L’avion comme un aimant. Jean Mermoz

La mort aux trousses. Tout au long de sa vie, Mermoz vit à son côté. Il suffit d’examiner son carnet de bord, constellé d’accidents en tout genre. Le lot, me direz-vous, de ces aventuriers du ciel dont « la piste sous son aspect paisible était pour moi, comme il l’écrit, la porte qui s’ouvrait sur l’aventure ». Jusqu’à ce 7 décembre 1936 où l’immensité océanique s’est refermée à jamais sur Mermoz et son équipage. La mort, cette compagne gloutonne des aviateurs, avait eu raison de l’homme. Elle s’inclinera devant la légende qui fait de Mermoz « l’Archange du ciel ».

Comme bon nombre de ses contemporains, le jeune Mermoz s’entiche de l’aviation lors d’un meeting à Reims où les acrobaties de Pégoud et le mythique Blériot rivalisent de prouesses. Des images gravées dans sa mémoire le temps d’une guerre passée comme réfugié à Aurillac, puis à Paris auprès de sa mère. Le temps des études conclu par l’échec à la seconde partie du bac. Le temps aussi des questionnements sur son avenir. « J’hésitais entre diverses voies qui toutes me semblaient mornes et, quand j’ai bien senti que je mourrai d’ennui dans une banque ou une usine, je me suis engagé dans un régiment d’aviation avec le désir de devenir pilote. »

Mourir d’aventures plutôt que d’ennui. Ou plutôt se nourrir d’aventures. Et l’avion n’est-il pas le meilleur moyen pour se griser d’exploits ? Et l’armée pour s’en donner les moyens ? Mais avant toute chose, il faut apprendre. Et les débuts sont ennuyeux. On ne monte pas dans un avion comme on entre dans une église. Ce sera d’abord corvée sur corvée. Ordre sur ordre. L’ennui pour chasser l’ennui. Avant de passer le brevet de pilote. Pas une sinécure cet examen ! Si le théorique ne présente aucun danger, les pieds sur terre, l’examen pratique se révèle bien plus périlleux pour les apprentis-pilotes, au manche de vieux avions bons pour la casse. Pour preuve : dix-sept élèves-pilotes meurent en trois mois du temps où Mermoz passe son brevet. Lui-même frôle la mort à deux reprises. Une première fois, son avion s’écrase. Bilan : une jambe et la mâchoire fracturées. Le second vol se solde par un nouvel accident, sans gravité toutefois. Mermoz décroche son brevet au troisième vol. Sain et sauf ! Il a vingt ans. Peut désormais piloter. Les portes du ciel lui sont ouvertes. Ce sera la lointaine Syrie où l’armée française tente de mater la rébellion druze. Observation, bombardement, ravitaillement, Mermoz affronte la réalité de la guerre. Et la mort qui le guette quand son Bréguet 14 tombe en panne d’essence en zone rebelle. Enfin ravitaillé par son mécanicien, le moteur de l’avion prend feu au décollage. « L’atterrissage fut réussi à temps : ni mon mécanicien ni moi fûmes brûlés. Mais privés d’eau et de vivres par l’incendie de l’appareil, nous n’avions pas d’autre solution pour vivre et échapper aux Druses et à la soif, que de regagner à pied Palmyre. Nous marchions lentement, mon mécanicien s’étant foulé un pied en sautant de l’avion en feu. Son pied enflait. Après quatre jours et quatre nuits, nos langues enflaient aussi et pendaient hors de nos bouches. Nous avions déjà le délire. Enfin, aux trois quarts morts de soif, mon mécanicien tomba et je tombai un peu plus loin, à bout de forces. Je reconnus que j’étais parvenu à la piste de Beir Er-Zoor à Palmyre où un peloton méhariste me ramassa. »

Le départ de Syrie, au bout de deux années, se déroule en mauvaise compagnie. Mermoz a contracté le paludisme, maladie exigeant une longue convalescence avant de retrouver la vie de garnison à Thionville. Et l’ennui qui le rattrape. Et les ordres qui fusent. Et les sanctions disciplinaires qui pleuvent. Mermoz n’en peut plus de l’armée. Bénéficiant d’un congé libérable, il retourne à la vie civile, espérant trouver un emploi de pilote dans l’aviation commerciale. Mais Mermoz n’est pas encore le héros du ciel ! Les portes ne s’ouvrent pas ! Sinon sur des petits boulots à la petite semaine pour vivre. Qu’à cela ne tienne ! Mermoz est un battant. Il a, comme il l’écrit, « l’amour de l’aviation ancré à jamais dans mon cœur ». L’avion comme un aimant. L’avion comme un amant. Le ciel, la plus belle conquête de l’Archange. Il frappe alors à la porte de Latécoère, à Toulouse. Une entreprise qui ambitionne d’ouvrir de nouvelles lignes vers l’Afrique et même, au-delà, vers l’Amérique du Sud. Un challenge qui correspond pleinement à l’esprit explorateur de Mermoz. Et tout s’enchaîne. Toulouse-Barcelone d’abord. Une bagatelle aujourd’hui. Mais à l’époque, franchir les pics pyrénéens n’est pas sans danger. Puis Toulouse-Casablanca. Simple étape désormais vers Dakar et le Sénégal. Une ligne de l’hécatombe tant les accidents et les morts sont monnaie courante. Mermoz n’y échappe pas qui tombe, en 1926, entre les mains de tribus Maures avant d’être libéré sous rançon.

