Vercingétorix. La fabrication d’un héros
Première grande figure de l’histoire de France, Vercingétorix incarne la résistance à l’envahisseur et la fierté patriotique. Quasiment inconnu jusqu’au début du XIXe siècle, son rôle est mis en scène par la propagande bonapartiste et républicaine. Aujourd’hui, son image est écornée par les historiens et les archéologues.
Au début du XXe siècle, trône dans le hall d’entrée de l’ancienne mairie de Rodez (Aveyron) une imposante statue de Vercingétorix, symbole de l’attachement du peuple rutène au chef gaulois. Statue qui, pour gagner de la place, est déménagée après la Grande Guerre sur une vaste esplanade avant d’être déboulonnée de son socle par les Nazis et finir en fonte.
Cette présence dans le sacro-saint temple républicain communal n’est pas anodine. Elle résume à elle seule le mythe fabriquée par la IIIe République du héros unificateur du pays, qui ne se résigne pas à la défaite, offrant même sa vie pour sauver ses soldats.
Petite géopolitique de la Gaule
Evoquer Vercingétorix, c’est en premier lieu situer la Gaule au Ier siècle avant Jésus-Christ ainsi que les rapports que sa soixantaine de peuples, souvent en conflit, entretiennent avec Rome. Situation complexe entre des Romains, occupants de la Gaule transalpine et cisalpine, gouvernées par l’ambitieux César, et des peuples gaulois comme les Héduens ou les Arvernes lesquels, en plus de commercer avec les Romains, viennent parfois renforcer les rangs des légions romaines pour combattre des tribus aux marges de la Gaule chevelue, tels les Suèves.
Prenant prétexte des menaces que ces derniers font peser à l’est sur les Héduens, César envoie ses légions en -58 et repousse les Germains au-delà du Rhin. La Guerre des Gaules vient d’éclater. Mais sa soif de conquête n’est pas assouvie. Régler le sort des Belges au nord et des peuples de l’Armorique à l’ouest lui offrira en cas de succès honneurs et gloire. D’où la colère qui gronde les années suivantes parmi les Gaulois. Les révoltes des Vénètes, des Eburons, des Carnutes et des Cénons sont réprimées dans le sang, attisant haine et vengeance pour finir par provoquer l’unification des tribus gauloises contre l’occupant.
Vercingétorix entre en lice
Chez les Arvernes, un jeune chef a pris la tête de cette résistance. Vercingétorix a de qui tenir. Il est le fils de Celtillos, magistrat suprême des Arvernes, qui a subi le triste sort d’être assassiné par ses sujets pour avoir eu le tort de vouloir se faire proclamer roi.
Formé à l’école des druides, Vercingétorix a sans doute appartenu, comme bon nombre d’aristocrates gaulois, aux rangs de la cavalerie romaine, devenant un compagnon de tente (contubernales) de César. C’est dire que l’homme connaît parfaitement les méthodes de guerre romaines.
L’unification des peuples de la Gaule n’est pas simple surtout si l’on considère que Vercingétorix est lui-même contesté au sein de son peuple des Arvernes. Mais l’homme, malgré sa jeunesse, en impose, sachant manier aussi bien les armes que le verbe. Diplomate, il envoie des émissaires à travers la Gaule pour rallier les peuples qui lui semblent favorables (Cadurques, Rutènes…) César, dans le livre VII de la « Guerre des Gaules », évoque cette entreprise : « Vercingétorix, fils de Celtillos, Arverne, jeune homme qui était parmi les plus puissants du pays, dont le père avait eu l’empire de la Gaule et avait été tué par ses compatriotes parce qu’il aspirait à la royauté, convoqua ses partisans et n’eut pas de peine à les enflammer. »
Malgré ces ralliements, il serait folie pour les troupes gauloises d’affronter en rase campagne les redoutables légions romaines. Pratiquant la politique de la terre brûlée, Vercingétorix empêche tout ravitaillement à l’occupant, qui s’épuise à poursuivre les Gaulois en terrain inconnu et hostile.
