Le Louvre. Les routes de l’exode
La défaite puis l’Occupation ont provoqué le plus incroyable plan d’évacuation d’œuvres d’art. Par l’acharnement d’un homme : Jacques Jaujard.
L’art rassemble. Même les pires ennemis ou ceux qui pourraient l’être quand tonnent les canons. En ce jour de l’année 1953, au restaurant Le Drouant à Paris, deux hommes se retrouvent : Jacques Jaujard et le comte allemand Wolf Metternich. L’un et l’autre se sont déjà croisés treize ans plus tôt mais dans des conditions tellement différentes et opposées. Ce jour-là, l’entrevue avait été glaciale, Metternich venant prendre possession du Louvre au nom de la « Commission de protection des œuvres d’art », créée par les Nazis.
« Diriger, c’est prévoir ! »
En cette année 1938, Jacques Jaujard est inquiet. La pâle éclaircie des accords de Munich où Chamberlain et Daladier se sont couchés devant Hitler pour préserver la paix qui était déjà la guerre ne le rassure guère. Aussi, dès le mois de septembre 1938 organise-t-il, avec le concours d’une centaine de collaborateurs, un exercice d’évacuation du musée du Louvre. Une répétition générale au cas où, permettant d’apprivoiser les techniques minutieuses d’enlèvement, de classement et de transports des œuvres majeures. La crainte des bombardements et du pillage organisé l’obsède. Déjà, en 1936, sous-directeur du musée du Prado de Madrid, il a dirigé l’évacuation des œuvres prises sous le feu de la guerre civile.
« Dès le 27 septembre 1938, écrit l’historienne de l’art Rose Valland, deux jours avant la réunion des chefs d’Etat en Bavière, un premier convoi avait été dirigé vers Chambord, suivi le lendemain d’un véritable train de camions, auquel la direction des Musées confiait ce qui devait être sauvé à tout prix dans les collections nationales. »
Jaujard ne s’est pas trompé ! Diriger, c’est prévoir ! Quand l’imminence de la guerre se fait plus brûlante encore, il décide, le 25 août 1939, de fermer le Louvre au public. Dans la nuit, deux cents personnes réquisitionnées ôtent huit cents toiles de leurs tableaux respectifs, pastillées de trois couleurs, rouge pour les œuvres les plus précieuses, vertes pour les œuvres majeures et jaune pour le reste des œuvres. La Joconde est estampillée de trois pastilles rouges. A son propos, Jaujard écrit : « Je vous signale que le camion Chenue L 162 RM2 contient une caisse marquée MN en noir mais sans lettres ni numéros rouges de département. Cette caisse contient la Joconde. Il faut faire compléter la marque. Faites-là marquer : L.P. 0 en rouge. »
Et « prévenir, c’est guérir ! »
En trois jours, quatre mille œuvres sont emballées. Tout a été préparé avec minutie. Mais l’évacuation ne s’effectue pas sans incidents, parfois cocasses. Le Radeau de la Méduse, de Théodore Géricault, dont la toile est goudronnée, ne peut être roulée et protégée dans un cylindre. Son cadre posé à la verticale sur la plateforme d’un camion finit à Versailles par heurter les fils du tramway, occasionnant une panne électrique dans toute la ville, sans dommage par bonheur pour la toile mais suffisamment pour désormais bien baliser un plan de transport.
Destination le château de Chambord où parviennent 1862 caisses transportées par 203 véhicules. D’autres châteaux du val de Loire deviennent à leur tour des lieux d’asile, choisis pour leur matériau en pierre de taille, réduisant les risques d’incendie. A Sourches, le Radeau de la Méduse ; à La Pelice, La Belle Ferronnière ; à Louvigny, la Joconde ; à Chèreperrine, les Noces de Canaa…
Le 3 septembre 1939, il est 15 heures, le personnel du Louvre pousse un ouf de soulagement quand la Victoire de Samothrace est descendue de son piédestal, et parvient sans encombre à être évacuée. Le même jour, la France déclare la guerre à l’Allemagne. Diriger, c’est prévoir ! Jacques Jaujard ne s’est pas trompé ! Quand, la défaite consommée, Paris est livré à l’occupant, le Louvre est vide de ses principaux joyaux. Jaujard peut recevoir Metternich !
L’illusion d’un musée
Le découpage de la France en plusieurs zones incite Jacques Jaujard et le chef du dépôt de Chambord Pierre Schommer à évacuer, pour plus de sécurité, les œuvres en zone libre. Enfermées dans des sarcophages en bois blanc, la Joconde, le Radeau de la Méduse… reprennent la route de l’exil en direction du château de Saint-Blancard (Gers), de Pau, de Montauban et de l’abbaye de Loc-Dieu (Aveyron) où la Joconde ne fera qu’un bref séjour. Des pompes à incendie, des ventilateurs et des appareils de chauffage sont dépêchés sur les lieux pour assurer la conservation des œuvres dans des endroits souvent inadaptés.
Désormais maîtres de la capitale, les Allemands tiennent au rétablissement rapide de la vie quotidienne. Le 29 septembre 1940, le Louvre, bien que vidé de sa substance, rouvre ses portes. Des œuvres sorties des réserves et des copies en plâtre comme la Diane chasseresse et la Vénus de Milo, donnent l’illusion d’un musée vivant.
Jacques Jaujard doit aussi faire face à un nouveau danger malgré la détermination de Wolf Metternich à préserver les œuvres de tout pillage. Déjà, le comte s’était opposé à l’ambassadeur d’Allemagne en France Otto Abetz, ce dernier exigeant le retour des œuvres à Paris. Metternich n’avait pas cédé. Mais que faire contre l’E.R.R. (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg), la tristement célèbre commission Rosenberg, chargée du pillage des œuvres à destination du Reich et qui finit par s’installer au Jeu de Paume et dans le séquestre du Louvre.
Le 23 juillet 1943, six cents tableaux considérés comme décadents sont brûlés dans les jardins du Louvre entre 11 heures et 15 heures sous la surveillance allemande. Rose Valland et Jacques Jaujard ne peuvent que constater les dégâts. 22 000 œuvres seront ensuite spoliées par l’E.R.R. dans les collections privées et publiques.
La reconnaissance et l’indifférence
En novembre 1942, l’invasion de la zone libre par la Wehrmacht oblige Jacques Jaujard et ses collaborateurs à trouver de nouveaux lieux d’hébergement. Direction les châteaux du Quercy : Loubéjac, Montal, Tourette et Bournazel. Les œuvres, dès lors, ne bougeront plus jusqu’à la Libération sans avoir subi de détérioration. Des précautions ont même été prises pour éviter les bombardements alliés en signalant les lieux de dépôt par des messages vus du ciel.
Pendant ce temps, à Paris, lors des combats de la Libération, le drapeau tricolore est hissé sur le Louvre. Dans cette ambiance de joie et de haine collective des premières heures dans Paris libéré, Jacques Jaujard est arrêté par des résistants de la 25ème heure avant d’être libéré.
Il faudra encore quatre longues années pour voir l’ensemble des œuvres retrouver leur place d’origine au Louvre. Jaujard avait bien travaillé, associant patrimoine et patriotisme. Devenu directeur général des Arts et des Lettres en décembre 1944, il est en 1966 débarqué par le ministre de la Culture André Malraux de son poste au Conseil économique et social. Lui restait le sentiment du devoir accompli : avoir sauvé de la disparition ou de la destruction l’énigmatique sourire de Mona Lisa !


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