Versailles. Grandeur ou démesure ?
Depuis 1682, Versailles n’a cessé de rayonner dans l’histoire de la France, de la monarchie à la République. Un lieu d’identité nationale visité par 6 millions de touristes chaque année.
Versailles avant Versailles
Versailles n’a pas usurpé son étymologie, du latin « versare » qui signifie « retourner la terre ». Car il en fallut du remue-ménage paysager pour donner de la splendeur à ce pauvre village isolé au milieu des bois, des étangs et des marécages, adossé au flanc d’une butte dominée par un moulin à vent et peuplée au début du XVIIe siècle de 4 à 500 habitants, artisans, commerçants et manants.
Régulièrement, cette gent laborieuse voyait passer des équipages de chasse menés par le roi Henri IV puis, après son assassinat, par son successeur Louis XIII dont le virus de la chasse était égal à celui de son père. Le roi, qui fuyait la Cour autant que faire se peut, aime à se ressourcer dans ce milieu sauvage et giboyeux où il trouve la solitude propre à son caractère taciturne. D’où l’idée, pour des questions de commodité, d’établir en ce lieu, un relais de chasse.
Dans un premier temps, il rachète les terres divisées en plusieurs propriétaires dont celles de la famille de Gondi, parmi les plus riches du royaume dont l’un des membres n’est autre que l’archevêque de Paris. Un document en précise la vente : « Le 8 avril 1632, fut présent l’illustrissime et révérendissime Jean-François de Gondi, archevêque de paris, seigneur de Versailles, reconnaît avoir vendu, cédé et transporté… à Louis XIII… la terre et seigneurie de Versailles, consistant en vieil château en ruine et une ferme de plusieurs édifices ; consistant ladite ferme en terres labourables, en prés, bois, châtaigneraies, étangs et autres dépendances… » On peut, à vrai dire, trouver mieux comme lieu bucolique !
Les travaux débutent le 6 septembre 1623 sur l’emplacement de l’ancien moulin à vent. Il s’agit d’abord d’une maison isolée, sans faste, un refuge pour un roi austère avant d’être confié à l’architecte Philibert le Roy pour l’embellir, mais « conformément, disent les textes, aux dessins et élévations qui ont été faites par sa Majesté ».
Un château de brique rouge et de pierre, au toit d’ardoises noires domine désormais le vallon, entouré dès 1634 par des fossés en forme d’étoile. Rien de bien luxueux et de petite dimension, ce qui fait dire que Louis XIII habite un « petit château de gentilhomme » ou, pour citer Saint-Simon, toujours enclin à railler, un « petit château de cartes ». Un plan classique en fait, composé d’un corps de logis de 38 mètres de long et flanqué de deux ailes en retour formant une cour ainsi que de quatre pavillons à chaque angle de la maison. Louis XIII l’a voulu ainsi, qui fera que son fils, le Roi Soleil, tienne plus tard à le conserver comme une continuité de l’œuvre de son père et des séjours passés en ce lieu de Versailles durant son enfance. En 1643, Louis XIII fait même le vœu de s’y retirer : « Si Dieu me rend la santé, sitôt mon dauphin en âge de monter à cheval et en âge de majorité je le mettrai à ma place, et me retirerai à Versailles avec quatre de nos pères pour m’entretenir de choses divines. »
Versailles. Du zénith au déclin
Versailles est issu de la volonté royale. D’une continuité dans l’ordre des choses de la monarchie. Louis XIII en a fait son havre de paix, loin des intrigues parisiennes dans lesquelles sa mère, Marie de Médicis, y contribue fortement. Son fils Louis XIV, bien après les rudes épreuves de la Fronde qui l’obligent à fuir Paris à deux reprises, en 1649 et en 1651, décide de faire de Versailles le point névralgique de son pouvoir.
La nécessité l’oblige dès lors à être tout à la fois l’initiateur mais aussi le concepteur du château, les architectes étant relégués au rang de simples conseillers. Pour autant, le grand œuvre ne débute pas par le château lui-même tant Louis XIV veut conserver ce que son père a réalisé. Parcs, jardins, jets d’eau précèdent donc sa construction, invitant la Cour à venir s’y promener avant de s’y installer définitivement.
