Les trésors disparus de Montségur
Combattus par les troupes royales, pourchassés par l’Inquisition, les derniers Cathares se réfugient dans le nid d’aigle de Montségur. La plupart finiront sur le bûcher. Quelques-uns seraient parvenus à s’enfuir, entretenant le mythe du trésor des Cathares.
Montségur fascine !
Par sa géographie d’abord, perché à 1207 mètres d’altitude sur son pog et se confondant avec la roche calcaire qui sert au château de remparts naturels… nid d’aigle à première vue imprenable, aux carrefours des voies menant vers Toulouse, Carcassonne ou Perpignan, là où le catharisme s’est implanté avant de succomber à la répression menée par les Croisés et par l’Inquisition.
Par les nombreux mythes, ensuite, tissés par des historiens et des écrivains férus d’ésotérisme sur ce lieu encore empreint de bien des mystères.
L’Histoire avant les mythes
28 mai 1242. Le soleil décline à l’horizon quand quarante faydits (hommes d’armes) quittent Montségur, renforcés, à l’approche du village d’Avignonet, par vingt-cinq hommes armés venant du village de Gaja.
Quelques jours plus tôt, leur chef, Pierre-Roger de Mirepoix, commandant de la place-forte cathare de Montségur, a appris l’incroyable nouvelle : le tribunal de l’Inquisition, avec à sa tête Guillaume Arnaud, la terreur du Lauragais, s’est installé, sans escorte ni arme, avec huit compagnons, au château d’Avignonet, non loin de Castelnaudary.
Pour les conjurés cathares, l’occasion est trop belle d’assouvir leur vengeance et de réduire à néant ce tribunal qui inspire tant de crainte aux populations du Midi. Ils savent pouvoir compter sur la complicité de Raimond d’Alfar, sénéchal du comte Raimond VII et de quelques complices voués à leur cause.
De fait, quand la soixantaine d’hommes pénètre, à la nuit tombée, dans Avignonet, un écuyer les attend devant la porte du château, chargé de les conduire dans la pièce où reposent les Inquisiteurs.
Surpris dans leur sommeil, sans moyen de se défendre, les prélats n’ont plus qu’à confier leurs âmes à Dieu en chantant le Te Deum. Successivement, Bernard de Roquefort, Etienne de Thibéry, Raymond de Carbonnier, l’archidiacre Raymond Escriban, son clerc Bernard, Pierre Arnaud, Fortanier et Aymard sont abattus à coups de hache. Deux autres hommes, Garsias d’Aure et un moine de l’abbaye Saint-Michel de la Cluse, qui n’appartiennent pas au tribunal, subissent le même sort. Les faydits s’acharnent surtout sur Guillaume Arnaud. Son crâne brisé, il agonise quand Guillaume de Plaine lui arrache la langue pour lui faire expier ses jugements et ses horreurs.
Les dix corps exsangues, les conjurés s’emparent des registres sur les enquêtes en cours avant de quitter Avignonet.
Si le Midi se trouve provisoirement débarrassé de l’action inquisitoriale – les Dominicains refusent un temps de se rendre dans la région par crainte d’y subir le même sort – la réaction papale est à la mesure de l’affront qui lui est fait. Innocent III prononce l’excommunication du comte Raimond VII, commanditaire dans son esprit de l’assassinat collectif d’Avignonet, et de plusieurs de ses vassaux. Quant à Montségur, son sort est scellé.
« Cette synagogue de Satan doit être détruite », fulmine-t-il. Une décision entérinée lors du concile de Béziers. Ordre est donné au sénéchal de Carcassonne, Hugues des Arcis et à l’évêque de Narbonne, Pierre Amiel, de conduire une armée – qui varie entre six mille et dix mille hommes selon les sources – mettre le siège devant Montségur le temps nécessaire à la chute de la forteresse.
Comment a-t-on pu arriver à une situation où la haine appelle la vengeance dans une guerre qui mêle ambition politique et rivalité religieuse ?
