La course en jupons des midinettes parisiennes
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Les premiers Jeux olympiques de l’ère moderne s’achèvent. Pierre de Coubertin peut être satisfait. Outre l’organisation qui n’a pas connu de graves incidents, le baron vient de démontrer toutes les valeurs fraternelles du sport.
Seul point noir : l’absence de femmes, jugées indésirables, lors des compétitions. Pierre de Coubertin a refusé leur participation, arguant du fait « qu’une olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte. Les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle (des femmes) devrait être avant tout, comme dans tous les concours antiques, de couronner les vainqueurs ».
Le baron, pourtant grand admirateur de l’Antiquité, oublie cependant de dire que si les femmes sont interdites dans les stades grecs, la pratique du sport leur est recommandée. Platon en dessine même les règles d’éducation : « Mon code énoncera exactement les mêmes obligations pour les filles que pour les garçons. Les femmes doivent recevoir le même entraînement. » Et c’est bien à Olympie que se déroulent les jeux d’Hérea, en l’honneur de la déesse protectrice de la femme. Les jeunes filles sélectionnées s’affrontent sur trois courses de 160 mètres, « cheveux pendants, tunique retroussée un peu au-dessus du genou, épaule droite nue jusqu’au sein ».
Une tenue que les midinettes de la Belle Epoque n’envisagent même pas de porter quand, le 25 octobre 1903, elles s’alignent au départ de la course organisée à leur effet par le journal Le Petit Haut-Marnais. La mode est alors aux épreuves insolites. La concurrence est rude entre les journaux. Chacun rivalise d’imagination, parfois jusqu’à la caricature. Le Petit Journal ne vient-il pas de créer une course réservée aux unijambistes !
Pour les jeunes ouvrières de la couture et de la mode, que les Parisiens ont l’habitude de voir dîner à proximité de leurs ateliers (d’où leur nom de midinettes), il s’agit de rallier Paris à Nanterre, soit douze kilomètres à parcourir en courant ou en marchant.
Au jour J, mille concurrentes se pressent place de la Concorde, les unes en costumes de ville avec chapeau, voilette, ombrelle ; les autres, en culotte de cycliste ; la plupart portant la jupe classique du trottin s’arrêtant à la cheville et le béret comme couvre-chef. Des tenues peu orthodoxes que leurs volontés de participer et d’arriver compenseront largement.
Le départ, vers 11 heures 30, est donné dans un désordre indescriptible. Organisateurs et policiers sont débordés. Des midinettes certes mais aussi des curieux. Des milliers de curieux, tout sexe confondu, venus en famille, qui se répandent depuis le départ jusqu’au pont de Neuilly. La plupart vienne se gausser de ces femmes, certes fraîches de leur jeunesse mais certainement bien gauches quand il s’agit de courir. « Cent, deux cents, trois cent mille personnes, peut-être un demi-million de curieux et de curieuses, rapporte le journal L’Auto, se bousculant sur dix rangs d’épaisseur, juchés sur des échelles, accrochés aux becs de gaz, pendus dans les arbres. »
Un journal peu tendre avec ces demoiselles dont la grande majorité participe pour la première fois à une course mais qui reflète bien l’état d’esprit d’une époque encore peu ouverte à l’émancipation féminine. « Il y en avait des jolies, des passables, des laides… beaucoup semblèrent laides de geste dont elles ne se servent pas… Et tant bien que mal, plutôt mal que bien, nos modistes, nos couturières et les autres se frayent un passage à travers la foule. »
Car, en effet, c’est une véritable armée féminine qui passe devant l’Arc de Triomphe, précédée par des gardes à cheval, les unes et les autres tentant de se frayer un chemin au milieu des fiacres, des vélos, des automobiles et des motocycles. Une ruée qui ne tarde pas à se disperser. Les moins robustes, le souffle coupé et les joues enflammées, préfèrent stopper leur élan et abandonner. Pour d’autres, les premières foulées sont vite remplacées par une marche plus laborieuse. Les couturières les plus rapides, piquées au vif par les rires et les remarques sarcastiques de spectateurs, ne cherchent qu’à gagner l’arrivée pour y récolter les honneurs.
Si le résultat de la course reste anecdotique, la première concurrente, Jeanne Cheminel, parcourant la distance en 1 heure 10, pour le Petit Haut-Marnais, la course est un indéniable succès populaire. Les femmes y ont pris toute leur part en démontrant à la fois leur attirance pour le sport et leur volonté de rivaliser avec les hommes.
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