La Ligne, comme on l’appelle, devient en 1927, l’Aéropostale. Et il faut voir plus loin. L’Atlantique Sud. Rio et Buenos Aires. Puis cette fameuse cordillère des Andes. Un véritable combat pour prendre cette forteresse. Mermoz n’est pas le premier chevalier du Ciel à l’affronter. Adrienne Bolland l’a déjà vaincue. Qu’importe ! Mermoz s’y attaque pour rallier le Chili, de l’autre côté de cette muraille, en ouvrant de nouvelles voies.

Nous sommes en mars 1929. Et la mort, une fois de plus, tient la vie de Mermoz par le bout du fil. Déjà, un mois plus tôt, il l’a entrevue quand il pose son avion en catastrophe sur un plateau de la Cordillère, à 2500 mètres, le nez de son appareil narguant un précipice. Au retour, l’avion affronte des vents violents qui l’obligent à couper le moteur et à poser son avion sur un plateau enneigé, à 4500 mètres d’altitude. Mermoz raconte : « Trois jours et deux nuits à 4000 m d’altitude par 16 à 26 degrés sous zéro, mourants de faim (mon mécano ayant oublié les vivres de réserve), réparant notre train d’atterrissage très légèrement affaissé d’un côté et notre empennage un peu arraché sur un rebord de rochers. Conduites d’eau éclatées par le froid. Réparations faites avec du chatterton, des bandes de toile et de l’émaillite. Décollage après 3 km de bonds par-dessus trois ravins. Plafond de l’appareil maximum 4500 m. Régime plein moteur 1580 tours soit 330 CV. J’avais repéré à l’avance les endroits où je devais toucher les roues pour faire les bonds prévus. Tout s’est bien passé et 1 heure 40 après j’atterrissais à Copiapó, mon point de départ. Trois jours après, je repartais pour Santiago puis, franchissant la Cordillère, je ramenais l’appareil à son point de départ… ». Et son ami Saint-Ex de surenchérir  dans Terre des hommes : « Après le sable, Mermoz affronta la montagne, ces pics qui, dans le vent, lâchent leur écharpe de neige, ce palissement des choses avant l’orage, ces remous si durs qui, subis entre deux murailles de rocs, obligent le pilote à une sorte de lutte au couteau. Mermoz s’engageait dans ces combats sans rien connaître de l’adversaire, sans savoir si l’on sort en vie de telles étreintes. Mermoz “essayait” pour les autres.

Enfin, un jour, à force “d’essayer”, il se découvrit prisonnier des Andes.

Échoués, à quatre mille mètres d’altitude, sur un plateau aux parois verticales, son mécanicien et lui cherchèrent pendant deux jours à s’évader. Ils étaient pris. Alors, ils jouèrent leur dernière chance, lancèrent l’avion vers le vide, rebondirent durement sur le sol inégal, jusqu’au précipice, où ils coulèrent. L’avion, dans la chute, prit enfin assez de vitesse pour obéir de nouveau aux commandes. Mermoz le redressa face à une crête, toucha la crête, et, l’eau fusant de toutes les tubulures crevées dans la nuit par le gel, déjà en panne après sept minutes de vol, découvrit la plaine chilienne, sous lui, comme une Terre promise.

Le lendemain, il recommençait. »

L’océan Atlantique devient dès lors son terrain de jeu favori. De Dakar à Natal (Brésil) ; de Paris à Buenos-Aires, il défie l’immensité aquatique. Entre 1934 et 1936, pas moins de vingt-quatre traversées. Parfois avec la chance de l’intrépide quand il est recueilli par le navire le Phocée après que son avion, Le Comte-de-Vaulx, se soit écrasé en pleine mer. Nommé Inspecteur Général en 1935, deux années après la naissance d’Air France, Mermoz n’abandonne pas pour autant la navigation aérienne. Le 7 décembre 1936, fort de quelques 8200 heures de vol, il décolle de Dakar pour l’Amérique du Sud à bord de l’hydravion quadrimoteur Late 300 Croix-du-Sud. Un problème d’hélice nécessite un retour à la base. Avant de repartir. A 10h47, un message en morse parvient à Dakar : « Avons coupé moteur arrière droit. » Les recherches seront vaines. L’océan a dévoré Mermoz et son équipage. Accomplissant la volonté de ce géant de l’aviation qui avait écrit : « L’accident, pour nous, serait de mourir dans un lit ». La mort l’a entendu à force d’avoir tant flirté avec cette compagne.

 

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