L’âme vivante des villages détruits

Il pleut sur Cumières-le-Mort-Homme. Pas de cette pluie froide et légère qui grisaille la Meuse. Non ! Il pleut, ce jour de mars 1916, des larmes de métal qui vibrent dans l’air avant d’éclabousser les sols, de transpercer les corps et de pulvériser ce qu’il reste des murs des maisons. Depuis neuf mois qu’a débuté la bataille de Verdun, l’homme n’a plus droit de cité ici. Deux cents cinq habitants vivaient là en 1914 sur 6,11 km2. Des artisans, des commerçants et des agriculteurs. La vie quoi ! Désormais tous partis. Evacués. Soufflés par le vent des obus. Ne dit-on pas qu’il est tombé dans ce coin de Lorraine six obus au mètre carré. Soit donc près de 37 millions d’obus. Quel être humain, quel paysage pourraient résister à un tel cataclysme ? A un tel acharnement ? « Le 14 mars, écrit Jean Vichy, caporal-brancardier du 98e régiment d’infanterie, est peut-être la journée où nous avons reçu le plus d’obus de toute la guerre. Sur notre petit front, les observateurs de l’arrière ont compté à peu près 120 coups par minute, ce qui fait 50 000 obus en 6 heures. »

Cumières-le-Mort-Homme n’est pas un cas unique. Sur une superficie de 52,52 km2 contenant 1276 habitants en 1911, huit autres villages meusiens ont subi le même sort : Beaumont-en-Verdunois ; Bezonnaux ; Fleury-devant-Douaumont ; Haumont-près-Samogneux, Louvemont-Côte-du-Poivre, Ornes, Vaux-devant-Damloup et Douaumont.

La paix revenue, des millions de munitions et tout autant de restes humains ensemencent le sol de treize départements allant du Pas-de-Calais à la Meuse, obligeant les autorités à diviser ce secteur en trois zones. Une zone verte considérée comme moindrement touchée ; une zone jaune aux dommages importants et une zone rouge complètement dévastée à laquelle appartiennent ces neuf villages déclarés officiellement en 1919 « Morts pour la France ».

Pourtant, à la différence de six villages de l’Aisne absorbés par des communes voisines et qui ont perdu leur nom, ceux de la Meuse ont conservé leur statut administratif bien que particulier. « Village détruit » selon leur nouvelle terminologie, ils sont administrés par un maire, un adjoint et un conseiller désignés par le préfet de la Meuse. Des gardiens de mémoire qui entretiennent un espace sans habitant. Sauf pour Ornes (5 habitants), Vaux-Devant-Damloup qui compte aujourd’hui 72 habitants et Douaumont, une dizaine d’habitants et un ossuaire contenant les restes des 300 000 hommes morts sur le champ de bataille de Verdun.

Il pleut toujours sur Cumières-le-Mort-Homme. Une pluie froide et légère qui alimente ce paysage remodelé de conifères et dominé par l’imposant monument de Jacques Froment-Meurice duquel se dresse un squelette jailli de son suaire.

A l’inverse de ces villages détruits, un village de la Manche, Beuzeville-sur-Plain, ne déplore aucune victime parmi ses quatorze hommes partis au combat en 1914. De fait, la commune ne possède aucun monument commémoratif. Plus encore, selon une légende, Beuzeville ne revendique aucun mort durant toutes les guerres.

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