Le d’Artagnan du ciel. Georges Guynemer
Sans doute est-il mort trop jeune : 22 ans. Sans doute, cette mort prématurée fit de lui l’un des premiers héros de l’aviation de combat avec Roland Garros, Charles Nungesser ou René Fonck. Avec ces as de l’aviation, la guerre prend une autre dimension : celle de la domination du ciel.
Le 11 septembre 1917, sur l’aérodrome de Saint-Pol-sur-Mer, l’escadrille des Cigognes se tient prête à voler pour porter la chasse aux Fokker et aux Albatros ennemis. Trois ans après le début des hostilités, l’aviation a démontré, en dépit du scepticisme des autorités, combien elle est devenue un potentiel militaire nécessaire à la poursuite de la guerre, d’abord comme arme de reconnaissance avant d’être employée dans les bombardements et la chasse pour s’assurer la maîtrise du ciel.
Ces As de l’aviation qui composent les escadrilles de chasse, sont de vrais baroudeurs, aux visages juvéniles mais qui n’ont pas froid aux yeux. Des trompe-la-mort qui savent que leur avion peut devenir à la moindre erreur de pilotage, leur cercueil et la terre qui recueillera leurs dépouilles, leurs linceuls. Au cœur de cette guerre devenue une boucherie humaine, où les hommes ont fini par se terrer comme des rats, les combats du ciel représentent encore un ordre chevaleresque fait de codes, d’honneur, de respect et de courage, qui construisent les légendes et façonnent le lit des héros.
Quand, ce 11 septembre, Georges Guynemer décolle pour un nouveau combat aérien, il est déjà, à 22 ans, couvert de gloire. Lui dont l’aristocratie remonte aux rois de France par sa mère, fils d’un père ancien officier saint-cyrien, crût bien pourtant au début de la guerre qu’il ne participerait pas à la défense du pays. Trop frêle ! Trop fragile ! pour l’infanterie et la cavalerie. Qu’à cela ne tienne ! De Bayonne, il gagne Pau où il est affecté à sa demande comme mécanicien dans l’aviation. Guynemer comprend rapidement toute la portée de cette nouvelle arme qui peut révolutionner la stratégie militaire. Mais le mécano n’est pas fait pour rester à terre, observer ou réparer. Il veut se battre, passer à l’action. Faire de l’avion son cheval de bataille et du ciel, son champ de combat.
En décollant de cette base des Flandres où son escadrille a été affectée après le terrible choc de Verdun, Guynemer est déjà un aviateur accompli malgré son jeune âge, avec un palmarès des plus élogieux, construit au fil des années de guerre. Parmi ses premiers instructeurs, un certain Jules Védrines, celui-là même qui atterrit sur le toit des galeries Lafayette à Paris. Avec le « Vieux Charles », un Morane-Saulnier Type L, qui porte le nom de son ancien propriétaire Charles Bonnard, Guynemer remporte le 19 juillet 1915 son premier combat aérien face à un Aviatik C.I. Dès lors, les victoires s’accumulent, au total cinquante-trois homologuées qui font de lui un As des As, cité à plusieurs reprises à l’ordre de l’armée pour ses exploits retentissants et honorés de plusieurs récompenses : chevalier de la Légion d’honneur le 24 décembre 1915, officier en juillet 1917, il est capitaine d’escadrille quand il décolle pour ce qui sera son dernier vol.
Si le culte du héros se façonne dans les victoires, il se forge aussi dans l’insouciance du danger et dans sa capacité à se relever de ses combats perdus. A sept reprises, Guynemer est abattu. A sept reprises, grièvement blessé, il repousse une mort certaine, lui l’être fragile et frêle.
