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Tiffauges : le château de l’homme maudit

« Remarquez que les temps les plus superstitieux

ont toujours été ceux des plus horribles crimes. »

Voltaire

Chevalier fait maréchal et monstre sanguinaire, Gilles de Rais est l’archétype de l’homme à double facette. Docteur Jekyll et Myster Hyde du Moyen Age, il est devenu Barbe Bleue dans la littérature enfantine, ogre dévoreur d’enfants.

Il est des êtres humains qui fascinent tout autant qu’ils consternent et inspirent la terreur ; qui sollicitent notre bonne conscience toujours encline à chasser nos vieux démons.

A ce titre, Gilles de Rais est l’archétype du personnage à double facette : homme séculier et homme invisible ; lumière et ombre auxquelles la tradition populaire a ajouté sa part de légende pour finir de nourrir son histoire.

Il y a bien du héros en Gilles de Rais, maréchal de France sans peur et sans reproches – n’est-il pas l’arrière-petit-neveu de Du Guesclin – et compagnon d’armes de Jeanne d’Arc mais aussi une part cachée, à la fois diabolique et mystique, d’un homme assoiffé de sang afin d’assouvir ses pulsions sexuelles et sa quête de la pierre philosophale.

« Nous, Jean de Malestroit, évêque de Nantes et frère Jean Blouyn, bachelier en texte sacré, vice-inquisiteur, siégeant en tribunal ; étant consultés et nous assistant deux évêques, docteurs en jurisprudence et en texte sacré ;

Ouïes les dépositions des témoins produits par nous, fidèlement examinés et leurs paroles exactement transcrites ; ouïe la confession spontanée faite devant nous ;

Te déclarons, toi, Gilles de Rais, présent en justice devant nous, hérétique, apostat, coupable d’horrible invocation des démons, de meurtres d’enfants et de crimes odieux ;

Prononçons la sentence d’excommunication et te disons, comme tel, devoir être puni par les peines du droit séculier, salutairement corrigé, comme le veulent les canons.

Fait en présence des notaires soussignés, de Pierre de l’Hospital, président de Bretagne, et autres honorables et nobles hommes, en Grande cour supérieure , siégeant en tribunal au château de Nantes, pour justice être rendue, le mardi 25 octobre 1440, à 3 heures du matin. »

Tels sont les termes du tribunal ecclésiastique ayant eu à juger Gilles de Rais. Quelques heures plus tard, le tribunal séculier condamnait « l’accusé à être pendu et brûlé ! L’exécution aura lieu demain entre onze heures et midi. J’admoneste le condamné à crier merci à Dieu ! »

Ce que fit le maréchal maudit en demandant à la Cour la faveur d’être exécuté en même temps que ses deux complices, Henriet et Poitou, « afin de les conforter et avertir de leur salut et de leur montrer exemple de bien mourir. S’il en était autrement, exposa le maréchal, et que mesdits serviteurs ne me vissent mourir, ils pourraient choir en désespérance et imaginer que je demeurerais impuni tandis qu’ils subiraient la peine que j’ai méritée plus qu’eux. Accordez-moi cette grâce, messire, de mourir avec eux et j’espère, bien que je sois cause de leurs méfaits et de leur punition, être semblablement cause de leur repentir et de leur salvation en la Jérusalem céleste. »

La puissance et la folie

Mais comment avait-on pu arriver à une telle déchéance humaine et permettre à ces crimes une aussi longue impunité ?

Au début du XVe siècle, Gilles de Rais appartient par ses origines aux familles (Montmorency, Laval ou Craon) les plus influentes du royaume. Ses immenses domaines lui fournissent d’importants revenus qui lui permettent de mener grand train de vie tant sur ses terres que durant la guerre de Cent ans où sa force et son courage forcent l’admiration. Au point d’être nommé maréchal de France en 1429, à l’âge de vingt-cinq ans.

Protecteur de la Pucelle bien que l’Histoire officielle reste obscure sur cette relation, Gilles de Rais ne peut supporter sa déchéance de la Cour après l’échec du siège de Paris. Lui qui n’avait eu de cesse de combattre se retire alors sur ses terres et dans ses châteaux-forts (Tiffauges, Machecoul, Champtocé, Pouzauges), pour le plus grand malheur des populations qui, durant trois ans, côtoieront non plus un chevalier mais un monstre.

Pour justifier ses actes criminels, Gilles de Rais évoquera devant ses juges une enfance difficile auprès de son grand-père durant laquelle « il avait pour son plaisir et toute sa volonté fait tout le mal qu’il pouvait… La cause en est à la mauvaise direction que j’ai reçue dans ma jeunesse. J’allais, les rênes sur le cou au gré de tous mes désirs et je m’adonnais sans retenue au mal. O vous, pères et mères, je vous en prie, instruisez vos enfants dans les bonnes doctrines dès leur enfance et leur jeunesse et menez-les avec soin dans le sentier de la vertu. »

La guerre venue, sa personnalité tourmentée, s’était assagie. Mais le retour à la vie oisive dans ses forteresses maudites contribua à faire résonner dans sa tête de terribles pensées.

Habitué à la magnificence, Gilles de Rais s’entoure désormais d’une garde impressionnante de deux cents hommes, superbement armés ; d’une maison ecclésiastique et d’une maîtrise composée de jeunes gens. Un train de vie beaucoup trop élevé qui l’amène à la ruine, en dépit de sa fortune. Le seigneur de Tiffauges et autres lieux doit alors trouver de nouveaux revenus. L’alchimie est en ce temps-là très à la mode. Pour obtenir l’or tant désiré, le maître des lieux s’entoure d’un jeune moine défroqué à la réputation sulfureuse, François Prelati, dont il finit par s’éprendre.

Se déroulent alors dans la crypte romane de la chapelle Saint-Vincent, à Tiffauges, messes noires et prières sataniques pour obtenir la pierre philosophale. Entouré de ses complices Gilles de Sillé ; du jeune Poitou, considéré comme l’un de ses amants et d’Eustache Blanchet, son homme à tout faire ; d’Henriet, le serviteur fidèle et d’une vieille servante, Perrine, Gilles de Rais n’écoute plus que Prelati invoquant les puissances infernales : « Je vous conjure Barron, Oriens, Belial, Belzébuth, par le père et le fils et le Saint-Esprit, par la Vierge Marie et tous les saints, d’apparaître ici en notre présence afin de vous entretenir avec nous et de faire notre volonté. »

Rien ne se passe durant ces séances. Mais fasciné par l’alchimiste diabolique qui l’incite à persévérer, le maréchal de Rais sombre peu à peu dans la folie meurtrière. Comme l’écrira Georges Bataille, « dans ce décor de forteresse et de tombe, le déclin de Gilles de Rais a l’aspect d’une hallucination théâtrale ».

Parallèlement à la recherche de la fortune se dresse celle de son infortune.

L’homme qui n’a jamais su aimer

Si l’enfant n’a jamais été aimé, l’homme adulte ne saura guère être plus aimant. Du moins avec les femmes qui ne l’ont jamais vraiment satisfait. Revenu dans son fief, ses désirs sexuels s’orientent de plus en plus vers les jeunes garçons, accompagnés de crimes rituels qui l’amènent à la jouissance suprême puis aux pires remords, une fois l’acte consommé.

Les disparitions, si elles ne passent pas inaperçues aux yeux des parents, ne font guère l’objet d’enquêtes. Car quelle importance revêt la vie d’un enfant en ces temps de guerre et de famine ? Encore moins quand il s’agit d’un seigneur tout-puissant auquel il serait fait affront de le désigner comme coupable.

La rumeur fait pourtant son chemin. Car il n’échappe à personne, au fur et à mesure que les rapts s’amplifient, que de drôles de choses se déroulent au château de Tiffauges. Ne parle-t-on pas d’un homme tout vêtu de noir qui enlèverait les enfants errant sur le domaine ou venant demander l’aumône ? D’une vieille femme, Perrine, plus ou moins sorcière, attirant avec de la brioche les gamins affamés avant de les ficeler et de les emporter dans son ballot vers le château ? À voix basse, on raconte que les salles basses du donjon seraient devenues des lieux de débauche et de meurtres destinés à assouvir les pulsions sexuelles du maître ; que la grande cheminée du château servirait de crémation pour les petits corps privés de vie afin de les faire disparaître à jamais.

C’est du moins, une fois les langues déliées et la peur des représailles passée, ce que révèleront les témoignages des parents, résumés dans les minutes de son procès : « Il est dit que ledit Gilles de Rais a parfois commis ses plaisirs avec lesdits garçons et filles avant de les blesser… ; d’autres fois, il les sodomisait après les avoir accrochés ou avant d’autres blessures ; d’autres fois encore, après leur avoir tranché la gorge, il se masturbait sur les veines du cou ou de la gorge, et sur le sang giclant ; d’autres fois encore, il les violait alors qu’ils étaient dans la langueur de la mort à condition qu’il y ait encore quelque chaleur dans leurs corps. »

Le procès ecclésiastique mentionne alors cent quarante victimes et le procès civil, plus de deux cents.

Les aveux de Gilles de Rais

Les crimes auraient pu se perpétuer longtemps si Gilles de Rais, se croyant intouchable, n’avait pas commis l’irréparable. Le 15 mai 1440, à la tête de soixante soudards, il viole le sanctuaire de l’église de Saint-Etienne-de-Mermorte, bafouant les saintes lois de l’Eglise en entrant armé dans une chapelle pour y prendre en otage le prêtre qui y dit l’office.

Pour le Duc de Bretagne, déjà alerté par la rumeur sur les exactions qui se commettraient à Tiffauges, c’en est trop ! Le 24 août, ordre est donné au frère du Duc de s’emparer du château de Machecoul où se sont réfugiés le maréchal et ses complices.

Arrêté, Gilles de Rais est conduit à Nantes dans l’attente de son procès, accompagné de Poitou, Eustache Blanchet et Prelati. D’autres suivront. Ses différents châteaux sont fouillés. Jules Michelet raconte « qu’on trouva dans la cour de Chantocé une pleine tonne d’ossements calcinés, des os d’enfants en tel nombre qu’on présuma qu’il pouvait y en avoir une quarantaine. On en trouva également dans les latrines du château de la Suze, dans d’autres lieux, partout où il avait passé. Partout il fallait qu’il tuât… »

Le 19 septembre 1440, débutent les débats du procès. Sûr de lui et de sa position, Gilles de Rais conteste d’abord toutes les accusations avant de succomber aux aveux quand ses complices se mettent à parler et que le tribunal ecclésiastique le menace d’excommunication. Très croyant, le maréchal ne peut supporter une telle condamnation. Il évoque alors tout à la fois ses crimes, ses orgies et les invocations au démon, faisant amende honorable et demandant le pardon aux familles des enfants disparus : « Gardez-vous donc, pères de famille, d’élever vos enfants dans les délicatesses de la vie et les douceurs funestes de l’oisiveté ; car des excès de la table et de l’habitude de ne rien faire naissent les plus grands maux. L’oisiveté, les mets délicats, l’usage fréquent des vins capiteux sont les trois causes de mes fautes et de mes crimes. Et vous, parents et amis des enfants que j’ai si cruellement mis à mort, vous, qui que vous soyez, contre qui j’ai péché et à qui j’ai pu nuire, présents ou absente, en quelque lieu que vous soyez, je vous en prie à genoux et avec larmes, accordez-moi, ah ! donnez-moi votre pardon et le secours de vos prières ! »

Un mythe controversé

Le 26 octobre 1440, une foule énorme, déjà fort nombreuse durant le procès, se presse tout autour des trois gibets à la silhouette lugubre. Le maréchal et ses deux complices, Henriet Griart et Corrillaud, dit Poitou, entourés de nombreux gens d’armes, ne cessent sur le parcours qui les mène à la mort d’invoquer la grâce du Ciel et le pardon des hommes, chantant le De Profundis et récitant des prières. Gilles de Rais est le premier à monter sur l’escabeau et à se laisser passer la corde au cou. La mort l’attend mais il ne la redoute pas… à l’image de tous ses combats livrés. Le bûcher flambe déjà quand le bourreau, d’un geste vif, fait basculer l’escabeau, provoquant le balancement du corps de Gilles de Rais. Justice est faite !

Après avoir subi l’épreuve du feu, son corps point encore calciné est relevé par six femmes de haute lignée qui se chargent de le nettoyer avant de le déposer dans le cercueil qui sera placé dans l’église Notre-Dame-des-Carmes non sans que quelques personnes ne se soient arrachées quelques morceaux de son cadavre. Un tombeau qui sera saccagé sous la Révolution, subissant une dernière fois la vengeance populaire.

L’histoire de Gilles de Rais se termine dans les flammes d’un brasier qu’il avait contribué à allumer. Il restait à écrire sa légende pour faire du personnage un mythe controversé à défaut d’un héros. Charles Perrault en sera le meilleur illustrateur. Gilles de Rais et Barbe Bleue ne feront désormais plus qu’un dans la mémoire populaire. Reste à savoir du chevalier ou de l’ogre, lequel est vraiment passé à la postérité ?

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