Les Républicains contre le coup d’état du Prince-Président. Décembre 1851
L’Aveyron, en cette fin d’année 1851, demeure un département conservateur où prévalent l’ordre et l’autorité. Un département où les multiples fêtes religieuses rythment plus souvent la vie des citadins et des villageois que les manifestations d’hostilité au pouvoir. Un département qui a voté majoritairement pour Louis-Napoléon à l’élection présidentielle de décembre 1848. Un département dont le juge de Vérot affirme en 1851 « qu’il est un bon département, toujours dévoué à la cause de l’ordre ».
De leur côté, les Républicains ne cèdent pas un pouce de terrain aux idées revanchardes des bonapartistes et des monarchistes, le plus souvent par l’intermédiaire de leur organe de presse, fondé par Louis Bouloumié et Louis Oustry : L’Aveyron Républicain.
Le 1er décembre 1851, Louis Caussanel, l’un des leaders républicains, négociant à Villefranche-de-Rouergue, fait part de son inquiétude d’un coup d’état imminent à ses amis alors que les rumeurs les plus folles courent dans Paris. Le lendemain, chez l’avocat Bouloumié, un comité de résistance composé de onze républicains décide en cas d’urgence de concentrer toutes leurs forces sur Rodez afin d’empêcher les pouvoirs politique et militaire de passer à l’action.
A la même heure, le coup d’état éclate à Paris ! La nouvelle, le 3 décembre, fait l’effet d’une bombe. Aussitôt, trois Républicains du Comité de Résistance partent cueillir les informations officielles à la préfecture qui confirme le coup d’état du président Bonaparte.
La réaction ne se fait pas attendre. Aussitôt, une centaine de républicains se dirige vers la préfecture, y pénétrant sans rencontrer aucune résistance. Stupéfiant ! Le lieu n’est même pas gardé. Le préfet Fluchaire a-t-il mésestimé les capacités de réaction des Républicains ? Ou bien lui-même est-il surpris par la dépêche gouvernementale qu’il vient de recevoir ? Toujours est-il que le préfet n’est entouré que du Général commandant la gendarmerie, de deux conseillers et du personnel de la préfecture.
Les Républicains tiennent alors un poste clé dans la direction du département mais la force armée leur échappe encore. Les bataillons républicains de Castanet, de Sauveterre et de Marcillac n’ont pas bougé et les faubourgs de Saint-Cyrice et du Monastère tardent à se soulever. Les discussions qui s’engagent sur la suite à donner au mouvement ralentissent le processus de résistance. Au refus des autorités de reconnaître le Comité de Résistance et de quitter leurs postes, les Républicains hésitent sur la conduite à tenir. Ce dont profitent les forces armées et la gendarmerie pour intervenir. Sous la direction du commissaire de police de Rodez Hébert, les gendarmes se transportent à 11 heures du matin dans la cathédrale de Rodez où le jardinier Vayssade, l’imprimeur Falq, le courtier Jean Crespi et François Dalous du Monastère viennent de sonner le tocsin pour ameuter la population. A quelques mètres de là, l’apparition de la force publique à la Préfecture provoque le repli immédiat de la foule et des membres du Comité vers le café du Commerce où ces derniers s’érigent en Commission Constitutionnelle provisoire, proclamant aussitôt par voie d’affiche :
« La Commission constitutionnelle provisoire
Du département de l’Aveyron,
Aux habitants du département de l’Aveyron,
Citoyens,
Un pouvoir traître et parjure a porté sur la constitution une main sacrilège.
L’Assemblée Nationale a été dissoute par le Président de la République pour n’avoir pas voulu servir son ambition.
Nous avons pris l’initiative d’une résistance à la force ; le droit est avec nous, vous serez avec le droit.
Le Pouvoir est échu de fait ; ses agents essayent de s’imposer encore à vous, peut-être essayerons-ils de pousser contre vous, vos frères armés, les soldats.
Quand le moment sera venu, nous serons au milieu de vous.
Défiez-vous des agents provocateurs qui chercheront à amener une collision entre la troupe et vous.
Nous rendons les autorités responsables des événements.
Vive la République ! Vive la Constitution ! »
La population, pourtant, ne bouge pas. Seuls, à Marcillac, quelques hommes menés par le médecin Garrigues s’emparent de force des fusils déposés à la mairie, font sonner le tocsin puis se dirigent vers Rodez. Arrivés place de la Cité, ils sont rapidement dispersés par la troupe et se réfugient au Monastère. L’armée et la gendarmerie tenant la ville, les perquisitions peuvent commencer. A 18 heures, l’imprimerie Ratery est occupée et fouillée. Alertée, la Commission se réfugie à la brasserie Anglade, au faubourg Saint-Cyrice, gardée par une milice d’ouvriers en armes.
Le lendemain, 4 décembre, les Républicains gardent confiance en apprenant que des troupes venant de Castanet, Sauveterre et Rignac marchent sur Rodez. En vain ! Mal armées, sans véritables objectifs, ces troupes n’iront pas plus loin que Le Monastère. L’exemple de Rignac est révélateur : face aux 40 à 50 hommes menés par Caussanel, le maire leur oppose ses paysans armés qu’il vient d’appeler à la rescousse et qui font rapidement reculer les insurgés, blessant d’un coup de poignard leur chef Caussanel. La situation au soir du 4 décembre est désespérée mais les membres de la Commission ne s’en aperçoivent pas encore. Le lendemain, ils rédigent encore un arrêté à l’adresse du préfet et du général commandant la force départementale. En signature les noms de Marcillac, Oustry, Pons, Mazenq, Labarthe, Roques, Duriol, Baurez, Durand de Gros J-A, Galtayriès, Bouloumié, Guibert.
Chargé de l’apporter à la préfecture, Mazenq et Guibert sont arrêtés sur-le-champ. A 11 heures, le commissaire de police François-Auguste Hébert accompagné d’une brigade de gendarmerie et d’un piquet de troupes de ligne se transportent au domicile d’Anglade fils, brasseur au faubourg Saint-Cyrice. Dans une chambre du premier étage, six membres de la Commission sont en séance : l’avoué Labarthe, le rentier Baurès, le fondeur Roques, le banquier Galtayriès, l’avocat Pons et l’agronome Durand de Gros. Cernés de toute part, ils se rendent sans opposition. Labarthe, le premier, prend la parole : « Il n’existe point de gouvernement aujourd’hui ; la Victoire est à nous ; évitons l’effusion de sang car ce n’est que pour un moment que nous devons être détenus », précisant même que l’avocat Bouloumié se joindrait à eux.
A l’extérieur, les événements se précipitent. Louis Oustry, Duriol fils de Rodez et Marcillac, limonadier à Millau, sont reconnus et arrêtés à leur tour. Entourés d’hommes en armes, les prisonniers se mettent en marche depuis le faubourg pour rejoindre le centre-ville. Labarthe, Durand de Gros et leurs compagnons s’écrient à haute voix devant une foule de plus en plus nombreuse et menaçante : « Vive la Constitution ! Vive la République ! ». Alors qu’ils semblent pouvoir être délivrés, ils crient à la foule : « Laissez-nous captifs, nous ne voulons point qu’on nous délivre ; restez tranquille, nous ne serons pas longtemps en leur pouvoir ». Arrivés au milieu de la rue des Embergues vers la Bullière, la foule attaque les soixante hommes du 13e Régiment léger et la brigade de gendarmerie. Roques est délivré et réussit à s’enfuir. Ses compagnons arrivent tant bien que mal à la caserne où ils sont remis aux autorités militaires.
Au même moment, la gendarmerie perquisitionne au domicile de Lacombe, bourrelier à Saint-Cyrice. Des armes cachés sous les lits et appartenant à la mairie de Marcillac sont découvertes ; dans une pièce contigüe, quinze individus revêtus de l’uniforme de la Garde Nationale sont arrêtés. En sortant de la maison, une foule de femmes et d’ouvriers se précipitent sur les gendarmes pour délivrer les prisonniers ; une lutte s’ensuit après laquelle les gendarmes sont obligés de lâcher les détenus.
Pourtant, s’en est bien fini de l’insurrection aveyronnaise ! Malgré ces derniers soubresauts, le grand soulèvement attendu ne s’est pas produit ! Espérance trop naïve ? Mauvaise coordination entre les groupes ? Divergences idéologiques entre les Républicains, comme cela semble le cas entre J-A Durand de Gros et Caussanel ? Estimation erronée des capacités des autorités à mener à bien le coup d’état ? Un peu de tout cela certainement. Preuve aussi que le mouvement dans son ensemble fut plus une réaction d’humeur – on pourrait dire d’honneur également – qu’une insurrection organisée et préparée à l’avance, ne regroupant jamais plus de trois cents hommes sur le département, mal armés et peu enclins à en découdre. Ainsi à Sainte-Juliette où quelques hommes, recrutés par Azémar, refusent de le suivre car non soldés.
