Léno, l’étoile filante. Hélène Boucher
30 novembre 1934. Un jour comme un autre pour Hélène Boucher. Un jour comme elle en a tant vécu depuis quatre ans et son premier baptême de l’air. Sa seconde vie : voler de ses propres ailes. Ce jour-là donc est un jour d’essai. Presque la routine pour celle qui appartient, avec Maryse Hilsz, Maryse Bastié et Adrienne Bolland, aux trois Mousquetaires aviatrices. Presque car ce jour-là, un brouillard tenace flotte sur la campagne de Guyancourt. La visibilité est faible au point que son coéquipier lui déconseille de décoller. Après tout, ce n’est qu’un essai. La démonstration doit se dérouler le lendemain. Inutile de prendre des risques. Mais Hélène Boucher n’en démord pas. Elle veut voler. Un désir irrépressible qui l’étreint depuis la mort d’un pilote ami, crashé en plein vol en 1930. Une mort qu’elle ressent comme une injustice. « Il faut effacer cette mort. Reprendre le flambeau » s’écrie-t-elle alors. Elle aussi volera. Elle aussi affrontera le danger. Hélène Boucher n’a que vingt-deux ans. Sa vraie vie commence. Celle de Léno se termine. Celle qui a vu, gamine, les zeppelins prussiens survoler Paris ; qui a entendu le grondement de la Grosse Bertha menaçant la capitale avant de la quitter pour une province plus sûre. Celle qui, encore adolescente mais déjà femme, passe ses permis moto et auto. Quitte le bastion familial pour apprendre l’anglais sur l’île de Wight. Déjà la volonté et l’ambition de forger son destin. De faire fructifier le terreau dans lequel elle veut s’épanouir. Loin des conventions et d’une vie bien rangée ou insouciante dans cette France ambivalente qui pleure ses millions de morts ou qui danse la paix en farandole effrénée. La France Bleu Horizon face à la France des Années Folles. Léno n’appartient ni à cette France de l’après-guerre réfugiée dans le noir du deuil, ni à celle vautrée dans le désoeuvrement des nuits folles et des jours sans fin. Léno chasse l’ennui dans l’action. Se forge des convictions. La femme n’a pas le droit de vote. Elle milite en faveur. « Les femmes ne gagnent le respect des hommes que lorsqu’elles sont très bonnes », affirme-t-elle. Elle sera très bonne. Meilleure même. L’aboutissement de son opiniâtreté. Parfois à la limite du danger comme ce jour du 30 novembre 1934 où personne n’est capable de la dissuader de rester à terre. D’empêcher l’étoile de l’aviation de s’envoler. Quand on détient tant de records ; quand on reçoit tant d’honneur ; quand on a volé de Paris à Bagdad ; quand on voltige à en perdre la mesure et les sens, ce n’est pas un brouillard, fut-il épais, qui empêchera Hélène Boucher de décoller.
Alors la voilà qui s‘avance avec son sourire charmeur. Sûre d’elle. Sûre de son Caudron C430 Rafale. La terre est à ses pieds. Le Ciel, même enseveli de nappes brumeuses, lui offre son immensité. Son horizon infini. La liberté. Seule aux commandes. L’avion s’envole. Disparaît dans la ouate. Une erreur de pilotage. Les cimes des arbres qui transpercent tout à coup la brume. Agrippent de leurs branches dénudées l’avion, qui s’écrase sur le bord d’une route départementale. La mort viendra la chercher quelques minutes plus tard, dans l’ambulance fonçant vers l’hôpital. La Nation lui offrira des obsèques à la mesure de sa réputation. Aux Invalides. Une première pour une femme. Pour son record d’altitude à 6100 m ? Pour son record du monde de vitesse sur 1000 km à plus de 445 km/h ? Pour ses ballets aériens ? Sans aucun doute. Mais surtout parce qu’elle symbolise la femme de l’entre-deux-guerres, en avance sur son temps, et qui sera celle de l’après-guerre. Qui votera. S’insurgera. Se libèrera. Même si elle fut une étoile filante brillant au firmament avant de s’éteindre.


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