religieuses tandis que 6000 francs octroyés par l’empereur et par la compagnie sont distribués aux nécessiteux du Bassin.


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