La Gaule s’embrase
En dépit de villes conquises comme Orléans (Cenabum) et Bourges (Avaricum), les légions romaines n’arrivent pas à mater la rébellion. Tout au contraire, certains de leurs alliés gaulois basculent dans le camp de la révolte. « Vercingétorix, écrit César (Livre VII), demande aux différents peuples de lui fournir des soldats (…) De semblables mesures lui permettent de combler les pertes d’Avaricum. Teutomatos, roi des Nitiobroges, dont le père avait reçu du Sénat le titre d’ami vint le rejoindre avec une forte troupe de cavaliers et de mercenaires recrutés en Aquitaine. »
Un danger d’embrasement général que César ne néglige pas quand, en juin 52 avant J.-C., il met le siège devant Gergovie. Un vaste débat sur le véritable lieu du siège oppose depuis plus d’un siècle et demi historiens et archéologues. Pour les uns, s’appuyant sur les fouilles que fait effectuer Napoléon III, admirateur de César, le site de Merdogne, à 12 kilomètres au sud de Clermont-Ferrand, ne peut qu’être Gergovie. Mais pour d’autres chercheurs, le lieu de la bataille se situe sur les Côtes de Clermont. Querelles d’experts non encore résolues qui feraient presque oublier la bataille qui vit la victoire des Gaulois face aux légions romaines.
Du début de ce siège, seul César dans le livre VII de la « Guerre des Gaules » nous fournit un récit circonstancié et sobre bien que subjectif : « De là César parvint en cinq marches à Gergovie ; et le même jour, après une légère escarmouche de cavalerie, il reconnut la position de la ville, qui était assise sur une montagne élevée et d’un accès partout très difficile ; il désespéra de l’enlever de force, et ne voulut s’occuper de ce siège qu’après avoir assuré ses vivres. De son côté, Vercingétorix campait sur une montagne près de la ville, ayant autour de lui, séparément, mais à de faibles distances, les troupes de chaque cité, qui couvrant la chaîne entière des collines, offraient de toutes parts un aspect effrayant. Chaque matin, soit qu’il eût quelque chose à leur communiquer, soit qu’il s’agît de prendre quelque mesure, il faisait, au lever du soleil, venir les chefs dont il avait formé son conseil ; et il ne se passait presque pas de jour que, pour éprouver le courage et l’ardeur de ses troupes, il n’engageât une action avec sa cavalerie entremêlée d’archers. En face de la ville, au pied même de la montagne, était une éminence escarpée de toutes parts et bien fortifiée ; en l’occupant, nous privions probablement l’ennemi d’une grande partie de ses eaux et de la facilité de fourrager ; mais elle avait une garnison, à la vérité un peu faible. César, dans le silence de la nuit, sort de son camp, s’empare du poste, dont il culbute la garde, avant que de la ville on puisse lui envoyer du secours, y met deux légions, et tire du grand au petit camp un double fossé de douze pieds, pour qu’on puisse aller et venir même individuellement, sans crainte d’être surpris par l’ennemi. »
Attirant les Gaulois sur le flanc droit de l’oppidum pour faire diversion, César fait alors grimper ses légions vers le petit camp et les lance à l’assaut. Mais la résistance gauloise est féroce, obligeant les Romains à se replier sans avoir pu perforer les murs. Gergovie a tenu bon ! César abandonne sur place près de 700 légionnaires et 46 centurions avant de filer vers le nord.
Alésia ! Morne colline !
La victoire monte-t-elle à la tête de Vercingétorix ? Les Héduens ralliés à la cause gauloise, il convoque les chefs gaulois à Bibracte (Mont Beuvray), se fait élire chef de la coalition et, sentant pousser des ailes à son casque, se lance à la poursuite des légions romaines que les Gaulois finissent par affronter à quelques kilomètres d’Alésia. Choix tactique qui va précipiter la fin de Vercingétorix quand la cavalerie gauloise succombe sous les coups répétés de la cavalerie germaine. Conscient qu’en terrain découvert, les légions romaines sont supérieures, Vercingétorix s’enferme avec ses troupes dans l’oppidum d’Alésia où il espère renouveler la victoire de Gergovie. Mais le renfort de 250 000 cavaliers accourus de toute la Gaule unifiée arrive trop tard. Après quarante jours de siège sans ravitaillement, bloqués par dix légions romaines, les Gaulois meurent de faim. La reddition est proche. César tient sa revanche en dépit des derniers combats menés par la cavalerie gauloise. L’humiliation est terrible. César exige que les armes et les chefs gaulois lui soient livrés. En premier lieu, Vercingétorix ! Une scène qui laisse place à