Le déluge du siècle
1er au 4 mars 1930. Tarn-et-Garonne
« Avec terreur on lit dans les journaux
Les effets lamentables
D’une catastrophe des plus épouvantables
Provoquée par les eaux
En pleine nuit
Spectacle plein d’horreur
Des villes et des villages sont engloutis
Par des flots en fureur
Combien fuyant dans la nuit
Leur logis détruit
Les yeux pleins de larmes
Auront connu les alarmes
Et tous les tourments
D’un pareil moment
Combien malgré leurs efforts
Vaincus par le sort
Et les flots féroces
Dans l’eau trouvèrent un sort atroce »
C’est par la traditionnelle complainte, compagne lancinante des crimes et des catastrophes, qu’est retracée la pire inondation que la France ait connue au XXe siècle, touchant surtout le département du Tarn-et-Garonne du 1er au 4 mars 1930. Le Tarn, grossi par l’Aveyron et quelques affluents, dévaste tout sur son passage et laisse en se retirant morts, ruines et désolation. Qu’on en juge : 195 victimes (peut-être 300) et 2500 habitations détruites le long des rives du Tarn. Un déluge meurtrier qui engendrera une solidarité nationale et internationale.
Ce soir du 3 mars 1930, le cirque Hagenbeck donne une représentation à Moissac. Malgré la pluie qui ne cesse de tomber, le public a répondu présent. Personne, entre deux spectacles de trapézistes-volant et de clowns hilarant, ne se doute de la catastrophe touchant les quartiers inondables de Moissac. L’Agout, cet affluent du Tarn, ne cesse de monter depuis le matin. Les gendarmes, inquiets, circulent depuis une à deux heures pour inciter la population à fuir. Sans être véritablement écoutés. Quand soudain… ! La digue qui protège les quartiers vulnérables et la voie ferrée cèdent sous le poids des flots boueux et des eaux turgescentes de la rivière. En quelques secondes, les rues et des milliers de maisons sont submergées. Leurs habitants, pris au piège, n’ont pas le temps de s’enfuir. Ceux qui ont assisté au spectacle du cirque, situé en zone non inondable, découvrent en sortant une vision d’apocalypse. Maisons éventrées… Arbres arrachés… Rues envahies de boue. Du jamais vu à Moissac malgré l’habitude des caprices de l’Agout. Le bilan est terrible : 1400 maisons détruites. 5900 sans-abris pour une population de 7500 habitants. Et surtout entre 120 et 130 victimes. Le bilan le plus lourd pour ce qui est considéré comme la crue du siècle. Car la longue chevauchée des eaux ne s’arrête pas à Moissac. Tout le bassin du Tarn et de la Garonne est touché par cet épisode méditerranéen dont les causes sont connues. Une dépression atlantique au contact de hautes pressions venues d’Espagne a formé, début mars, une goutte froide sur le golfe de Gascogne, provoquant des pluies intenses et continues. Parallèlement, un vent chaud, venu de Méditerranée, a rapidement fait fondre la neige, tombée en grande quantité sur les hauts plateaux fin février, gonflant les ruisseaux et les rivières. A Montauban, le Tarn alimenté par le Tescou atteint 11,49 m. Une lame d’eau foudroyante ravage plusieurs quartiers dont le faubourg Saplacou. Le chef-lieu du Tarn-et-Garonne compte 25 victimes dont Adolphe Plout, directeur de la Biscuiterie éponyme. Au mépris du danger, toute la nuit, avec son embarcation, et avec l’aide de René Bousquet, tristement célèbre plus tard sous Vichy, il sauve des personnes de la noyade. Avant de succomber à son tour. Epuisé. Pour garder certains quartiers face au pillage, les tirailleurs sénégalais en caserne à Montauban sont déployés dans les quartiers touchés.
Pareille inondation à Saint-Sulpice, noyé par l’Agout qui atteint 19,5 m ; à Rabastens, où le Tarn monte de 18 m. Plusieurs villages et hameaux (Albefeuille-Lagarde, Barry d’Islemade, Les Barthes, Villemade) sont rayés de la carte, engloutis par la fureur des eaux et dont les maisons, bâties pour la plupart en matériaux vulnérables (briques crues), succombent à la pression des flots. Reyniès (500 habitants) est englouti sous 3 mètres d’eau. Quand le Tarn se retire, seule l’église et la mairie tiennent debout. Vingt habitants ont succombé.
La crue ne s’arrête pas au Tarn. La Garonne est à son tour touchée. Agen, La Réole et jusqu’à l’océan subissent de terribles inondations. Quand la décrue s’amorce, les dommages sont énormes. Neuf grands ponts sont détruits. Plus de 3000 maisons. 4200 ha de voies ont été inondés. Sans parler des conséquences sur l’économie et l’agriculture. Face à l’ampleur du désastre, restitué aujourd’hui par de nombreuses photos et cartes postales, la solidarité est nationale et internationale. Le président de la République Gaston Doumergue, originaire de la région, se déplace en personne. Un deuil national est décrété le 9 mars par le gouvernement. Après le deuil et le nettoyage, le temps est venu de reconstruire ponts, maisons, voirie… Aujourd’hui encore demeurent des traces de cette reconstruction. A Montauban, le roi de Serbie finance la reconstruction d’une école appelée désormais Alexandre Ier. La mairie de Paris et des donateurs belges apportent des dons pour reconstruire la Maison du Peuple. Pareillement à Moissac où la mairie de Paris finance la construction de la halle. Des dons arrivent aussi du Maroc. Les Pays-Bas apportent leur aide à Albefeuille-Lagarde.
Le déluge du siècle ne s’est plus jamais reproduit avec une telle intensité. Sans aucun doute, le Plan de Prévention des Risques Naturels d’Inondation permet aujourd’hui de prendre des mesures de prévention, de protection et de sauvegarde. Mais il suffit parfois d’un phénomène exceptionnel pour voir l’eau submerger les prévisions. Ne dit-on pas que « quand l’eau abonde, la misère est par le Monde » !
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !