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Emile Pouget, Le Père Peinard de l’anarchie

Au temps des illuminés de la nitroglycérine, avec cette gouaille du populo apprise dans les troquets de Paname la révoltée, Emile Pouget passait pour un pamphlétaire redouté, anarcho-syndicaliste bouffant du curé et du galonné. Mais foutre ! Qu’on se le dise ! ce gniaff journaleux était aveyronnais.

« Le jour où le populo ne sera plus emmiellé, c’est le jour où les patrons, gouvernants, ratichons, jugeurs et autres sangsues tèteront les pissenlits par la racine… »

Des jactances de ce style, à la façon d’Hébert dans Le Père Duchesne, Emile Pouget en balance à chaque ligne du Père Peinard, almanach et hebdomadaire anarchiste, fondé en 1889 et qui connut une vie chaotique jusqu’en 1902, date de son dernier numéro ; Y a qu’à piocher pour s’en remplir la trombine ou alors s’en boucher les écoutilles ! Morceau choisi !

« Les bafouilleurs de la haute jacassent d’assainissement et de tout à l’égout… Quelle plus chouette assainissement que de purifier les hautes sphères sociales et de pratiquer le tout à l’égout de la chameaucratie qui nous ronge !… Ainsi les ratichons feraient du riche noir animal ; les généraux d’excellente poudrette ; les banquiers du guano du Pérou ; les proprios du fumier de ferme ; les jugeurs du purin. On confondrait les huissiers avec un lavement dégorgé, les sénateurs avec des cataplasmes sanieux, les ministres se mueraient en crottin de bourriques, les députés et autre bouffe-galette en bouses de vaches… »

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’Emile Pouget ne se privait pas d’allumer des brandons contre tous les profiteurs, usant et abusant d’un style et d’un ton virulent qui plaisaient aux prolos, décidés à en découdre avec les cléricochons et autres ratichons. Pourtant, réduire à cette phraséologie rustique et nauséabonde, le rôle d’Emile Pouget dans l’histoire du monde ouvrier aboutirait à masquer la vérité sur un homme épris de justice et de liberté, pourfendeur du grand capital parce que révolté par la misère de la classe ouvrière, théoricien à ses heures et, surtout, d’une intégrité qui ne le fit jamais dévier de l’idéal politique qu’il s’était fixé et pour la cause duquel il se battit toute sa vie.

À la création du Père Peinard, il y avait belle lurette qu’Emile Pouget s’était activé les pinceaux pour quitter l’Aveyron et grimper ses arpions à Paname pour se faire un brin d’oseille.

Né à Pont-de-Salars, le 13 octobre 1860, la grande faucheuse l’avait fait orphelin à six ans, d’un paternel notaire. Sa mère, jeunette de vingt-six ans, se remit vite à la colle avec un conducteur des Pont et Chaussées, Philippe Vergély, ardent républicain et gratte-papier virulent à ses heures contre le Second Empire ; De quoi vous filer le mors aux dents contre tous les jean-foutres et profiteurs. Colère qu’Emile Pouget partageait avec son frère cadet Isidore devenu plus tard, professeur à la faculté d’Alger. Haine de classe qu’il put approfondir en assistant, en 1871, au procès de Rodez contre les Communards narbonnais. Elève du lycée de Rodez, bien décidé à foutre la puce à l’oreille des bons bougres, il créa une feuille de chou « Le Lycéen républicain » qui lui valut une bonne semonce et quelques plombes de retenue. Mais foutre ! Ce n’était là que banc d’essai et, à la mort de son beau-père, en 1875, Emile Pouget prit ses cliques et ses claques pour s’en venir arpenter le pavé parisien.

Courant les meetings et les réunions de bistrots, le gavroche fit son nid dans les cercles libertaires proches de Bakounine. Ne détestant pas la bastoche, c’est lui qui, en 1883, lors d’une manifestation de sans-travail, tenta vainement de protéger Louise Michel, la Vierge Rouge de la Commune. Il le paya de huit années de taule, bientôt réduites à trois années après la loi d’amnistie.

Piètre orateur, Emile Pouget trouva bientôt dans Le Père Peinard le moyen de laisser s’épancher son exécration de la société bourgeoise et du socialisme centralisateur. Souvent poursuivi par la justice pour ses articles, contraint d’en arrêter la parution après les lois scélérates de 1894, votées pour lutter contre les anarchistes dynamiteurs, Emile Pouget s’exila à Londres et poursuivit ses activités propagandistes. Que dire alors de ce rapport secret de la police française sur son compte ?

« De concert avec Dupont et d’autres, il se livre, en Angleterre, à un petit commerce qui fit la joie de la colonie anarchiste et fut d’ailleurs très rémunérateur.

Pilotell, dessinateur connu, acheta de très bonne foi à Pouget et à ses associés des dents qu’on lui présenta comme ayant appartenu à Ravachol et qui avaient été tout simplement extraites d’une tête de mort acheté chez un brocanteur de Dean Street. Ces molaires furent payées très cher par le collectionneur. On ne s’arrêta pas là. On fabrique pour la circonstance des autographes de Marat, Danton, de Robespierre…

Pouget gagna pour sa part à ses petites opérations 2000 francs et se hâta d’en consacrer une partie à la création d’on ne sait quelle feuille de chou. »

Anarchiste de tempérament, Emile Pouget comprit, dès son retour d’exil, que le Grand Soir ne viendrait pas au moyen des attentats mais bien par l’action syndicale, la grève générale et l’action directe. De 1902 à 1908, il joua un rôle prépondérant dans la C.G.T. dont il était le secrétaire-adjoint. Mis en minorité au congrès de Marseille par les réformistes, Emile Pouget cessa dès lors de militer pour tomber peu à peu dans l’oubli, se consacrant pour l’essentiel à l’écriture. Jusqu’à ce que la mort vienne le tirer par les pieds, le 21 juillet 1931, à Lozère (Seine-et-Oise).

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