Le maître de l’air. Clément Ader

A quoi peut penser l’enfant qui suit le cerf-volant virevoltant dans le ciel muretain ? A quel avenir songe-t-il ? A quel destin est-il voué ? Quand Clément Ader voit le jour, la machine à vapeur, la pile de Volta (1800), la photographie de Niepce et de Daguerre (1826), la télégraphie de Morse (1837) et le chemin de fer comptent parmi les inventions majeures de la première partie du XIXe siècle. Mais ni la michaudienne (1861), ni le téléphone de Graham Bell (1876), ni le phonographe de Thomas Edison (1877) n’existent pas encore. Né au cœur de ce siècle florissant, Clément Ader est donc un enfant de la Révolution industrielle. Inventeur obsessionnel et prolifique avant de vouloir devenir maître de l’air. La liste serait trop longue à énumérer ici : machine à relever les voies de chemin de fer ; roues caoutchoutées pour vélocipèdes ; câbles sous-marins ; hydroglisseur ; théâtrophone qui permet d’écouter depuis son domicile les concerts de l’Opéra… L’inventeur s’habille aussi en homme d’affaire. A chaque invention, un brevet est déposé qui lui permet d’asseoir une belle fortune et, ainsi, de pouvoir atteindre son rêve : fabriquer un avion et voler ! Et pour y parvenir, il sait à quelle porte frapper : celle de la famille Pereire, banquier et entrepreneur. C’est d’ailleurs dans le parc du château d’Armainvilliers (Seine-et-Marne), propriété de Gustave Pereire, que Clément Ader, le 9 octobre 1890, à bord de l’Eole, accomplit en grand secret sa première tentative sous les yeux de la famille Péreire et d’un huissier. L’Eole, fait de bambou et toile de lin, s’élance depuis son point de départ matérialisé par des blocs de charbon, prend de la vitesse pour atteindre quarante kilomètres à l’heure. C’est à cet instant précis que l’Eole s’élève de quelques centimètres au-dessus du sol sur une distance de cinquante mètres avant de retomber. Juste un saut de puce mais surtout la consécration de dix-sept ans de travail et de recherche depuis la construction, en 1873, d’un planeur de vingt kilogrammes, réalisé en bois creux et plumes d’oie.

Sept ans plus tard, cette fois sur le terrain militaire de Satory, près de Versailles et sous le sceau du secret militaire, Ader renouvelle sa démonstration. Le premier essai se solde par un échec, le Zéphir étant détruit par un vent trop fort. Mais au cours du troisième essai, le 14 octobre 1897, l’Aquilon prend de la vitesse et décolle ses roues sur trois cents mètres avant de sortir de la piste. Ce sera sa dernière tentative. En 1902, Ader abandonne ses recherches sur l’aviation. Les coûts de fabrication onéreux et l’abandon du projet par l’Armée ont eu raison de sa persévérance. Avec ses deux vols, Clément Ader entrait dans l’histoire de l’aviation en devenant le premier homme à voler sur un plus lourd que l’air. Mais stupeur ! En 1903, les frères Wright, aux Etats-Unis, viennent contester cette suprématie, suivis trois ans plus tard du vol de Santos-Dumont à Bagatelle, officiellement qualifié de premier vol au Monde d’un aéronef plus lourd que l’air. Une controverse qui durera des décennies, menée par des experts de tous bords. Ader se défendra en publiant en 1909 un ouvrage, « L’aviation militaire », dans lequel il évoque ses tentatives et plaide pour un ministère de l’aviation, une industrie et une armée de l’air puissante. Désormais retiré des essais mais toujours curieux, il invente encore le concept du porte-avion devenu, selon lui, indispensable à qui veut maîtriser les mers : « Les navires seront construits sur des plans différents de ceux usités actuellement. D’abord, le pont sera dégagé de tout obstacle : plat, le plus large possible, sans nuire aux lignes nautiques de la carène, il présentera l’aspect d’une aire d’atterrissage. Le mot atterrissage n’est peut-être pas le terme à employer, puisqu’il se trouvera sur mer, nous lui substituerons celui d’appontage. »

Acteur majeur des premiers balbutiements de l’aviation, Clément Ader meurt à Toulouse en 1925, âgé de 84 ans. L’enfant qui regardait virevolter le cerf-volant avait déjà compris que « celui qui sera maître de l’air, sera maître du monde ».

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