Abel Lafleur, l’Aveyronnais qui sculpta la Coupe du Monde de football 1930
L’histoire de la Coupe du Monde débute en 1928. Le 26 mai exactement quand, à Amsterdam, la F.I.F.A., après bien des atermoiements, décide de sa création
Un qui jubile, dans son for intérieur, c’est le Français Jules Rimet. Le président de l’instance internationale qui gère le football tient enfin sa victoire. Son opiniâtreté a prévalu sur le conformisme et le scepticisme craintif de ses collègues. Reste à entériner cette décision. Ce sera chose faite l’année suivante, sans grande médiatisation, au congrès de Barcelone. Le texte fondateur se résume, en effet, en un communiqué laconique : « La F.I.F.A. organisera tous les quatre ans, pour la première fois, en 1930, une compétition dénommée Coupe du Monde. L’objet d’art sera offert par la F.I.F.A. »
Pour Jules Rimet, le plus dur est à venir mais l’omnipotent président ne laisse à personne le soin de s’occuper de « sa » Coupe du Monde. Choisir le pays organisateur (ce sera l’Uruguay), convaincre les nations européennes de se déplacer au presque bout du monde (les Anglo-Saxons, un brin jaloux, boycotteront), trouver l’argent nécessaire ; bref, déplacer des montagnes, tout cela est de son ressort.
Pour ce qui est du trophée, Jules Rimet a sa petite idée sur la question. Il se rend au 41, rue de Sèvres, à Boulogne-sur-Seine et frappe à la porte d’Abel Lafleur. En ouvrant, le sculpteur ne se doute pas qu’il tient là la commande et l’œuvre majeure de sa vie.
Mais qui est donc cet artiste au nom qui fleure bon les senteurs vanillées des îles mais dont les racines plongent dans ce Rouergue qu’il n’a jamais oublié ? Né à Rodez, le 4 novembre 1875, sa tendre jeunesse se déroule dans le Vallon, à Valady, au milieu des vignes que le phylloxéra détruira bientôt. Est-ce cette peste agricole qui incite la famille Lafleur à quitter le pays, pour Cahors d’abord, pour Paris ensuite où le jeune Abel et sa famille arrivent en 1885 ? Peut-être ! Ce qui est sûr, c’est qu’Abel Lafleur assouvit très vite sa passion de la gravure et de la sculpture. Elève de l’école des Beaux-Arts, il fréquente avec assiduité les ateliers des grands maîtres de l’époque avant de gagner son indépendance. Homme simple et modeste, retournant fréquemment dans son pays natal, Abel Lafleur est aussi un bourreau de travail qui croule bientôt sous les commandes. Outre celles de l’Etat et de nombreux pays étrangers, il est également le fournisseur attitré des ligues sportives affiliées à la Fédération Française des Sports.
C’est donc en toute logique que Jules Rimet a pensé à lui. Dans sa sacoche, 50 000 francs de l’époque. La F.I.F.A. ne lésine pas sur les moyens. Son président veut une œuvre à la dimension de son ambition et du Monde.
« Mon cher Lafleur », lui dit Jules Rimet sans détour, « la coupe doit être en or massif, non par ostentation mais en tant que symbole. La coupe du Monde doit être la première parmi les manifestations et l’or est le symbole de la primauté ».
Qu’à cela ne tienne ! Abel Lafleur relève le défi et se met au travail, réfléchit, esquisse des formes, élabore des mouvements et commence par ciseler son œuvre. A intervalles réguliers, Jules Rimet passe le voir, hoche la tête, approuve et encourage l’artiste. Enfin, la sculpture est prête. Haute de 35 centimètres, pesant 3,8 kg, la statuette en or massif repose sur un socle serti de lapis lazuli et composé d’un plat d’or sur chaque côté, sur lesquels seront gravés les noms des pays vainqueurs. Le regard de Jules Rimet brille de mille feux devant cette Victoire aux ailes d’or déployées, portant à bout de bras un vase octogonal.
Vient le jour où les équipes embarquent sur le Comte-Verde. Destination : Montevideo. Dans les bagages de Jules Rimet, à l’abri des regards indiscrets, la Coupe du Monde. 13 équipes sont au rendez-vous pour s’en disputer les faveurs. Jusqu’à la finale qui verra le capitaine Nasazzi la prendre dans ses bras et l’offrir à son peuple, « dans un silence impressionnant suivi de vociférations assourdissantes ».
Loin de l’exubérance latino-américaine, Abel Lafleur continue de travailler sans se douter que sa « belle » commence à déchaîner les passions mais aussi les envies. Désormais propriété, pendant quatre ans, du pays vainqueur, la statuette d’Abel Lafleur va connaître, en effet, des tribulations rocambolesques. Avant la guerre, elle devient officiellement la coupe Jules-Rimet. Les Nazis auraient fait main basse sur elle si le vice-président de la F.I.F.A., Ottorino Barassi, ne l’avait cachée sous son lit, dans une boîte à chaussures. Elle ressortira saine et sauve, à la Libération.
Le 20 mars 1966, un mois avant la Coupe du Monde en Angleterre, la coupe disparaît de la salle du Central Hall de Westminster, à Londres où elle est exposée. Emoi dans tout le Royaume-Uni ! Scotland Yard s’occupe de l’affaire mais c’est un chien appelé Pickles, qui la déniche, une semaine plus tard, dans une poubelle. Son maître, Dave Corbert, touchera une prime de 5000 livres.
Le Brésil la remporte définitivement en 1970 après trois succès, selon la volonté de Jules Rimet. Carlos Alberto et le roi Pelé sont les derniers à la brandir à la face du Monde. La statuette, pour la seconde fois, est dérobée dans la vitrine de la Confédération, à Rio de Janeiro, le 19 décembre 1983. On ne la reverra plus. Trois Brésiliens et un Argentin sont d’abord soupçonnés puis, faute de preuves, relâchés. En 1988, le chef présumé est retrouvé assassiné, à Ipanema, par deux de ses complices, jaloux de n’avoir pas reçu leur part du butin. A l’époque du vol, la statue d’Abel Lafleur a été fondue dans un atelier clandestin de Rio puis revendue au poids de l’or. Sa valeur marchande est évaluée, à l’époque, à 38 500 francs. En 1984, le Brésil en fait sculpter une copie.
Triste fin pour une déesse montée aux firmaments de la « planète foot » et définitivement supplantée, dès 1974, par une nouvelle Coupe du Monde, due aux mains du sculpteur italien, Silvio Ganizza. Mais Abel Lafleur et Jules Rimet avaient quitté ce monde depuis trop longtemps pour pouvoir pleurer sur ce destin hors du commun. Le premier était mort, le 27 janvier 1953 ; le second, trois ans plus tard, le 23 octobre.
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