« Tuez-les tous…
Entre le VIIe et le IXe siècle, un courant gnostique se développe en Orient avant de gagner l’Europe dès la fin du Xe siècle où il essaime de la Bulgarie au midi de la France. En dépit des condamnations des conciles de Reims (1148) et de Vérone (1184), le catharisme – de catharos qui signifie pur – ne cesse de progresser dans le comté de Toulouse où les Parfaits reçoivent le soutien du comte de Toulouse Raimond VI et de ses vassaux.
Plus que leur doctrine, qui oppose un Dieu du Bien – monde immatériel – à un Dieu du Mal – en l’occurrence Satan, créateur de la Terre – c’est la vie austère et simple des Parfaits qui impressionne les populations, contrastant avec l’opulence de l’église catholique. Se greffe à cette question religieuse, une volonté politique d’annexer à la couronne royale cette province du Midi qui échappe encore à son autorité.
Vingt ans de guerre et d’exactions suffiront à faire plier les hérétiques et les troupes fidèles au comte Raimond VI. Ordonnée par le pape Innocent III et relayée par le roi de France Philippe II Auguste, grand rassembleur des terres françaises, la croisade débute en 1209 par un massacre qui jète l’effroi au sein des populations du Midi. Dans Béziers assiégée, où vivent deux cents Cathares, les troupes commandées par Simon de Montfort ne font pas de détail, passant au fil de l’épée près de vingt mille habitants, confondant même hérétiques et catholiques comme le révèle le témoignage du moine cistercien Césaire de Heisterbach : « Alors que les hérétiques étaient providentiellement terrifiés et perdaient pied, ils ouvrirent les portes à ceux qui les suivaient et prirent la ville. Apprenant que les catholiques étaient mêlés aux hérétiques, ils dirent à l’abbé (de Cîteaux) : “Que devons-nous faire seigneur ? Nous ne pouvons distinguer les bons des mauvais.” L’on rapporte que l’abbé, craignant que ceux qui restaient fissent semblant d’être catholiques par peur de la mort et ne revinnsent après leur départ à leur perfidie répondit : “Tuez-les tous ! le Seigneur reconnaîtra les siens”. »
La chasse aux hérétiques est lancée. L’Inquisition impose la terreur des bûchers où sont jetés les cathares qui refusent d’abjurer leur foi. Elle trouve un premier aboutissement en 1229 quand le traité de Paris livre le Midi à la couronne de France. Mais le catharisme est loin d’être mort et ressurgit dans les années 1230. Montségur devient alors le symbole de cette résistance, tel un outrage au Roi de France Saint Louis et au pape Innocent IV.
Le siège de Montségur
Si l’occupation du site de Montségur est largement antérieure au début du XIIIe siècle, c’est au vassal du comte de Foix, Raimond de Péreille, que l’on doit le château qui se dresse devant les dix mille croisés chargés de mettre le siège, en mai 1243.
A l’intérieur de ce camp retranché, devenu au fil du temps un centre spirituel du catharisme, vivent près de deux cents Parfaits et Parfaites, protégés par le clan seigneurial de Raymond de Péreille, les chevaliers rebelles (les faydits) et les soldats – une centaine d’hommes – auxquels incombe la défense militaire de la place-forte. Mais l’atout majeur de Montségur est sans conteste son piton qui le rend presque imprenable, empêchant toute installation de catapultes à portée de ses murs du fait du relief trop abrupt.
Presque, dirons-nous, car après neuf mois de combats infructueux, une ruse – le jour de Noël peut-être – permet aux Croisés de prendre pied sur une petite terrasse où les Cathares ont implanté un poste de défense avancé. Prestement assemblées, les catapultes ne cessent dès lors de bombarder les murs, les Croisés tentant plusieurs assauts infructueux pour conquérir le château. Mais les Cathares résistent, résistent encore malgré leur faible effectif. Des tentatives de sortie pour échapper au piège échouent. Affaiblis par les combats et par le manque de ravitaillement en eau et en vivres, les Cathares finissent par céder.
