L’An Mil ou la peur orchestrée
Sans véritables sources historiques, les terreurs de l’An Mil se révèlent un mythe, relaté a posteriori par la propagande anticléricale du XIXe siècle.
- Les prophéties fumeuses de Paco Rabanne sur la fin du Monde de l’An 2000 et les non moins nébuleuses prédictions des déjantés du pic de Bugarach (Aude) reposant sur le calendrier maya n’ont guère inquiété les populations du début du XXIe siècle, plus inquiètes des crises politiques et économiques que de l’apocalypse. Pas plus que cette peur n’a traumatisé les populations occidentales de l’An Mil, dès lors que leurs connaissances des calendriers – différents d’ailleurs selon les pays – étaient largement lacunaires et qu’elles se souciaient bien plus des guerres, des famines ou de la peste qui menaçaient leurs existences.
Si peur panique il y eut, elle est plus liée à des inquiétudes personnelles émanant de moines ou d’hommes lettrés qu’à des craintes submergeant l’Europe entière. Pour ces derniers, l’An Mil doit faire apparaître Satan annonçant la fin du monde, en référence au texte fondateur de l’Apocalypse de saint Jean, afin que les populations se repentent et se soumettent à Dieu. « Puis je vis descendre du ciel un ange, qui avait la clef de l’abîme et une grande chaîne dans sa main. Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et le lia pour mille ans. Il le jeta dans l’abîme, ferma et scella l’entrée au-dessus de lui, afin qu’il ne séduisit plus les nations, jusqu’à ce que les mille ans fussent accomplis… Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison. Et il sortira pour séduire les nations qui sont aux quatre coins de la terre, Gog et Magog, afin de les rassembler pour la guerre ; leur nombre est comme le sable de la mer. »
Terreur millénaire ou la Paix de Dieu ?
Ainsi, l’abbé Abbon de Fleury, en 995, évoque les confidences d’un abbé, vers 970, annonçant l’arrivée de l’Antéchrist. Dans un plaidoyer adressé aux rois Hugues et Robert, il écrit : « On m’a appris que dans l’année 994, des prêtres dans Paris annonçaient la fin du monde. Ce sont des fous. Il n’y a qu’à ouvrir le texte sacré, la Bible, pour voir qu’on ne saura ni le jour ni l’heure. » De son côté, le moine limousin Adémar de Chabannes parle de pluies de sang et de calamités comme autant de punitions divines.
Le célèbre moine-chroniqueur Raoul Le Glabre, abordant l’éclipse solaire du 29 juin 1033, écrit en ces termes : « Le soleil prit la couleur du saphir, et il portait à sa partie supérieure l’image de la lune à son premier quartier. Les hommes, en se regardant entre eux, se voyaient pâles comme des morts. Les choses semblaient toutes baigner dans une vapeur couleur de safran. Alors une stupeur et une épouvante immenses s’emparèrent du cœur des hommes. Ce spectacle, ils le comprenaient bien, présageait que quelque lamentable plaie allait s’abattre sur le genre humain. »
Plus tard, parlant des assemblées de la Paix de Dieu qui se déroulent vers 1030-1050, il écrit : « Quand la nouvelle de ces assemblées fut connue de toute la population, les grands, les moyens et les petits s’y rendirent pleins de joie, unanimement disposés à exécuter tout ce qui serait prescrit par les pasteurs de l’Église ; une voix venant du ciel et parlant aux hommes sur la terre n’eût pas fait mieux. Car tous étaient sous l’effet de la terreur des calamités de l’époque précédente, et tenaillés par la crainte de se voir arracher dans l’avenir les douceurs de l’abondance. »
Jules Michelet développe le mythe
Le mythe de l’An Mil apparaît d’abord au XIIe siècle avant de se répandre durant la Renaissance parmi les humanistes qui ne voient dans le Moyen Age que désordre, guerres et chaos. Mais son véritable développement se déroule au XIXe siècle, d’abord sous la plume de Jules Michelet dans son premier chapitre du livre IV de « L’Histoire de France » : « Au milieu de tant d’apparitions, de visions, de voix étranges, parmi les miracles de Dieu et les prestiges du démon, qui pouvait dire si la terre n’allait pas un matin se résoudre en fumée, au son de la fatale trompette ? […] Voyez ces vieilles statues dans les cathédrales du Xe et du XIe siècle, maigres, muettes et grimaçantes dans leur roideur contractée, l’air souffrant comme la vie et laides comme la mort. » Hostile à l’église, usant et abusant du spectaculaire pour décrire la peur de l’An Mil, l’historien invente le mythe avant que les Républicains de 1870 s’en emparent par anticléricalisme, mettant en avant l’obscurantisme de ces temps et la toute-puissance de l’Eglise.
La question des terreurs de l’An Mil se pose encore parmi les historiens. Le médiéviste Georges Duby ne remarque « qu’une inquiétude diffuse » sans phénomène de masse. D’autres préfèrent y voir l’obtention du salut pour les chrétiens. Le débat est toujours d’actualité, fautes de de sources historiographiques probantes.


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