L’armée surgie des entrailles de la terre

Le doute n’est pas permis. Depuis quatre jours que pleuvent les obus sur leur ligne, rendant fou les hommes terrés dans les tranchées, les Allemands savent que l’offensive est imminente. Qu’aujourd’hui, demain, dans quelques heures ou dans quelques jours, les soldats britanniques de la 3e Armée stationnés à Arras déferleront sur eux, profitant de la puissance de leur artillerie lourde. Ces mêmes soldats de la 17e Armée allemande qui, lors de l’offensive du 28 mars, ont tenté de reprendre leur progression vers Arras, sont à leur tour sur la défensive, tétanisés par le bruit assourdissant des shrapnels.

Au début du conflit, violant la neutralité belge, l’offensive allemande avait été freinée par les troupes françaises dès septembre 1914. Mais la ville restait à portée des canons allemands. En quelques mois, le patrimoine qui faisait la richesse de la cité disparut dans les décombres, faisant fuir la majorité des habitants. Au point qu’il ne reste, en 1917, que 1200 civils vivant – ou plutôt subsistant – dans les ruines.

Mais la cité arrageoise possède un côté pile et un côté face depuis que des tailleurs de pierre, entre le XVe et le XVIIIe siècle, ont créé un réseau souterrain d’une vingtaine de kilomètres, rongeant mètre après mètre le sous-sol crayeux de la ville. Puis ces boves – comme les nomment les gens du pays – ont été abandonnées, laissant sous la ville un immense gruyère de galeries.

Quand le général Nivelle décide, en ce mois d’octobre 1916, de lancer l’offensive du Chemin des Dames prévue pour la mi-avril 1917, son souhait est de faire diversion par une attaque sur le saillant d’Arras et la côte de Vimy. L’idée d’utiliser les anciennes galeries ressurgit. Son but est double : concentrer dans un premier temps, à l’abri des regards et des bombardements, plus de vingt mille soldats issus de l’Union britannique. Puis surtout, dans un second temps, faire surgir de terre ces hommes, à proximité des lignes ennemies. Effet de surprise garanti qui évitera de trop nombreuses pertes.

L’armée en guerre est une vaste entreprise. Pour creuser, étayer, organiser la vie dans ces cathédrales souterraines que sont les anciennes carrières de craie, il faut des hommes rompus à cette tâche, courageux, précis et conscients du danger. Aux sapeurs écossais et anglais, le quartier de Saint-Sauveur. Aux quatre cents tunneliers de la New-Zealand Tunneling Compagny, le quartier Ronville. En six mois de travail, jour et nuit, ces experts piochent, percent et évacuent des tonnes de gravats. Une vie souterraine s’organise, exigeant pour les milliers d’hommes qui y séjourneront, électricité, eau courante, égouts, douches, toilettes et cuisine. Un hôpital de campagne est installé, pouvant accueillir sept cents lits. Pour se repérer dans ce dédale, les noms des galeries portent les noms des villes d’Ecosse, d’Angleterre et de la Nouvelle-Zélande. Six jours avant la date prévue de l’offensive, le réseau de galeries est fin prêt.

Le 9 avril 1917, à 5 heures 30, les soldats allemands assistent devant eux à l’incroyable. Une double explosion fait d’abord, à deux endroits, voler en éclat le sol duquel jaillissent comme par enchantement des combattants. Par dizaines puis par  centaines sortis des ténèbres. Les premières lignes allemandes sont enfoncées. En trois jours, tandis que les Canadiens montent à l’assaut de la hauteur de Vimy, la ligne de front allemande se déchire et recule d’une dizaine de kilomètres. Un gain de terrain énorme si l’on songe que depuis 1915, la guerre de position a vu se figer chaque ligne, en dépit d’attaques et de contre-attaques meurtrières. Puis le front finira par se stabiliser. Pour la grande offensive qui doit déterminer l’issue de la guerre et des hommes, il faudra attendre encore un an. Arras et ses habitants retrouvent alors leur tranquillité. Et les boves, le silence de leur immensité, conservant en leur sein des trésors de mémoire.

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