Le 1er mars 1244, Pierre-Roger de Mirepoix négocie avec Guillaume d’Arcis leur reddition qui tient en quatre points : la liberté et la vie sauve pour les catholiques et les cathares qui abjureront leur foi ; la promesse qu’il n’y aura pas de pillage, notamment aux dépens des populations civiles et un délai de quinze jours pour permettre l’acceptation de ces conditions.
Abjurer leur foi ? Pour les Cathares, il n’en est pas question. Mieux vaut périr sur le bûcher. En attendant son expiration, ils mettent à profit la trêve pour sortir de la forteresse ce que les historiens et les romanciers de tout poil appelleront plus tard les trésors de Montségur.
Les trésors de Montségur
Comme pour le trésor des Templiers, celui des Cathares a fait couler beaucoup plus d’encre que d’or et d’argent retrouvés. Cependant, si l’on fait exception de théories plus ou moins fumeuses – le précieux Graal, la coupe qui aurait récupéré le sang du Christ, en est une – il demeure fort vraisemblable que les Cathares retranchés à Montségur étaient susceptibles de conserver une forte somme en or ou en argent, accumulée au fil des ans, leur permettant d’assurer leur quotidien. A en croire une chronique de l’époque, un premier trésor quitte clandestinement Montségur à la Noël 1243, profitant d’un relâchement de la surveillance. Au parfait Mathieu et à son diacre Bonnet de le conduire en lieu sûr : à Crémone (Italie) où vit une communauté cathare. Quant au second trésor, nul ne sait réellement en quoi il consistait et en quel lieu il fut caché. Peut-être ne s’agissait-il pas de numéraires mais les textes de la foi cathare que les Parfaits ne désiraient nullement voir tomber entre les mains de l’Inquisition. Toujours est-il que, la veille ou les jours précédant la fin de la trêve, Amiel Aicart, Hugo, Poitevin et Sabatier, quatre Parfaits désignés par leur pair, se laissent glisser à l’aide de corde, profitant de la nuit, le long des parois vertigineuses de la falaise avant de gagner le Sabarthès. « Ceci fut accompli, rapporte un témoin à l’Inquisition, afin que l’Eglise des hérétiques ne perde pas son trésor. » Dès lors, leurs traces se perdent, ouvrant la voie à de multiples hypothèses dont la plus fameuse est la découverte de ce trésor par l’abbé Saunières (Voir le chapitre sur Rennes-le-Château). Quant aux multiples chasseurs de trésor, leur opiniâtreté à creuser est proportionnelle à l’absence de toute découverte tangible.
Pour les assiégés demeurant à Montségur, la fin sera dramatique. Quand, le 16 mars 1244, les portes du château s’ouvrent, entre deux cents et deux cent quinze bonshommes qui refusent d’abjurer leur foi sont arrêtés. Le bûcher les attend. Là encore, les avis divergent. Est-ce au pied de la forteresse, au lieu-dit « Prats dels Cremats », que monteront vers le ciel les flammes de la victoire des Croisés ? Ou bien, à quelques soixante kilomètres de Montségur, au village audois de Bram ?
Le château, de son côté, ne sera pas détruit comme l’exige la tradition inquisitoriale vis-à-vis des lieux qui ont hébergé des hérétiques. Profitant de sa position stratégique, il est confié par le Roi à Guy de Lévis qui le remaniera profondément, faisant disparaître presque tous les éléments contemporains aux Cathares.
Par la suite, les derniers bastions de cette religion tomberont les uns après les autres, à l’image du nid d’aigle de Quéribus, en 1255.
Un demi-siècle avait été nécessaire pour extirper l’hérésie cathare de toute la région de l’Occitanie. Huit siècles n’ont pas suffi à éteindre les mythes. Quant aux trésors, il reste tant à fouiller que bien des histoires peuvent encore s’écrire à leur sujet.
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