Versailles devient alors le grand chantier de la France. Tout y est pensé, dessiné, revu et corrigé au fil des années, le premier choix n’étant pas toujours celui qui voit le jour.
Au plus fort de son édification, Versailles compte plus de 36 000 personnes. La légende veut que sa construction ait asséché les finances du royaume. Pas plus de 3 à 4 % par an du budget y sont consacrés pour un coût total de 82 millions de livres. Certes, Versailles a contribué au déficit de l’Etat qui s’élève, à la mort du roi, à 77 millions de livres. C’est moins, cependant, que les dépenses de guerre qui rythment le règne de Louis XIV de 1667 à 1714. Deux hommes ne partagent pas ces dépenses somptueuses. Colbert, à diverses reprises, se plaint de l’importance du chantier : « … pendant le temps que votre Majesté a dépensé de si grandes sommes en cette maison, elle a négligé le Louvre, qui est assurément le plus superbe palais qu’il y ait au monde. O quelle pitié que le plus grand roi fût mesurée à l’aune de Versailles ! » Saint-Simon dira « qu’on ne finirait point sur les défauts monstrueux d’un palais si immense, et si immensément cher, avec ses accompagnements qui le sont encore davantage : orangerie, potagers, chenils, grandes et petites écuries pareilles, communs prodigieux ; enfin une ville entière… Encore ce Versailles de Louis XIV, ce chef d’œuvre si ruineux et de si mauvais goût… n’a-t-il pu être achevé. » Le duc de Noailles va même plus loin, proposant à la mort du Roi en 1715, de raser ni plus ni moins le château. Ce que s’interdiront même les plus enragés des révolutionnaires.
Plusieurs étapes président à sa réalisation. Fait pour accueillir au début son amour secret pour mademoiselle de La Vallière, Louis XIV s’y installe définitivement le 6 mai 1682 dans un château encore en chantier, peuplé d’un plus grand nombre d’ouvriers que de courtisans. Rapidement, Versailles se retrouve trop exiguë pour loger toute la Cour, nécessitant de nouvelles constructions. Parallèlement, ce qui n’est alors qu’un village devient rapidement une ville au sein de laquelle les nobles font construire des hôtels pour loger leur personnel, développant par la même occasion commerces et artisanat. Au point que Versailles compte, à la veille de la Révolution, près de 70 000 habitants.
Sous les règnes de Louis XV et de Louis XVI, Versailles perd de son faste au point d’être en partie déserté par la Cour. Des travaux importants y sont cependant menés. Démolition, transformation, agrandissement et changement dans les décors des appartements se succèdent, le plus souvent impulsés par la Reine ou les maîtresses du Roi. Un opéra, dernier cri de technologie, est construit en 1770 à l’extrémité de la grande aile du Nord. Au Petit Trianon, Marie-Antoinette s’invente une vie à la campagne où tout ne doit être que délicatesse. Bien éloignée des misères du peuple qui saura, bientôt, lui rappeler que l’on ne vit pas de songes !
Les quatre maîtres de Versailles
Ils sont les quatre créateurs qui ont donné vie et splendeur à Versailles. De ce lieu qui, d’après Saint-Simon, « était le plus ingrat de tous les lieux, sans bois, sans eaux, sans terre. Presque tout y est sable mouvant ou marécage, sans air, par conséquent, qui n’y peut être bon ». Maîtres de leur art dans leur domaine de prédilection pour aboutir à une œuvre collective adaptée aux exigences royales dépassant celles du terrain.
A Versailles, André Le Nôtre s’est fait un nom et a acquis ses lettres de noblesse – Roi des jardiniers – qui ont, l’un et l’autre, largement dépassé le Grand Siècle. Le jardinier du Roi depuis 1644 s’installe à Versailles en 1662, âgé de 49 ans et déjà une renommée exceptionnelle, due à un florilège de réalisations (Saint-Germain, Fontainebleau…) que les aménagements de Vaux-le-Vicomte vont sublimer.
Mais à Versailles, tout est surdimensionné. Le Nôtre n’a rien laissé de ses écrits techniques mais le regard que nous lui portons embrasse celui du concepteur, même si des détails de ses plans originaux ont été modifiés par ses successeurs. Des eaux stagnantes et mouvantes, par l’aménagement du Grand Canal, Le Nôtre a créé une féérie de jets d’eau s’élançant vers le ciel. La symétrie des axes et le secret des bosquets se mélangent ainsi dans une harmonie qui confère au génie.
L’homme, anobli et couvert d’honneur, dont la plus belle récompense reste peut-être son amitié avec le Roi-Soleil, conservera une simplicité qui se retrouve dans ses outils favoris : la bêche et le râteau. Jusqu’à sa mort, à l’aube du XVIIIe siècle, à 87 ans. Versailles demeurant son tableau de maître !
Louis Le Vau, c’est l’homme de la pierre. Celui qui imagine avant de bâtir. Avant Versailles, Le Vau a travaillé pour Louis XIV à Vincennes, aux Tuileries et au Louvre avant de réaliser l’œuvre de sa vie : Vaux-le-Vicomte. Pour les besoins de la Cour, Versailles a besoin d’espace. Le Vau va en tripler la surface en enveloppant le château vieux de Louis XIII d’un corps de bâtiments, avec sa terrasse à l’italienne, aujourd’hui disparue et remplacée par la Galerie des Glaces en 1679. A son actif, l’Orangeraie, la Ménagerie, l’escalier des Ambassadeurs et la décoration des appartements royaux. Un cadre architectural où l’esthétique italienne est partout présente.
Charles Le Brun fait partie du trio d’artistes qui œuvre à Vaux-le-Vicomte avant de se retrouver à Versailles. L’incontournable peintre de Louis XIV réalise l’ensemble des décorations du château dans lequel il magnifie à chaque instant les actions du Roi ainsi que les dessins des statues dans le parc. Un travail d’une trentaine d’années qui occupera, sous ses ordres, une centaine d’artistes parmi les plus renommés. Une présence sans partage avant son déclin, à la mort de Colbert et son remplacement par Pierre Mignard mais une empreinte indélébile sur l’histoire de la peinture au XVIIe siècle.
Jules Hardouin-Mansart succède à Louis Le Vau pour réaliser à Versailles la Galerie des Glaces, le Grand Trianon, la Chapelle Royale. Protégé de la maîtresse de Louis XIV, la très influente madame de Montespan et du ministre Louvois, il offre à Versailles son envergure définitive, repensant certaines réalisations de Le Vau. Saint-Simon aura la dent dure envers celui qui est considéré comme l’un des plus grands architectes de son temps, le traitant « d’artiste courtisan, d’architecte à perruque incapable et mondain ».
La République en son château
Le serment du Jeu de Paume, prononcé le 20 juin 1789, a-t-il sauvé Versailles du pillage et du vandalisme ? Le Roi et sa famille contraints de regagner Paris, Versailles est abandonné au peuple sans que le château soit l’objet d’un déchaînement populaire. A peine remplace-t-on les fleurs par des légumes dans les jardins tandis que le Petit Trianon est confié à l’amusement des sans-culottes pour y festoyer à loisir.
Versailles connaît ses premiers affronts quand, d’août 1793 à 1796, le château est dépouillé de son mobilier et de son argenterie. 17180 lots sont vendus aux enchères, provoquant la dispersion de ce patrimoine national à travers le monde.
Napoléon ne s’intéresse guère à un Versailles déshabillé de sa grandeur intérieure, à l’exception du Grand Trianon où il séjourne régulièrement. Il dira à l’architecte Fontaine : « Pourquoi la Révolution qui a tant détruit, n’a-t-elle pas démoli le château de Versailles ! Je n’aurais pas aujourd’hui un tort de Louis XIV sur les bras, un vieux château mal fait, un favori sans mérite à rendre supportable… »
Louis-Philippe, arrivé dans les bagages de la Révolution de 1830, évitera, pour réconcilier les Français avec la monarchie, de redonner du lustre au château. Pire même, il fera détruire les logements de l’aile des Princes et de l’aile Nord pour créer un musée consacré « aux gloires de la France ».
Versailles renaît avec la République. La Troisième d’abord, qui vient s’y réfugier en 1871, fuyant la Commune de Paris. Le Parlement s’y installe jusqu’en 1879 avant de regagner la capitale. Les élections des présidents de la IIIe et de la IVe République par le Congrès s’y déroulent jusqu’en 1953, date de l’élection de René Coty.
