Louis de Bonald. Dieu, le Roi et la famille
Le 22 décembre 1735 est jour de gloire et de reconnaissance pour les lettrés du Rouergue. Un des leurs, l’abbé Joseph Séguy, est reçu à l’Académie française. Auteur du discours pour le panégyrique de saint Louis et lauréat du prix de poésie trois ans plus tôt, il est le premier rouergat à entrer sous la coupole. Une élection que les mauvaises langues attribuent plus à ses relations familières avec la maréchale de Villars et le cardinal de Fleury qu’à son talent littéraire. Il précède alors Claude-Louis Auguste Fouquet, duc de Belle-Isle, né à Villefranche-de-Rouergue, élu en 1749 et Jean-Armand de Bessuéjouls, comte de Roquefeuil, originaire de Lassouts, élu en 1771. Quand ce dernier décède en 1818 après 47 ans de présence, cette « gazette vivante » côtoie un autre Aveyronnais, le vicomte Louis de Bonald, élu deux ans plus tôt.
Issu d’une famille de la vieille noblesse française, Louis de Bonald naît à Millau, le 2 octobre 1754. Eduqué dans les principes de l’absolutisme et dans les vertus du catholicisme, le jeune Louis envisage d’abord une carrière militaire avant d’être obligé de revenir sur ses terres millavoises, son régiment ayant été dissous. A 31 ans, il est nommé maire de Millau, poste qu’il conserve au début de la Révolution tant son dévouement et son intégrité sont appréciés de ses concitoyens. Si de Bonald ne se montre pas hostile aux premiers mois de réformes, il se déclare fortement opposé à la Constitution civile du clergé et démissionne de son poste en 1791. Il écrit : « …les révolutions sont les maladies du corps politique ; et dans le corps politique comme dans le corps humain, la nature lasse de parler à qui ne veut pas l’entendre, se débarrasse, par des crises violentes, des lois défectueuses qui s’opposent au développement de la constitution ; ou des mauvaises humeurs, qui, dans le corps humain, dérangent l’équilibre nécessaire à la perfection de la santé. »
Sentant la situation se dégrader à l’encontre des nobles, il décide de prendre quelque distance avec la France, entraînant ses deux fils en Allemagne puis en Suisse. En 1798, il rentre d’émigration mais doit encore se cacher à Paris durant quatre années, qu’il met à profit pour écrire trois ouvrages. Durant son absence, la plupart de ses biens ont été vendus à l’exception de sa propriété du Monna, où il s’installe. C’est dans cet environnement austère, surplombé de falaises dominant les gorges de la Dourbie – il parle « d’une localité où l’autorité publique n’aurait pas voulu assigner un condamné » – qu’il écrit une œuvre dense mais au style rude et dépourvu d’esthétisme, ce qui le différencie de ses éminents contemporains monarchistes, Joseph de Maistre et Chateaubriand.
Dans « Théorie du pouvoir politique et religieux dans la société civile démontrée par le raisonnement et par l’histoire », il exalte les puissances divine et royale, seules capables, à ses yeux, d’assurer le bon fonctionnement de la société. « Tôt ou tard, écrit-il, la nature des êtres reprend ses droits, dans la société politique comme dans la société religieuse : la religion ramènera les vertus particulières qui font le bonheur de l’homme ; avec la monarchie, renaîtront les vertus publiques qui font la force des sociétés. »
Pour De Bonald, la famille est le socle de la société. En 1802, il fait paraître « Le divorce considéré au XIXème siècle » dans lequel il écrit : « Le père et la mère qui font divorce, sont donc réellement deux forts qui s’arrangent pour dépouiller un faible, et l’État qui y consent, est complice de leur brigandage. […] Le mariage est donc indissoluble, sous le rapport domestique et public de société. » Un prélude à la loi du 8 mai 1816 qu’il fait voter pour abolir le divorce.
Très écouté des royalistes qui voient en lui le théoricien de la monarchie, son esprit et son talent littéraire ne déplaisent pas non plus à la cour impériale, notamment auprès du roi de Hollande, Louis-Bonaparte, qui lui propose, en 1808, le poste de gouverneur de ses enfants. Place que de Bonald refuse pour une question de principes. Devenu conseiller de l’Université, il accueille la Restauration avec circonspection : « La Restauration ne fut qu’une halte pour reprendre haleine. Ceux qui avaient mis la couronne sur la tête du Roi, mirent la révolution sur la couronne. Le chef d’œuvre des meneurs de cette époque fut de faire consacrer la révolution par la légitimité, c’est-à-dire l’illégitimité des lois par la légitimité de la race régnante. […] La restauration de la monarchie ne fut réellement que la restauration de la révolution, toutes ses erreurs et même toutes ses injustices furent adoptées par la Charte arrachée à la faiblesse du Roi, peut-être à sa vanité de bel esprit, par des ambitions de cour, des intrigues de parti, des jalousies étrangères. »
Député de l’Aveyron en 1815, Louis de Bonald croule bientôt sous les marques de reconnaissance : chevalier de la Légion d’honneur, ministre d’état, membre du Conseil privé, pair de France et membre de l’Académie Française (1816). Sans jamais entrer toutefois dans le cercle des favoris de Louis XVIII puis de Charles X, méfiants envers l’influence que Louis de Bonald peut exercer sur les ultras-royalistes. Nostalgique de l’Ancien régime, théocrate, considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie par Emile Durkheim et admiré par Arthur Comte et Charles Maurras, Louis de Bonald se réfugie à la fin de sa vie dans la solitude du Monna. « Je ne suis vraiment heureux, avoue-t-il à Joseph de Maistre, que dans ma triste et sauvage solitude, où je jouis des miens et de moi-même, au milieu des travaux champêtres et d’hommes bons et simples… » Mort le 22 novembre 1840, âgé de 86 ans, il laisse une œuvre importante qui fait dire à Chateaubriand qu’il est le « restaurateur de l’édifice social » tandis que Lamennais affirme qu’il est « le génie du bien ».
A lire :
BARBERIS, Giorgi, Louis de Bonald, éditions Desclée de Brouwer, 2016
BERTRAN de BALANDA, Flavien, Bonald, la Réaction en action, éd. Prolégomènes, 2009
BERTRAN de BALANDA, Flavien, Louis de Bonald publiciste ultra, éd. Champ d’Azur, 2010
TODA, Michel, Louis de Bonald, théoricien de la Contre-Révolution, éd. Clovis, 1997


Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !