Pascal Forthuny. Le lecteur de destins

12 janvier 1911. Georges Cochet – Pascal Forthuny de son nom d’auteur – et son confrère journaliste font le pied de grue devant le guichet de la gare de Sedan, dans les Ardennes. Partis de Paris quelques heures plus tôt, les deux hommes doivent gagner au plus vite Mulhouse pour couvrir pour « le Matin » une grève qui menace de tourner à l’émeute sanglante.

Soudain, alors qu’un courant d’air froid envahit le hall de gare, Pascal Forthuny se sent habité d’une étrange vision : dans un wagon, un cercueil drapé de noir se dresse devant lui. De part et d’autre s’élèvent des cierges aux flammes vacillantes. Une forte angoisse le saisit. Effrayé, il se tourne vers son collègue :

« Je ne peux poursuivre le voyage, panique-t-il. Continue sans moi ! Je rentre sur Paris.

-Mais enfin, pourquoi ? lui répond, surpris, le journaliste.

-Je viens d’avoir une prémonition. Je crains qu’un deuil frappe mon entourage. »

Dans l’heure qui suit, Pascal Forthuny rebrousse chemin. Quand il arrive au domicile familial, à Neuilly, il trouve sa mère alitée, victime d’une pneumonie. Le lendemain, la malheureuse décède, laissant son fils abasourdi.  Hasard ou prémonition ? Pascal Forthuny ne sait pas encore qu’il possède un don exceptionnel.

Né en 1872, fils d’un architecte parisien, Georges Cochet accomplit de brillantes études qui lui permettent de parler cinq langues. Esprit fin et curieux, il s’intéresse à la peinture et à l’architecture, collaborant notamment à « L’Humanité » et au « Matin », rédigeant ses articles sous le pseudonyme de Pascal Forthuny. Auteur dramatique, il écrit plusieurs pièces comme « Le Roi régicide » paru en 1898. Avant la guerre de 14-18, il entre à l’école des langues orientales pour approfondir ses connaissances. Un intellectuel qui n’est nullement attiré par les sciences paranormales et par la voyance. Du moins pas encore !

Un événement dramatique fait que Pascal Forthuny se voit à nouveau confronter à un phénomène paranormal quoique différent. En 1919, son fils Frédéric se tue en Roumanie, victime d’un accident d’avion. La mort inacceptable a du mal à se dissoudre dans l’esprit de ce père aimant. Un ami tente de le rassurer en lui prêtant un ouvrage spirite qui lui permettra d’entrer en relation avec ce monde invisible mais peut-être peuplé. Pascal Forthuny n’y trouve guère remède à oublier. Les semaines et les mois passent. Soudain, le 18 juillet 1920, alors qu’il écrit à son bureau, sa main droite ne répond plus à ses ordres. Elle semble empruntée par une force incontrôlable. Des bâtons, des signes sans aucun sens, des courbes noircissent la feuille. Pascal Forthuny n’en revient pas. Il retente l’expérience et aussitôt sa main se met à écrire automatiquement. Durant cinq mois, jusqu’au 25 décembre 1920, l’écrivain ne cesse de recevoir des messages qui semblent émaner de son fils et d’une personne inconnue. Messages qui deviennent, au fil des jours, plus cohérents et intelligibles, lui offrant des détails sur la vie dans l’au-delà et des conseils d’ordre spirituel et philosophique. Puis brusquement, l’écriture automatique à laquelle il est confronté cesse sans raison apparente, le laissant désemparé et interrogatif.

L’année suivante, Pascal Forthuny est invité par un ami spirite à une séance de voyance organisée par l’Institut métapsychique, dirigé par le docteur Gustave Geley, en présence de son confrère Eugène Osty, du docteur Charles Richet et d’éminents savants étrangers, férus de spiritisme et de voyance. Alors qu’une clairvoyante doit, au contact d’une lettre, reconstituer son histoire, Pascal Forthuny, se laissant guider par sa pensée, s’autorise à intervenir : « Je vois un personnage monstrueux… Une barbe… des cadavres… C’est Barbe-Bleue ! »

Le docteur Geley n’en revient pas. Pascal Forthuny ne s’est pas trompé ! La lettre émane en effet du terrible Landru dont le procès reste célèbre dans les annales judiciaires.

« Voulez-vous renouveler cette expérience ? » proposent les scientifiques qui l’entourent. Vous semblez détenir un don extraordinaire.