Il est 9 heures 25 quand son SPAD XIII 2S.504 survole la région de Poelkappelle. Guynemer est attentif, le regard rivé sur un probable avion ennemi. Volant à son côté, le lieutenant Jean Bozon-Verduraz. Soudain, ce dernier voit Guynemer plonger dans la direction d’un Rumpler allemand, en observation. Au même moment, le lieutenant aperçoit quatre Fokker voler au-dessus de lui. Fin tacticien, il décide de les attirer pour les disperser avant de retourner sur le lieu où il a laissé son supérieur. Mais l’avion de Guynemer a bel et bien disparu de son champ de vision. Rentré à sa base, Jean Bozon-Verduraz ne peut que déplorer la disparition de son camarade sans pouvoir en expliquer les causes. Le dernier jour d’un héros qui allait entrer dans la légende.
« Guynemer a volé si haut qu’il ne put redescendre. » Ainsi raconte-t-on dans les livres d’histoire la tragique disparition de l’aviateur, cultivant le culte de son invincibilité. La réalité est bien sûr tout autre même si sa mort repose encore sur bien des incertitudes, ni son corps, ni ses affaires, ni son avion n’ayant été retrouvés. Le rapport du ministère de la Guerre du 25 septembre 1917 reconnaît « que le capitaine Guynemer […] s’est trouvé, au cours des péripéties d’une poursuite d’avion ennemi, séparé de son camarade de patrouille et n’a pas reparu depuis. Tous nos moyens d’investigation mis en jeu n’ont donné jusqu’à ce jour aucun renseignement complémentaire. » Le 18 octobre, la Croix-Rouge américaine communique sur la mort de Guynemer : « […] Son corps a été identifié par une photo sur sa licence de pilote dans sa poche. L’enterrement a eu lieu à Bruxelles en présence d’une garde d’honneur, composée de la 5e division prussienne. Telle est l’histoire racontée par un Belge, qui vient d’échapper aux Allemands. […] Son corps a été transporté à Bruxelles dans un wagon funéraire spécial. Là, le capitaine a été inhumé par des sous-officiers et fut couvert de couronnes florales envoyées par des aviateurs allemands… »
Du côté allemand, le lieutenant Kurt Wissemann revendiqua d’avoir abattu Guynemer, avant de subir le même sort, dix-sept jours plus tard, par l’as français René Fonck. Un autre pilote allemand affirmera aussi que, témoin de l’accident, il avait pu identifier le cadavre de Guynemer, mort d’une balle dans la tête et souffrant de diverses blessures (jambe cassée et doigt arraché).
Le nom de Von Richthofen est irrémédiablement associé, dans la bataille de l’air, à celui de Guynemer. Celui que l’Histoire a conservé sous le titre de Baron Rouge, parce que son avion, un Fokker DrI, était peint d’une couleur rouge vif, passe pour l’as des as de l’aviation allemande. A son palmarès, quatre-vingt victoires confirmées. Pourtant, comme Guynemer, le Baron Rouge finira lui-aussi par succomber, le 21 avril 1918. Après un combat livré contre deux appareils canadiens, une erreur de repérage le fait survoler les lignes ennemies avant d’être abattu par les tirailleurs australiens. Deux aviateurs qui se respectaient, associés dans la mort avant d’être réunis par l’Histoire.
Le 19 octobre 1917, l’Assemblée nationale et le Sénat décident de glorifier Guynemer au Panthéon « dont seule la coupole avait assez d’envergure pour abriter de telles ailes ». D’autres honneurs suivront dont une stèle commémorative érigée dans les années 1920 près du lieu où il est tombé. Rues, établissements scolaires, camps militaires… portent aujourd’hui le nom de ce chevalier du ciel, « mort au champ d’honneur. Héros légendaire, tombé en plein ciel de gloire, après trois de lutte ardente. Restera le plus pur symbole des qualités de la race : ténacité indomptable, énergie farouche, courage sublime. Animé de la foi la plus inébranlable dans la victoire, il lègue au soldat français un souvenir impérissable qui exaltera l’esprit de sacrifice et provoquera les plus nobles émulations ».


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