de multiples interprétations ! César écrit à ce propos : « Le lendemain Vercingétorix convoque l’assemblée, et dit : « Qu’il n’a pas entrepris cette guerre pour ses intérêts personnels, mais pour la défense de la liberté commune ; que, puisqu’il fallait céder à la fortune, il s’offrait à ses compatriotes, leur laissant le choix d’apaiser les Romains par sa mort ou de le livrer vivant. » On envoie à ce sujet des députés à César. Il ordonne qu’on lui apporte les armes, qu’on lui amène les chefs. Assis sur son tribunal, à la tête de son camp, il fait paraître devant lui les généraux ennemis. Vercingétorix est mis en son pouvoir ; les armes sont jetées à ses pieds. À l’exception des Héduens et des Arvernes, dont il voulait se servir pour tâcher de regagner ces peuples, le reste des prisonniers fut distribué par tête à chaque soldat, à titre de butin. »
Vercingétorix revisité
Le sort de Vercingétorix se trouve désormais entre les mains de César. Amené à Rome comme un trophée de guerre, il est jeté au cachot. Le 26 septembre 46 avant J.-C., fers aux pieds et aux mains, le chef gaulois est exhibé à la foule jusqu’au Capitole. Quelques jours plus tard, il est étranglé dans sa cellule au Tullianum et jeté sans sépulture aux Gémonies. Une fin tragique doublée d’un oubli prolongé, second linceul des morts. Vercingétorix attendra dix-neuf siècles avant de connaître une soudaine et imprévue reconnaissance. Ca, c’est pour la version officielle ! Car, au fur et à mesure des découvertes et des études, les versions classiques développées à la fin du XIXe siècle ont tendance à voler en éclats. Vercingétorix ne s’est peut-être jamais appelé Vercingétorix ! Du moins n’est-ce pas son vrai nom. Les historiens penchent plutôt aujourd’hui sur un titre « grand roi des guerriers », donné par les peuples gaulois réunifiés. Si l’on doit à Michelet puis à Napoléon III d’avoir sorti Vercingétorix des oubliettes de l’Histoire, son nouveau statut de héros est fabriqué par les Républicains de 1871 après la défaite contre la Prusse et l’humiliant armistice qui en découle. Le tableau du peintre Lionel Royer marque cette volonté d’une propagande visant à donner l’image d’un chef et de son peuple qui demeure fier dans la défaite, prélude à une revanche à venir. Symbole aussi de l’unité d’un peuple sur fond de patriotisme !
Ainsi, Vercingétorix n’aurait pas eu ce look aux longs cheveux blonds, portant moustache et casque à ailettes mais un homme aux cheveux courts et glabre comme le veut la mode gauloise de ce temps. De même, le vainqueur de Gergovie n’aurait pas été jeté dans un cachot sordide mais aurait terminé sa vie dans une villa romaine, sous la protection de César avant d’être exécuté sur ordre du Sénat. L’historien Michel Rambaud va plus loin encore, estimant que la gloire de Vercingétorix ne serait due qu’au bon vouloir de César, utilisant la résistance gauloise pour mieux célébrer sa victoire.
Toutefois, le mythe de Vercingétorix continue à faire fantasmer jusqu’au sommet de l’Etat quand François Mitterrand se rend en 1985 en pèlerinage au mont Beuvray jusqu’à envisager de se faire enterrer au sommet, attiré par les puissances telluriques et mystérieuses du lieu. Quant à la statue de Vercingétorix, signé Bartholdi, l’auteur de la statue de la Liberté, elle trône toujours à Clermont-Ferrand depuis 1903. Indéboulonnable !
Un terrible bilan
40 à 50 000 hommes du côté romain ; près de 250 000 fantassins côté gaulois ; 10 000 morts chez les vaincus et 70 000 déportés et vendus comme esclaves.
Faisant œuvre d’historien, le Grec Plutarque y ajoute plus tard son grain de sel : « Vercingétorix prit ses plus belles armes, para son cheval et franchit ainsi les portes de la ville. Il vint caracoler autour de César qui était assis, puis, sautant à bas de sa monture, il jeta toutes ses armes et s’assit lui-même aux pieds de César, où il ne bougea plus. »
Don Cassius, au IIIe siècle après. J.-C., revêt à son tour Vercingétorix des habits du héros : « César était assis sur un tribunal quand Vercingétorix parut soudain, spectacle qui inquiéta même certains assistants, car Vercingétorix était de très haute taille et, en particulier sans ses armes, il était terriblement impressionnant. »
Deux textes propres à frapper ce bon Jules Michelet, adepte du culte du héros, offrant l’image revisitée d’un Vercingétorix, certes vaincu mais incroyablement majestueux dans son sacrifice à offrir sa vie pour sauver celles de ses soldats.
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