Les pierres volantes de Pruns. 1922

 

En plein XXe siècle, le plateau du Lévézou défraya la chronique en accumulant quelques manifestations extraordinaires qui, même si elles demeurent inexplicables aujourd’hui, émurent les témoins. D’autres haussèrent les épaules, en s’exclamant :

-Aquo es la Fusica !

« Quès aquà ? » Appelons Henri Pourrat à la rescousse : « La Physique (on prononce la Phusique), c’est le prodige : tout ce qui semble passer l’ordinaire pouvoir humain mais qui peut être le fait d’un habile physicien, d’un prestidigitateur, d’un enchanteur ». Autrement dit, un farceur. Mais pour bon nombre de gens, trèves et lutins inspiraient la crainte plutôt que la plaisanterie, considérant qu’ils avaient affaire avec des âmes tourmentées, voire à quelque diablerie. Il est évident que ces phénomènes, qualifiés aujourd’hui de paranormaux, se produisaient selon des scénarii rituels qui mêlaient terreur et merveille : les bêtes à l’écurie donnent l’alerte en pleine nuit en agitant leurs chaînes jusqu’à les rompre. On a vu des chevaux danser la « crousade » sur les toits de la grange, ou bien des chars emplis de gerbes qui s’enflammaient « e comprenian pas cossi aquà s’alucava » ! (« on ne comprend pas comment elles s’allumaient » !). N’omettons pas les fantômes et autres feux follets. Ainsi, les trèves inspirèrent une sorte de terreur familière jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

La « maison hantée » de Pruns, habitée aujourd’hui par M. Ginestet, a défrayé la chronique des faits divers au début des années 1920. C’est ici que son épouse, Marie Veyrac, alors âgée de douze ans, fut le premier témoin d’un événement qui fit grand bruit dans le canton de Pont-de-Salars, jusqu’à nous parvenir grâce à la mémoire de Paul Singla, ancien maire de Canet-de-Salars.

Un soir de l’automne 1922, en compagnie d’une fillette de l’Assistance publique placée dans la famille, Marie Veyrac puisait de l’eau au puits de la maison. Soudain, une grêle de cailloux « jaillit du puits » ! Affolées, les gamines se réfugient dans l’oustal tout proche. Les parents, après avoir calmé les victimes, mettent l’événement sur le compte des voisins que l’on a vu occupés à ramasser des pommes et qui se seront amusés à expédier des projectiles par-dessus la haie. « Aquà es la Fusica ! » La plaisanterie fait le tour du hameau. Les voisins nient farouchement le bombardement qu’on leur attribue. Qu’à cela ne tienne ! Des petits bohémiens rôdent dans les parages et on sait bien qu’ils sont prompts à jeter des cailloux ! Mais, peu de temps après, les parents de Marie sont réveillés en pleine nuit par un vacarme épouvantable. « Tot en cop tombet de rocs sus la taula ! » Vérification faite, le jour venu, ils constateront que la toiture ne porte aucune trace de coups. Mais autour de la maison gisent de nombreuses pierres « toutes marquées comme au marteau » ! Il n’est plus question de « Fusique » du côté de Pruns. Et on évoque « las Trévas » lorsque, plus tard, la grêle de cailloux ne se contente plus de rebondir sur la toiture mais transperce (toujours sans les abîmer) lauzes, charpente, planchers du galetas et de l’étage pour atterrir dans la salle commune ! Et, raconte M. Ginestet avec une tranquille assurance, « Les pierres tombaient sur la table, comme au ralenti… » Le phénomène s’étant reproduit plusieurs fois a été constaté par maints témoins dont un qui affirmait avoir vu les cailloux jaillir du sol pour frapper le dessous de la table.

Un fier à bras, qui ne croyait ni à Dieu ni à Diable, vint à Pruns, armé de son fusil de chasse à double canon, histoire de « débusquer le mauvais farceur » (on espère que les cartouches étaient garnies au gros sel). A peine avait-il mis les pieds dans la maison que le matamore se retrouva au sol, terrassé par un souffle aussi puissant qu’incompréhensible.

Depuis ces événements, la plupart des témoins ont disparu. A ceux qui s’en souviennent, nos esprits rêveurs s’étonnent que personne n’ait songé à conserver le moindre caillou, marqué du mystérieux stigmate. Quand on en fait la remarque à M. Ginestet, il se dit humblement incapable d’expliquer l’inexplicable.

-C’est ma femme qui a vécu ça quand elle était jeunette !

Sous-entendu : ça ne peut être que vérité. La fatalité paysanne face aux manifestations extraordinaires ressemble fort à une humilité de bon aloi. Il n’empêche, les pluies de pierres ont mis en émoi tout un canton du Lévézou, il y a seulement soixante-seize ans de cela. Hélas, aucun renseignement dans les quotidiens aveyronnais de l’époque ne vient en rapporter les faits.

Les contemporains du phénomène eurent recours à l’Eglise puisque l’administration publique, farouchement rationaliste, n’est guère familiarisée avec les choses de l’au-delà. L’affaire remonte donc jusqu’à l’évêché de Rodez qui envoie un « prêtre exorciste » sur place (la fonction perdure mais il semble qu’elle a peu l’occasion d’exercer). Mais après une courte accalmie, le phénomène ressurgissant, le curé de Canet-de-Salars suggère un conseil étonnant :

-Ces phénomènes s’arrêteront quand la petite bonne aura quitté les lieux !

Aussitôt dit, aussitôt fait ! On ne conserve pas chez soi une personne qui peut avoir le mauvais œil. Les parents de Marie Veyrac se séparèrent de la fillette. A partir de là, plus personne n’entendit parler des pierres volantes, ni de la gamine de l’Assistance publique. Ce n’est que quelques années plus tard que des faits différents mais tout aussi étranges enflammèrent les esprits des habitants du lieu de Frayssinous, à quelques kilomètres de là.