VII- Autopsie

Que Marie Antoine Constans dirige ses pas, en cet après-midi du 20 mars 1817, vers la rue des Hebdomadiers et c’est toute une ville qui bruisse déjà de l’identité des assassins. Une rue sombre et étroite faite pour une scène de crime. Parsemée de de quelques beaux hôtels mais aussi de vieilles masures et de granges. Et puis surtout, surtout, désignée par la vindicte populaire, cette maison Bancal. Un bouge ? Grand Dieu ! Juste une chambre, louée à l’encan à quelques couples adultères ou à quelques soldats en goguette, friands de gourgandines. Histoire de rendre le loyer plus supportable. Pas de quoi fouetter un chat. Mais la canne à pommeau (celle du procureur sans aucun doute) et un mouchoir aux initiales brodées AB retrouvés à l’angle de la rue du Terral et des Hebdomadiers incitent le commissaire à aller y jeter un œil. Interrogatoires. Fouilles minutieuses. Aucun indice laissant croire que le procureur serait passé ici de vie à trépas. A peine Constans relève-t-il que les initiales du mouchoir correspondent à la locataire Anne Benoit qui, d’ailleurs, ne s’en cache pas. Circonspect, le commissaire en reste là ! Mais il est trop tard. Sans le vouloir, il vient de jeter en pâture la maison Bancal à la vindicte populaire.

 

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Qu’un procureur, ferme opposant à la monarchie retrouvée, franc-maçon de surcroît, probable détenteur d’informations compromettantes, soit égorgé dans le contexte tendu des premiers temps de la Restauration et voilà que les autorités s’affolent. Préfecture. Mairie. Tribunal. Nul doute que ces messieurs ont tiré les rideaux et dans le secret d’un salon feutré, ont discouru sur ce crime, ne lâchant au peuple que les miettes du festin informel.

Il y a là le préfet d’Estourmel, un noble arrivé en 1815 à Rodez dans les bagages de la Restauration ; le maire Joseph-Régis Delauro ; le juge Teulat, chargé de l’instruction ; le général Pélissier, commandant de l’armée du département ; le juge Enjalran enfin, président de la cour prévôtale.

L’authenticité de cette réunion n’est pas avérée. Mais qu’aurait-elle de surprenante quand l’intérêt de la politique dépasse celui de la justice.

Un rapide tour de piste. Des divergences. Mais au final un compromis. Laisser la rumeur battre le pavé. Brouiller les pistes. Evoquer le suicide. La diriger vers le crime crapuleux. Au mieux impliquer son entourage. Au pire l’élever au rang du sordide. Et puis surtout, surtout, éviter toute implication politique.

– Messieurs, conclut d’une voix rigide le préfet d’Estourmel, vous savez ce qu’il vous reste à faire.

 

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Aux premières heures de l’affaire, un enquêteur perspicace se soucierait de reconstituer l’emploi du temps de la victime le jour du crime ; chercherait dans sa vie privée des éléments de réponse ; s’inquièterait de sa situation financière et de ses ennemis potentiels. Rien de tout cela à vrai dire ne fut fait et l’enquête se perdit dans les multiples témoignages dispensés à volonté par ceux et celles qui croyaient avoir vu et entendu. Un leurre que les autorités de la ville utilisèrent à dessein pour détourner l’enquête de la vérité. Et quand le commissaire Constans s’oriente vers d’autres recherches, le maire Delauro obtient sa démission. Pire même, il se retrouvera sur le banc des accusés lors du troisième procès.

Que fit Antoine Bernardin Fualdès ce 19 mars 1817 ?  Chronologie d’une journée banale. 3 heures de l’après-midi : rencontre à son domicile avec Bastide pour négocier à sa demande des effets de commerce. 17 heures : Bastide lui remet 2000 francs à la maison des Maçons. 18 heures : Fualdès est chez lui avant de sortir fumer un cigare sur la place. « Un procureur gai et content » selon les dires de son épouse. Une impression confirmée par son ami Sasmayous à son arrivée chez Fualdès vers 7 heures 45. 8 heures : Fualdès quitte son domicile. Rien, apparemment, qui laisse percer une inquiétude dans l’attitude de l’ex-procureur.

Une vie dissolue ? Cette assertion repose uniquement sur les souvenirs et les convictions de l’avocat de Bastide, maitre Romiguière. Donc a posteriori du crime. Sans doute certaines confidences avaient sifflé à ses oreilles mais qui aurait, à l’époque, porté sur la place publique, la vie intime d’un notable comme Fualdès ? Laissons donc là ce qui pourrait passer pour une rumeur.

Plus révélatrice est la situation financière de la victime. Avec un simple constat à la clef ! Cité parmi les cent personnes les plus imposées de la commune de Rodez en 1812, Fualdès est aux abois en 1817 au point de se voir obliger de vendre l’avant-veille du crime son domaine de Flars, près de Rodez, au président du tribunal de commerce, M. de Séguret afin de payer ses créanciers. Pourquoi une telle décadence financière ? Sans doute faut-il en trouver la cause dans la suppression de sa charge d’accusateur impérial au criminel en 1815 qui lui fait perdre ses émoluments, doublée de quelques mauvais placements. Bref, Antoine Bernardin Fualdès a perdu avec le retour des royalistes, et son pouvoir judiciaire, et son aura de notable aisé auxquels s’ajoute la fin de sa fonction de conseiller municipal de Rodez. Rien cependant qui explique un crime aussi sauvage !

Fualdès avait-il des ennemis ? La question semble bien impropre dans son cas. Républicain de la première heure, membre du tribunal criminel exceptionnel sous la Terreur,  durant laquelle il vote la mort de Charlotte Corday, Fualdès évite les charrettes qui conduisent les Montagnards à la guillotine. Le temps de se faire oublier dans sa ville natale de Mur-de-Barrez, le revoilà à Rodez, rallié à l’Empire comme substitut du procureur. C’est dans ce cadre qu’il instruit les affaires de La Goudalie et de l’attaque de la diligence d’Espalion fomentées par les ultraroyalistes. Des ennemis, Fualdès en a donc. Et pas des moindres. Parmi les familles de ceux et celles qu’il a pu faire condamner durant ses fonctions et qui auraient voulu se venger. Surtout parmi ses adversaires politiques et plus particulièrement au sein des Chevaliers de la Foi, dont il a, en 1815, fait échouer le complot de La Goudalie. Un champ d’investigations qu’il aurait fallu labourer en profondeur mais dont on imagine bien qu’elles se seraient vite heurtées au pouvoir politique et au silence des autorités locales. Et ceux qui en parlaient le faisaient à voix basse, la Terreur blanche étant aussi redoutée que sa consoeur de 1793. Persécutions. Eliminations. La fleur de lys comme symbole d’épuration de la République honnie !

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