Le vrai du faux
Canulars, mystifications, escroqueries : l’histoire est remplie de ces affaires où les apparences l’emportent sur les preuves formelles, montrant combien d’incroyables faussaires peuvent se jouer de la crédulité humaine. De la poudre aux yeux souvent cocasses qui se met parfois au service d’un mensonge d’Etat tel « les faux patriotiques » du lieutenant-colonel Henry.
Le capitaine Alfred Dreyfus se trouve déjà sur l’île du Diable, en Guyane, quand l’officier des services de renseignements Henry, farouche adversaire des dreyfusards, décide de produire un faux document qui écartera définitivement toute idée de révision du procès et apportera une preuve supplémentaire de la culpabilité du capitaine.
L’existence de ce document est produite au procès de Zola et fait l’effet d’un coup de massue pour les défenseurs de Dreyfus. Mais le faux est trop grossier et ne résiste pas à une étude approfondie. Jaurès dénonce devant ses collègues députés « le faux le plus grossier, le plus criant, venu à point pour sauver Esterhazy ».
Le 30 août 1898, Henry reconnaît enfin devant le ministre de la Guerre Cavaignac qu’il a commis un faux, « dans l’intérêt, lui dit-il, du pays ». Un acte patriotique qui lui vaudra les félicitations de la presse d’extrême droite mais aussi l’ire des partisans de Dreyfus.
Henry, lui, s’était suicidé dans sa cellule du Mont-Valérien en se tranchant la gorge, la nuit de son arrestation.
Une fausse tiare…
A la fin du XIXe siècle, outre l’affaire Dreyfus, la France et plus particulièrement le monde scientifique s’agite à propos d’un mystérieux objet archéologique, dite la tiare de Saïtapharnès, toute d’or, retrouvée lors des fouilles d’Olbia, près d’Odessa, par un archéologue russe, Hochmann.
L’affaire est loin d’être mineure si l’on considère que le Louvre a cassé sa tirelire (200 000 francs de l’époque) pour enrichir ses collections. De quoi réjouir les deux antiquaires viennois Vogel et Sczymanski qui viennent d’essuyer un double refus : du musée de Vienne et d’un collectionneur vénitien qui, à la vue de la tiare, a déclaré tout de go :
« Elle est fausse ! »
Les experts du Louvre ont été moins regardants, un rapport de 1896 concluant à son authenticité. Du coup, la tiare de Saïtapharnès, haute de 18 cm et pesant 443 grammes, est promptement exposée galerie des Antiques.
La suite sera moins glorieuse, la bataille d’experts finissant de percer le mystère : la tiare avait tout simplement été ciselée par un faussaire, employé d’un orfèvre d’Odessa. L’info dévoilée, la tiare sera prestement retirée de l’exposition pour gagner une caisse obscure des réserves du Louvre. Quant aux vendeurs, ils seront priés, après procès, de rembourser les 200 000 francs.
… et une Tour Eiffel à vendre !
Sacré Victor Lustig ! Sans aucun doute l’escroc du siècle tant l’affaire est incroyable. Car il faut être un sacré aigrefin et hâbleur pour vendre la Tour Eiffel à cinq ferrailleurs plutôt crédules.
Nous sommes en 1925 ! La Tour Eiffel a mal vieilli ! Il devient urgent de lui offrir un lifting. Ou bien, comme le suggère un journaliste, de la vendre ! Une boutade qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd. Et voilà notre Victor Lustig, originaire de l’Empire austro-hongrois, de se muer en adjudicateur de la ville de Paris, invitant tout ce beau monde de la ferraille à l’hôtel Crillon, le 12 avril 1925, pour les informer d’un marché particulièrement juteux.
« Messieurs, avant toute chose, je vous demande la plus extrême discrétion sur la conversation que nous allons avoir, à la demande expresse du président de la République, M. Gaston Doumergue, et du président du Conseil, M. Paul Painlevé. Il s’agit pour l’instant d’un secret d’Etat qui, s’il s’ébruitait, provoquerait un scandale national. C’est pourquoi je vous reçois ici ; pour la confidentialité, rien ne vaut l’anonymat d’un palace…»
Les cinq ferrailleurs écoutent sans ciller. Face à eux, Victor Lustig joue le rôle de sa vie. Il enchaîne, jouant sur l’effet de surprise :
« Messieurs, je vous informe que la Ville a décidé de vendre la tour Eiffel. »
Pour un coup de tonnerre, c’est un coup de tonnerre ! Les ferrailleurs, le souffle coupé par cette décision, n’ont pas le temps de réagir que déjà Victor Lustig renchérit :
« Son entretien est absolument ruineux pour l’Etat. Vous avez sans doute lu dans la presse le coût faramineux des réparations qu’il faudrait entreprendre pour la maintenir en place. Voilà, messieurs, 7000 tonnes de fer au plus offrant d’entre vous. »
Diable ! Sept mille tonnes de fer à démonter et à réutiliser ! L’affaire du siècle ! De quoi leur fournir du travail pour plusieurs mois. Cinq jours leur sont attribués pour faire parvenir leurs propositions sous scellées au Crillon. Pas un de plus !
« Et pas un mot d’ici notre prochaine entrevue », conclut Lustig en prenant congé.
Cinq jours plus tard, les scellés livrent leur verdict. En comparant les propositions, Victor Lustig ne peut s’empêcher d’esquisser un vaste sourire. Le plus offrant est André Poisson !
« Une belle prise, ma foi », ironise l’escroc.
Pour garantir l’emprunt souscrit, le ferrailleur a dû hypothéquer son hôtel particulier. Du coup, en échange de son titre de propriété, il n’hésite guère à signer un chèque en blanc, ajoutant même, selon la coutume que Lustig ne manque pas de lui rappeler, une belle commission à son adresse.
« Je vous contacterai dans quelques jours pour mettre au point tous les détails de notre entreprise. En l’état, continuez à être discret. »
Pour Victor Lustig, l’heure est venue de vider les lieux au plus vite tout en prenant le temps de passer par la banque pour toucher les deux chèques. Quelques heures plus tard, l’Orient Express l’emporte vers Vienne ! Le fils prodigue ou indigne, selon qu’on considère ses petites affaires lucratives, est de retour au pays !
Quant au malheureux monsieur Poisson, il s’apercevra vite de la carambouille qui vient de se jouer sur son dos. N’ayant pas eu de nouvelles de ses deux interlocuteurs, il s’est rendu directement à la tour Eiffel où, devant les gardiens goguenards, il apprend que le monument n’est pas à vendre ! Pour preuve, les ouvriers ont entamé depuis plusieurs semaines son nettoyage en vue de le repeindre !
Il ne reste plus au pauvre Poisson que d’aller noyer sa honte et son chagrin dans la solitude, évitant de dévoiler l’escroquerie dont il aurait été pour sûr la risée de la presse et de l’opinion.


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