Raoul Cabrol. L’arme sans complaisance de la caricature
« De cet homme dont le crayon était si lucide, si féroce parfois, rayonnaient la douceur, la bonté, la délicatesse. Le mal ne l’effleurait pas, c’est pourquoi les traits de son fusain étaient si durs envers ceux qui s’y complaisaient. Oui, Cabrol vivait dans un monde d’avant le péché, et c’était merveilleux de l’y suivre, parce qu’on y côtoyait sans cesse la candeur de l’enfance. »
L’homme dont parle avec délices le poète ruthénois Pierre Loubière s’appelle Raoul Cabrol. Un « pays » comme l’on dit dans la région, né à Curlande, près de Bozouls, le 12 mars 1895. Lequel, à l’image de bon nombre de concitoyens aveyronnais, monte à Paris dès l’adolescence consumée. Mais, à l’inverse de la grande majorité partie exercer dans la limonade et le charbon, Raoul Cabrol, lui, veut vivre de ses crayons et de son cahier de dessin. Croquer les gens, les scènes du quotidien, c’est son truc depuis les années-collège durant lesquelles ses professeurs lui servent, sans trop savoir, de modèles.
Le voilà donc, après une courte escapade à Montpellier, sur les trottoirs de la butte Montmartre, à caricaturer le quidam. Une excellente école de la vie d’artiste mais loin de nourrir son homme. D’autant plus qu’il ne peut compter sur un quelconque viatique familial. Le monde rural vit, au début de ce XXème siècle, une profonde mutation. A Curlande, le relais de diligences dont le père de Raoul Cabrol tient la charge de postillon, est fortement concurrencé par le développement du chemin de fer et l’arrivée de l’automobile. L’argent a de la peine à rentrer, n’assurant que difficilement les besoins d’une nombreuse famille.
Eclate la guerre de 14 ! Non mobilisé du fait de son âge, Raoul Cabrol doit répondre à l’appel de l’armée dès le début de 1916. A Verdun qui plus est ! Gravement gazé, le soldat Cabrol est évacué vers l’arrière. Il ne retournera jamais au front. A tout malheur, bonheur est bon ! C’est lors de l’un de ces séjours à l’hôpital qu’il rencontre une jeune volontaire, âgée de dix-sept ans, Albertine Volau, qu’il épouse, la guerre terminée.
Viennent les Années folles. Raoul Cabrol commence à se faire un nom dans le milieu des caricaturistes et des dessinateurs humoristiques. Plusieurs de ses croquis paraissent dans Le Journal du Peuple, Le Rire ou Ruy Blas qui n’épargnent ni le milieu politique, ni le milieu artistique. Une exposition de 110 portraits (« Masques et Sourires ») est même présentée à Paris grâce à l’appui du célèbre photographe Manuel pour lequel Cabrol travaille à la retouche des photos. Les portes des journaux les plus prestigieux s’ouvrent à son coup de crayon, en France, en Europe et jusqu’aux Etats-Unis (Life, New-York Times).
Un portrait, parmi tant d’autres, le rend célèbre. Au moment des accords de Munich qui voient la France et la Grande-Bretagne laisser le champ libre à Hitler en croyant préserver la paix, la gueule grande ouverte d’un führer éructant des menaces apparaît dans la presse, déclenchant l’ire du chancelier allemand. Menace d’un procès sur Raoul Cabrol qui n’aura jamais lieu devant la levée de boucliers d’une grande partie de la presse européenne.
Le caricaturiste n’en est pas pour autant quitte. Quand la Wehrmacht enfonce l’armée française en mai 1940, Raoul Cabrol décide de mettre de la distance avec Paris et part, avec femme et enfants, se réfugier chez sa sœur, à Rodez, la censure et la fermeture des journaux par l’occupant lui interdisant de toute façon toute publication. Du reste, dès 1939, refusant le pacte germano-soviétique, Cabrol a rompu avec L’Humanité, journal auquel il collaborait depuis 1926 sans jamais avoir pris la carte du Parti communiste.
Pour assurer le quotidien, il travaille chez le photographe Noyrigat, place d’Armes, assurant les retouches des photos tout en falsifiant des papiers officiels au profit de la Résistance. Parfois, il se rend du côté de Mirabel, près de Rignac, où s’est constitué le maquis Du Guesclin. Il en rapporte des portraits qui seront exposés à Rodez à la Libération. Raoul Cabrol ne sera jamais découvert par l’occupant. Et on imagine le sort qu’Hitler lui aurait réservé au cas où il aurait été arrêté !
La guerre terminée, le couple regagne la capitale. Raoul Cabrol, qui n’a pas perdu son coup de crayon, reprend ses dessins dans les journaux issus de la Résistance. Il fait aussi la connaissance du journaliste Robert Tréno qui le fait entrer à la rédaction du Canard Enchaîné renaissant. Tout en continuant à croquer les vedettes du show-biz de l’époque : Charles Trenet, Yves Montand, Jean Vilar, Edith Piaf…
Mais sa santé demeure fragile, conséquence de ses anciennes blessures. Raoul Cabrol décède le 13 septembre 1956 dans sa maison de Quincy-sous-Sénart, à l’âge de soixante et un ans. A Pierre Loubière, le mot de la fin : « Art de vérité, art de combat, art de visionnaire aussi, car les caricatures de Cabrol sont souvent plus qu’un réquisitoire, elles projettent dans l’avenir la destinée de sa victime. »


Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !