Meeting aérien sur Rodez

En 1910, un avion survole pour la première fois Rodez.

Vol au-dessus de la cathédrale

Ils sont des centaines, puis des milliers, ce lundi 18 juillet 1910, à s’agglutiner autour du Foiral de Rodez, sur les pentes qui descendent vers l’Auterne ou vers Bourran, les yeux rivés sur un ciel d’azur. Des Ruthénois, bien sûr, portant canotiers, costumes et cravates accompagnés de leurs dames coiffées de larges capelines pour se protéger du soleil ; mais aussi des hommes et des femmes de la campagne, arrivés au petit matin par train, en voitures à cheval ou à pieds pour obtenir la meilleure place possible, les paniers en osier garnis de cochonnailles, de pains de campagne et de bouteilles de mansois. C’est que l’attente promet d’être longue, le soleil tape dur, chacun tentant de trouver une place à l’ombre.

Le Musée Denys-Puech inauguré

Tout a en fait commencé la veille quand les autorités civiles et militaires, réunies à la préfecture, se sont rendues en cortège sur le plateau Sainte-Catherine, face au musée flambant neuf des Artistes aveyronnais, orgueil culturel de la ville offert à l’éminent statuaire Denys Puech par ses concitoyens. Aux traditionnels discours  ont succédé les envolées musicales du 122e R.I. et de l’Harmonie de Carmaux. Puis tout ce beau monde, réuni autour du maire Louis Lacombe, de Denys Puech et de la grande cantatrice Emma Calvé, s’est retrouvé autour d’une table bien garnie, les toasts succédant aux discours. A 16 heures, les sociétés musicales de la ville sont venues donner l’aubade avant de défiler sur les artères principales dans une ambiance de liesse.

Mais ce n’était rien par rapport à l’événement du lendemain qui devait marquer tous les esprits. L’apothéose, en fait, d’un week-end de fêtes. Imaginez un peu ! Hormis les chauves-souris et les corneilles, aucun engin n’avait survolé le piton depuis l’exploit de l’abbé Carnus et de Louis Louchet en montgolfière. C’était en 1784. Pour ainsi dire un bail ! Alors, quand les Aveyronnais apprirent que l’aviateur originaire d’Albi, Louis Gibert, survolerait Rodez sur son monoplan, tout le monde se dit qu’il ne fallait surtout pas louper ça. L’exploit de Blériot, traversant la Manche l’année précédente, avait suscité une incroyable admiration pour ces merveilleux fous volants dans leurs drôles de machine. Voir un vol réel dépassait l’imagination.

Gibert, le défricheur du ciel

Louis Gibert

Louis Gibert

A 15 heures, enfin, des applaudissements nourris fendent la foule à la vue du monoplan que l’aviateur et ses aides sortent du hangar. La tension est à son comble. Une heure plus tôt, une rumeur a circulé dans les travées : le moteur du monoplan a des ratés. Gibert ne pourra pas voler. On se presse alors près des balustrades pour admirer le magnifique aéroplane qui, tout à l’heure, volera comme un oiseau au-dessus des têtes. On admire l’aviateur, beau jeune homme à l’allure déterminée, dont les exploits n’ont d’égal que son courage. Enfin, l’avion est ramené à l’angle formé par la barrière qui longe le jardin du Foiral et celle qui longe la route. Louis Gibert, brun et élégant dans sa tenue d’aviateur, monte promptement dans son appareil, fait vrombir le moteur et salue, d’un geste vif, le public ébahi. L’aéroplane commence à courir sur le terre-plein du Foiral. Mais l’impulsion laisse à désirer. Rapidement, Gibert coupe les gaz et fait ramener l’appareil au lieu de départ. La seconde tentative est la bonne. L’avion décolle, survole la piste à une grande altitude et se dirige vers la vallée de l’Auterne avant d’amorcer un virage. Puis, longeant la caserne, l’aviateur fait atterrir sa machine dans un pré au-dessus de la Chartreuse. Une tempête de hourras et d’applaudissements accueille le pilote à son premier passage. Mais la foule exige plus qu’un tour de chauffe. Gibert hésite. Son moteur ne lui inspire pas grande confiance. Toutefois, l’aviateur est un brin chevaleresque. L’aéroplane reprend son envol, file d’abord vers le nord, puis se détourne à gauche, franchit la vallée de l’Auterne et passe au-dessus du Petit séminaire de Saint-Pierre.

Un dénouement imprévu

La suite, c’est le publiciste de l’Aveyron Républicain qui la raconte :

 » Au-dessus de la vallée de l’Aveyron, l’aviateur rencontra un courant malencontreux contre lequel il ne put lutter. L’aéroplane piqua alors vers les haras. Ayant franchi de nouveau la vallée de l’Auterne et la ligne de chemin de fer, Gibert aperçut un pré au-dessous de l’enclos des haras qui vu d’en haut lui parut absolument plat. L’aviateur coupa son allumage et se disposa à atterrir. ; en s’approchant du sol, il reconnut que le terrain était d’une extrême déclivité. Il essaya de repartir… Pris par un remous de vent, le monoplan fut ballotté et finalement complètement retourné. D’une hauteur de 7 à 8 mètres, Louis Gibert fut projeté sur le sol. Il eut la présence d’esprit de se protéger la figure. La chute fut terrible… «  L’aviateur s’en sortit avec le tibia de la jambe droite fracturé, une entorse à la jambe gauche, de multiples contusions, mais la vie sauve et une prime de 6000 francs en poche, histoire d’atténuer quelque peu la douleur.

Le public, lui, en avait eu pour son argent. C’était le début d’une longue série de meetings aériens organisés à Millau, Villefranche, Espalion et Saint-Affrique, avec, à chaque fois, des foules énormes attirées par les exploits de Gibert, Jules Védrines, Chaussée et Lucetti, ces défricheurs du ciel gonflés de témérité et d’un brin de folie.

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