-Je n’ai fait que vous soumettre ce qui me venait à l’esprit. Ni plus, ni moins. Un don de voyance ? Je ne sais pas. C’est la première fois que j’assiste à une telle séance. Mais j’accepte de renouveler une expérience qui m’étonne moi-même. »

Au cours de la soirée, trois objets lui sont présentés. Et, à chaque fois, guidé par une faculté insoupçonnée, à partir de l’association de mots et d’images, Pascal Forthuny parvient à reconstituer l’histoire de ces objets.

Les épisodes de la gare de Sedan et de l’écriture automatique n’étaient donc qu’un préambule au don exceptionnel de l’écrivain. Lequel, dès lors, se consacre tant au niveau littéraire qu’à travers des expériences publiques, à dévoiler ses visions, consignées dans les procès-verbaux de séances qui se tiennent entre 1922 et 1926.

Ainsi, le 10 février 1926, à l’Institut métapsychique international de Paris, il interroge deux personnes, assises côte à côte au premier rang :

« Buenos Aires ? demande Forthuny.

-Oui, répondent-ils en cœur.

-Ra… Ramon… Connaissez-vous un Ramon mort ou vivant, un ouvrier qui a été blessé ?

-Oui, cet ouvrier a été identifié, il avait été blessé, répond la dame.

-Je vois cet homme pleurant beaucoup, – vous voyez bien l’ouvrier, vous voyez bien qui il est ? Il n’est pas mort ? N’a-t-il pas dû aller en Europe ? Calisto ?… Je le vois en deux circonstances : une fois monté sur une petite locomotive qui sort d’une usine et là il eut aussi un accident. N’est-il pas tombé de cette locomotive ? Il a été déchiqueté par le marchepied de cette locomotive.

-Je ne me souviens pas, rétorque la dame.

-A-t-il été blessé par le feu ? Curieusement, on me montre une grande fête sur un journal illustré, un journal de théâtre. C’est une femme de théâtre – attendez, nous allons voir où nous allons aller -, elle est brune, je la connais, je l’ai vu il y a longtemps, mais où donc ?… quel rapport cela a-t-il avec votre Ramon, je n’en sais rien. C’est tiré par les cheveux, je vous demande pardon… On me donne la lettre M… ; il y a fort à penser qu’il s’agit d’une tragédienne que j’ai connue autrefois et avec qui j’ai déjeuné… j’y suis maintenant, c’était en compagnie de Mendès, chez elle-même. C’est Mme Marguerite Moréno… votre ouvrier s’appelle Moréno ? Il s’appelle cela votre ouvrier ?

-Le Ramon en question, affirme la dame, s’appelle en effet Ramon Moréno.

-Vous en êtes sûre ?

-J’en suis certaine.

-Ramon Moréno n’était-il pas un peu mystique ou politique ?

-Politique, oui.

-Vous êtes venue à Paris pour vous occuper de diverses choses, mais aussi de votre santé. Vous avez une maladie de nerfs.

-Oui. »

Le même jour, il s’adresse à deux jeunes gens.

« Je vois le nom de Cardinal. Je vois des maçonneries, des constructions en brique sur lesquelles il y a de la verrerie. Vous n’êtes pas marchands de cristaux pourtant… C’est de la chimie… Ce sont des éprouvettes…

-Oui.

-Vous n’êtes pas cardinal ?

-Oh non !

-Je vois cependant un cardinal… Vous ne vous occupez pas de petits corps, tout petits ?…

-Si.

-C’est une matière lumineuse que vous maniez, une matière explosive. Vous ne faites pas de la poudre, pourtant. Cardinal… Vous faites de la poudre pour faire sauter les cardinaux ?

-Pas du tout !

-Pourtant je pense à un cardinal de curie… La cour de Rome… La curie romaine… Ah ! la curie ! C’est le radium que vous maniez ! »

Les deux jeunes hommes sont en effet des élèves de Mme Curie. A partir de visions décousues, le médium parvient à accéder à la vérité.

Devenu secrétaire général de l’Union Française Spirite, Pascal Forthuny consacre désormais sa littérature au paranormal. En 1923, il publie « Une victime de la photographie psychique » qui prend la défense du médium William Hope puis, quatre ans plus tard, « Entretien avec une ombre ». En 1947, il participe à la rédaction des « Mystères des sciences occultes », se consacrant à la chiromancie. Il fait aussi paraître ses souvenirs dans un ouvrage autobiographique : « Je lis dans les destinées ». Le médium, devenu aveugle, décède en 1962, à l’âge de 91 ans.

Rien ne prédestinait Pascal Forthuny à devenir médium sauf à découvrir par le plus grand des hasards ce sixième sens capable de faire surgir dans la pensée du clairvoyant mots et images détectés sur un objet ou une personne. Car dans la voyance, toute vérité est bonne à dire !

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