L’acrobate. Adolphe Pégoud
Lui ne fait pas partie de la caste des aviateurs-entrepreneurs sortis des Arts et Métiers. Lui, Adolphe Pégoud, c’est le petit gars parti de son Isère natal à quatorze ans pour vivre sa vie à la capitale. Mais Paris est une dévoreuse de rêves et tout le monde n’y atteint pas le firmament. Des petits boulots pour subsister et ne pas sombrer. Puis l’armée, à dix-huit ans, comme une bouée de sauvetage. Faite pour qui veut arpenter de ses godillots les grands espaces. Ce seront l’Algérie d’abord puis la campagne du Maroc. Retour en 1909 en métropole où l’armée l’envoie en garnison en Haute-Saône. Pégoud voit encore du pays : Toulon et l’artillerie coloniale. Puis le camp d’aviation de Sartory. La roue tourne. Dans le bon sens. Ce sera la chance de sa vie. N’a-t-il pas, dès l’enfance, désiré voler de ses propres ailes ? La vie est aussi faite de rencontres. Pour Pégoud, ce sera le capitaine Carlin, son supérieur. Un passionné de ces engins qui défient la loi de la gravité et permettent à l’homme de prendre de la hauteur. Et tout s’enchaîne. Tout va toujours très vite chez Pégoud. C’est comme ça. C’est son caractère. Baptême de l’air en octobre 1911. Ecole de pilotage de Bron en février 1913. Instruction d’une semaine sur avion Farman. Obtention de son brevet de pilote civil une semaine plus tard. « Vous décrire la sensation ainsi que la joie ressenties pour mon premier voyage en aéroplane est impossible, et je ne saurais le faire, écrit-il à ses parents. Hier matin, j’ai volé une heure et demie à 2 900 mètres d’altitude. C’est vraiment beau et imposant. Regardez plutôt cet oiseau d’acier dans sa pleine stabilité, bravant le vide et l’espace ».
Mais l’armée française de la Belle Epoque reste encore très enracinée dans ses traditions. Pas question d’ouvrir la carlingue de ses avions à des soldats du rang. Seuls les officiers peuvent y prétendre. Tant pis pour l’armée ! Le p’tit gars de l’Isère s’embauche dans l’aéronautique privée. Chez Gabriel d’abord qui lui refuse sa confiance comme il l’avouera plus tard à un journaliste : « Pégoud arrive à mon usine. Je l’engage. Il travaille pour moi sur trois de mes machines. Son allure ne me plaisait pas. Entre lui et moi, il n’y avait pas de fluide. Et puis, il avait de sacrées jambières en cuir jaune qui m’énervaient. Ah ! Ces jambières ! Je finis par me persuader qu’un homme ainsi affublé ne ferait jamais un pilote. Finalement, je le congédiais en lui disant “Si jamais vous devenez aviateur, je veux être pendu par les oreilles” !
Puis chez Blériot en mars 1913 pour progresser puis se faire un nom ! Ferdinand Collin, son instructeur, dit alors de son protégé « qu’il avait pour le vol ce besoin passionné de l’ivrogne pour son vice ».
« Bravez le vide et l’espace ». Tiens donc ! En 1913, la Manche est déjà vaincue. Traverser l’Atlantique est encore à des années-lumière de pouvoir être tenté. Mais la conquête du ciel ne se résume pas qu’à ces traversées. D’autres domaines restent à explorer. Et Adolphe Pégoud, à l’âme d’aventurier, ne veut pas rester sur le bord de la piste. Chez Blériot, c’est lui le baroudeur. Le trompe-la-mort. Celui qui observe, expérimente et prouve. Comme arrimer son aéroplane à un câble tendu, de 80 mètres de long, à quatre mètres du sol et pouvoir s’en extirper sans problème. Une invention de Blériot qui restera à l’état d’expérimentation mais l’idée est là : faire atterrir un avion sur un navire. Et qui teste à plusieurs reprises ce projet ? Adolphe Pégoud bien sûr ! Avec réussite !
Aussi, quand il propose à Louis Blériot de sauter en parachute depuis un avion, le boss se laisse convaincre. Tant pis pour la perte de l’avion ! Enfin, Pégoud sera l’homme qui, le premier, aura sauté en parachute depuis un avion. A vrai dire, ce n’est qu’une étape. Car le parachutiste n’a pas manqué de regarder, en descendant, de voir son avion danser dans l’air avant de s’écraser.
« Je l’ai vu faire, tout seul, le looping the loop, s’enthousiasme-t-il auprès des journalistes présents. Vous voyez donc bien que c’est possible. Aussi, vais-je le tenter ! » D’abord à terre : « Essai de l’acrobe de looping (son avion) à la renverse, la tête en bas, aux points fixes, sur tréteaux, écrit-il. Epatant ! Merveilleux ! La tête en haut cela devenait rasoir. All right ! »
Puis en situation sur le terrain de Port-Aviation, à Viry-Chatillon. Une première dans l’histoire de l’aviation : la voltige ! Sans filet cette fois ! « Qu’importe si je meurs, ce ne sera qu’un aviateur de moins ; mais si je réussis, combien d’existences précieuses seront conservées à l’aviation ? ». Avant de décoller en s’écriant « A la grâce de Dieu ! » Et le ciel est avec Adolphe Pégoud.
Il renouvelle cette expérience le 23 septembre à Buc. Cette fois, la foule est présente. Pégoud s’envole, prend de l’altitude et commence son ballet aérien : « J’ai commencé par des glissades sur l’aile gauche et sur l’aile droite ; puis une longue glissade sur la queue avec redressement ; retournement de l’appareil dans le plan de l’axe du fuselage et redressement sur l’aile ; glissade sur la queue, l’appareil étant vertical, moteur arrêté, avec une chute de 200 mètres, vol plané sur le dos avec redressement alternatif sur l’aile droite et sur l’aile gauche ; descente en tire-bouchon, appareil vertical, sur une aile, et pour terminer – hors de mon programme – j’ai bouclé la boucle ! ».
A terre, la foule est époustouflée par les figures de l’avion. Porté en triomphe, il déclare avec conviction : « Mes amis, vous m’avez vu voler la tête en bas, vous savez que c’est possible. Par conséquent, si un jour votre appareil se retourne, laissez le faire, posément, tranquillement, prenez votre temps et redressez-le en manoeuvrant les commandes comme pour un vol normal ».
Son exploit est à la mesure du danger et du retentissement éprouvé. Commence alors une série de démonstrations. La France puis l’Europe s’arrachent le héros de la voltige. Mais une polémique enfle. Un Russe, Pyotr Nesterov, aurait accompli un looping à Kiev une douzaine de jours avant Pégoud.
Début 1914, L’Outre-Atlantique lui tend les bras. La guerre vient interrompre le projet. Pégoud, désormais, va devoir voltiger en combattant. Rattaché à l’escadrille de la place de Verdun, il accomplit d’abord des missions de reconnaissance avant de participer aux combats. Jusqu’à ce 31 août 1915 où son avion chasse un avion ennemi bien armé. Ce sera son dernier vol. Touché d’une balle en plein cœur, il s’effondre à 2000 mètres d’altitude. L’avion comme son cercueil. Le ciel comme son tombeau.
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