Les insurgés arrêtés, trois chefs d’inculpation leur sont notifiés : excitation à la guerre civile pour trente-quatre d’entre eux ; neuf autres détenus se voient aggravés de complot contre l’état. Neuf membres de la Commission sont accusés d’usurpation de fonction publique, d’outrages avec violences envers un fonctionnaire public dans l’exercice de ses fonctions et d’excitation à la guerre civile. Douze inculpations relèvent d’un caractère particulier. Ainsi, Assier de La Selve, suite à une dénonciation, est accusé d’avoir arboré sur le clocher de cette localité un drapeau rouge, le 4 et 5 décembre. L’acte de rébellion, le vol de dépêches gouvernementales et les tentatives de soulèvement de la population sont autant de motifs pour se voir emprisonnés et interrogés dès le 8 décembre par le juge d’instruction Boubal.
Les catégories socioprofessionnelles des inculpés donnent un aperçu intéressant de la propagation des idées républicaines dans la société aveyronnaise. Trente d’entre eux sont issus de l’artisanat, habitent principalement Rodez et pour la plupart au faubourg Saint-Cyrice. Vingt agriculteurs viennent pour l’essentiel de Castanet, Marcillac et Sauveterre. Les professions libérales, enfin, représentent dix-neuf personnes. Minoritaires, elles jouent un rôle majeur dans la direction de la Commission. Sur seize de ses membres, sept en sont issues auxquelles s’ajoutent Durand de Gros, Louis Caussanel et Ramondenc qui en sont très proches de par leur position sociale.
L’âge des inculpés reflète les trois générations de républicains depuis 1789. Louis Oustry représente cette catégorie de jeunes gens qui eurent 20 ans en 1848. « Une génération qui s’était abandonnée à tous les rêves démocratiques et humanitaires et qui devait se jeter, par réaction, dans un positivisme étroit, découragé et désenchanté. François Mazenq et Louis Bouloumié appartiennent à cette classe des trente-cinquante ans, largement majoritaire dans le mouvement de décembre. Ceux que l’on appelle les républicains de la veille comme J.-A. Durand de Gros avaient contesté sans répit les bonapartistes et les légitimistes. Vieilles barbes de la République que rien ne peut faire changer d’avis.
Les commissions mixtes, « ces infâmes tribunaux sans exemple dans notre histoire » selon François Mazenq, instituées en vertu de la circulaire du Ministre de l’Intérieur, sont chargées de juger et frapper sans pitié les prisonniers. Le général de Sparre, commandant la division militaire, le procureur général près la cour d’appel de Vérot, auxquels se joint le préfet Fluchaire composent ce tribunal d’exception qui prononcent des sanctions démesurées ainsi que l’écrit le député de la circonscription de Rodez, De Barrau, pourtant très conservateur : « Les accusés étaient jugés sans comparution, sans défense, sur les pièces écrites et par un tribunal opérant à huis-clos. Les garanties accordées aux accusés dans l’ordre de la justice légale n’existaient donc pas… Les membres de la Commission étaient juges et parties… Il n’était jamais venu à la pensée d’aucun pouvoir de faire juger des prévenus par ceux qui en avaient reçus les plus graves offenses. Cette manière d’agir est non seulement contraire aux règles de justice, mais elle blesse encore tous les sentiments d’humanité. »
Sur les 163 suspects arrêtés, 31 (dont Caussanel, Durand de Gros, François Mazenq, Louis Oustry, Louis Bouloumié, Marc Isidore Boisse) sont condamnés à la déportation en Algérie avec internement dans un camp. 78 rejoignent également l’Algérie avec liberté pour le lieu de résidence. Mais seuls 71 sur les 109 subissent la peine, les autres ayant réussi à s’enfuir ou à faire atténuer leur peine, comme Louis Bouloumié, seulement exilé en Espagne Enfin, la Commission prononce 9 expulsions du territoire, 15 internements, 18 placements sous surveillance policière et 10 renvois en correctionnelle.
En février 1853, la plupart des condamnés reviennent en France, gracié par Napoléon III à l’occasion de son mariage. J.-A. Durand de Gros sera le dernier à rentrer, en 1857, ayant refusé toute grâce ! Il faudra attendre 1870 et le rétablissement de la République pour voir les condamnés aveyronnais réhabilités et toucher une pension viagère à titre de réparation nationale.
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