La Ve République ne déroge pas à faire de Versailles le centre de gravité de la grandeur française en y invitant régulièrement les hôtes les plus prestigieux de la planète. De Gaulle y accueille la reine d’Angleterre et le président John Kennedy ; Mitterrand, les membres du G7 en 1982. Et quand la France doit, dans un grand élan d’identité nationale, se retrouver unie, c’est encore à Versailles que germe la nation résistante et l’affirmation de nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Un trilogie que Louis XIV n’avait sans doute guère imaginée !
L’Histoire s’invite à Versailles
6 octobre 1789. La marche funèbre de la monarchie
Il pleut, ce 5 octobre 1789. Abondamment. Une pluie continue et froide d’automne. Une pluie comme un torrent de colère et de désespoir qui ruisselle sur les visages affamés et émaciés des 7 à 8000 « poissardes » qui marchent depuis cinq longues heures dans le bourbier de l’avenue de Paris qui mène à Versailles. Une pluie qui glisse des coiffes au bas des robes détrempées et fangeuses, leur donnant l’aspect d’une armée de « pouilleuses » en retraite. Si ce n’est qu’elles portent, ces femmes de Paris, venues des faubourgs Saint-Antoine et des Halles, armées de piques, de haches, de fourches et de fusils, l’espoir de toute une ville… de tout un peuple.
Versailles n’est plus très loin. Peut-être verront-elles, à leur arrivée, mourir pour la première fois le soleil à l’horizon du Palais ? Flamboyer les lumières, la nuit puis s’éveiller au petit jour. Un jour nouveau où le roi, la reine, la famille royale et leur cortège de protecteurs se mêleront au leur, au son du tambour, arborant dans un joyeux défilé la cocarde tricolore, nouveau symbole de la Révolution.
Le cortège des ventres creux
Ce cortège qui s’est élancé de Paris la veille ne s’est pas formé spontanément, n’obéit pas à une pulsion populaire soudaine et inorganisée. Il lui faut, pour prendre corps, des agitateurs et des meneurs. Des chefs aussi en sous-main qui agissent pour leur compte. Le duc d’Orléans, frère de Louis XVI, qui depuis le Palais royal se verrait bien, son frère destitué ou en exil, prendre la tête d’une monarchie constitutionnelle ? Lafayette, populaire mais ambitieux, sait qu’il a un rôle à jouer à la tête de ses gardes nationaux. Et puis cette misère qui fait les ventres creux et imprègne la révolte. Et puis tout ce petit peuple de domestiques mis à la porte des aristocrates qui ont préféré émigrer plutôt que de voir leur tête au bout d’une pique comme celle, hideuse, du marquis de Launay, le gouverneur de la Bastille. Et puis cet affront fait au peuple de Paris de diriger sur Versailles le régiment de Flandre, fidèle au roi et qui peut fondre à tout instant sur la capitale pour une Saint-Barthélemy des patriotes.
Alors Paris s’enflamme. L’hôtel de ville devient leur point de ralliement. Des femmes et des hommes, certains travestis. Les armes et la poudre circulent de main en main. La route de Versailles est ouverte. Largement. Les 20 000 gardes nationaux n’interviendront pas. Il pleut des trombes mais les femmes sont en marche vers le temple du Soleil. Jean Jaurès dira d’elles « qu’elles n’étaient point, comme le dit la réaction, des mégères ivres de sang ou des filles de joie. C’étaient de bonnes et vaillantes femmes dont le grand cœur maternel avait trop souffert de la plainte des enfants mal nourris… C’était une révolte de la pitié. Et de plus avec leur sûr instinct, elles imputaient aux manœuvres des aristocrates et des prélats contre la Révolution la disette dont souffrait Paris, la misère qui étreignait le peuple… »
Les femmes manifestent. Le Roi chasse !
Il est 16 heures 30 quand les femmes de Paris découvrent Versailles. Le Roi, lui, revient de la chasse ! L’Assemblée envahie, le président Mounier est chargé avec des déléguées de porter les messages des Parisiens : du pain et le décret signé par le Roi de l’abolition de la féodalité. Louis XVI hésite sur ce dernier point mais finalement se décide à 20 heures. Deux heures et demies plus tard, Lafayette arrive à son tour avec ses 20 000 gardes nationaux. Le général demande au Roi de revenir à Paris. Louis XVI remet au petit matin sa décision. Il est 2 heures du matin quand les lumières finissent par s’éteindre. Dehors, les femmes de Paris et les gardes nationaux bivouaquent. Un apaisement avant le déchainement de violence qui, à partir de 6 heures du matin, déferle sur le Palais. Les grilles sont enfoncées, des gardes royaux sont tués, la foule pénètre dans les bâtiments. Marie-Antoinette a juste le temps de s’échapper par une porte dérobée. L’intervention des gardes nationaux et de Lafayette évitent un bain de sang. Devant la pression de la foule, le roi, la reine, le dauphin dans ses bras, apparaissent au balcon. Des cris fusent : « Le Roi à Paris ! Le Roi à Paris ! » Louis XVI fait contre mauvaise fortune, bon cœur : « Mes amis, déclare-t-il, j’irais à Paris avec ma femme et mes enfants, c’est à l’amour de mes bons et fidèles sujets que je confie ceux que j’ai de plus précieux. »
Les événements s’enchaînent. A 11 heures, l’Assemblée décide de suivre le Roi à Paris. A 13 heures, le cortège s’ébranle, gardes nationaux en tête suivis par les femmes, les chariots transportant le blé, les gardes royaux et suisses désarmés précédant le carrosse royal. Il est 20 heures quand tout ce monde arrive à Paris. Deux heures plus tard, la famille royale s’installe aux Tuileries.
Louis XVI ne reverra pas Versailles, prisonnier de « son » peuple pour n’avoir pas voulu assez tôt le libérer des chaînes de l’absolutisme.
25 février 1875. Le temple de l’absolutisme restaure la République
En ce mercredi du 8 mars 1876, Versailles brille de mille feux. Rien n’a été laissé au hasard pour accueillir les parlementaires de l’Assemblée nationale (526 députés) et du Sénat (300 sénateurs). Les ors de la République égalent les fastes de la Cour du temps de l’absolutisme. Comme si « Louis XIV était toujours là », au milieu de ce théâtre du pouvoir où se joue la politique de la France.
Tout a basculé le 4 septembre 1870 après la reddition de Napoléon III et la défaite de Sedan. La République accouchait du Second Empire moribond par une césarienne. Paris aurait dû être on creuset. Il n’en fut rien ! Par la faute des vainqueurs et par l’insurrection de la Commune de Paris. Versailles se pose alors comme le lieu obligé d’instauration de la République. Pour deux bonnes raisons : parce que c’est ici même que Bismarck a contraint Adolphe Thiers à ratifier, le 21 février 1871, les préliminaires de paix ; parce que, pour les Républicains, Versailles est devenu le refuge de la Défense Nationale face aux Communards.
Un mois plus tard, les députés tiennent pour la première fois séance dans la salle de l’Opéra royal, à l’endroit même où, le 25 février 1875, sera instaurée la République. Les parlementaires quitteront Versailles pour s’installer au Palais Bourbon et au Palais du Luxembourg. Malgré tout, Versailles conservera la primeur d’élire le président de la République jusqu’en 1953 puis de recevoir les séances du Parlement à chaque réforme de nos institutions. Un point fixe où le « monarque républicain » peut venir s’exprimer et garantir l’unité de la Nation. Comme Louis XIV sur lequel reposait l’unité du royaume.
28 juin 1919. Le traité de la douleur
Les héros du traité de Versailles ne se nomment pas Lloyd Georges, Wilson, Orlando et Clemenceau, les quatre représentants des pays alliés vainqueurs. Leurs noms sont ceux de soldats inconnus vivants : Albert Jugon, Eugène Hébert, Henri Agogué, Pierre Richard et André Cavalier. Cinq « gueules cassées » aux visages tuméfiés des cicatrices apparentes, décharnés de leurs traits originels, habits militaires de circonstance aux breloques pendant sur leurs vareuses. Reconnaissance honorifique du pays à leur malheur.
Leur présence, ce 28 juin 1919, dans la galerie des Glaces, cinq ans jour pour jour après l’attentat de Sarajevo, c’est à Clemenceau qu’ils la doivent. Le Tigre leur a dit, en se dirigeant vers eux puis désignant la table du traité : « Vous avez souffert mais voici votre récompense. » Une récompense ? Celle des stigmates à jamais imprimées sur leurs visages. Celle de l’éclat d’obus qui est venu se ficher dans leur chair.
Pourtant, leur présence ne dénonce pas la guerre. Ces cinq « gueules cassées » sont juste le symbole de la souffrance et de la victoire. Placés juste derrière la table de signature. Là où les représentants de l’Allemagne, Hermann Muller et le docteur Bell, devront obligatoirement passer et porter sur eux leurs regards comme le prix des réparations à payer !
Dans la galerie aux 357 miroirs, 1 heure 45 suffira, entre 14 heures et 15h45, aux 27 délégations et 32 puissances pour tirer un trait sur quatre années de guerre et 18,6 millions de morts. La foule peut dès lors acclamer les chefs d’état. Les héros de 14-18, eux, s’en sont allés rejoindre l’Hôpital du Val-de-Grâce, leur lit de souffrance et leur solitude.
Aucun traité de paix ne pourra jamais remplacer ce pourquoi ils étaient faits : VIVRE !
Versailles copié, jamais égalé
Versailles est unique. Inégalable. Une œuvre incomparable. Orgueilleux plus que fou celui qui prétendrait ne serait-ce qu’en approcher la splendeur et la grandeur : celles de l’harmonie architecturale et de l’incarnation du pouvoir.
Versailles, qui est devenu source d’inspiration à travers les monarchies européennes, a lui-même pris modèle sur un autre château : Vaux-le-Vicomte, l’éblouissante demeure de Nicolas Fouquet. Le surintendant des Finances de Louis XIV le fait construire de 1641 à 1661, aux faites de sa gloire. Pour y parvenir, Fouquet utilise le génie de l’architecte Louis Le Vau, le talent artistique du peintre Charles Le Brun et le goût paysager du jardinier André Le Nôtre. Trois hommes qui feront plus tard de Versailles un joyau ! En attendant, Nicolas Fouquet décide d’inaugurer Vaux-le-Vicomte en invitant Louis XIV, le jeune roi âgé de 23 ans. Déférence ou affront ? Toujours est-il que les six cents invités représentant la Cour du Roi sont émerveillés par la féérie d’eau, de pierre et de lumière qui illuminent le château. D’autant plus que Fouquet a mis les petits plats dans les grands en confiant la cuisine à François Vatel, et à Molière la représentation théâtrale.
Louis XIV se trouvera blessé dans sa fierté et dès lors ne pensera plus qu’à punir son surintendant de son audace et de son orgueil. Même quand Nicolas Fouquet osera le soir même lui offrir son château ! Suprême offense que Louis XIV comblera en le faisant emprisonner à vie et en réalisant Versailles.
Schönbrunn, Lunéville, Peterhof et Herrenchiemsee : autant de châteaux que Versailles inspirera aux monarques d’Europe. Schönbrunn, à Vienne, naît de la volonté de l’empereur Léopold Ier en 1696. Dans les volumes et l’agencement de ses jardins réalisés par un élève de Le Nôtre, Jean Tréhet, la résidence de la Cour d’Autriche se rapproche de Versailles dans l’équilibre de son architecture.
Revenu dans son duché de Lorraine, un autre Léopold Ier, afin de redonner du lustre à son pouvoir et à sa Cour, fait ériger le château de Lunéville à partir de 1704 pour en faire un petit Versailles.
Versailles qui hante les nuits du tsar Pierre le Grand qui le découvre lors de sa venue en France, le 25 mai 1717. Au point de vouloir non l’imiter mais en surpasser la splendeur. Peterhof s’élève sur une colline, à 25 kilomètres de Saint-Pétersbourg, au sommet d’un déluge de cascades, de fontaines et de sculptures. Débutés en 1714, les travaux s’achèvent en 1723, sous la direction de l’architecte français Jean-Baptiste Alexandre Le Blond.
Il en fit des rêves de grandeur, Louis II de Bavière : Neuschwanstein, Linderhof et enfin Herrenchiemsee, près de Munich. Lui qui s’imaginait devenir le nouveau Soleil de l’Europe, ne pouvait que s’identifier à Versailles après l’avoir visité en 1867. Mas les caisses vidées par sa folie de construction empêchèrent d’égaler le château du Roi-Soleil, offrant seulement aux regards le corps principal des bâtiments, la Galerie des Glaces et les jardins à la Française.


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