,

La dernière grande lutte des mineurs du bassin houiller. 1962

Treize années se sont écoulées depuis la grande grève de 1948. Les inquiétudes sur l’avenir du charbon en France ne se sont pas pour autant dissipées. Bien au contraire si l’on examine le quatrième plan et la politique énergétique du pays qui prévoit de ramener la production de cinquante-huit millions de tonnes en 1960 à quarante-cinq millions de tonnes en 1975. Le mémorandum Marjolin, en 1960, prône l’ouverture du marché de l’énergie, mettant en concurrence les sites de production. Le rapport Lapie, quelques années plus tard, prévoit que la part de la houille dans la production d’énergie ne représentera plus qu’un tiers de la production en 1970. Du tout charbon, la France passera ainsi au tout pétrole. Dans le Bassin, les effectifs n’ont pas cessé de diminuer, passant de cinq mille deux cents en 1948 à deux mille deux cents en 1961. Autre interrogation qui se pose : la rentabilité des mines du bassin. Un argument vivement contesté par les syndicats et les ingénieurs qui mettent en avant la qualité du charbon, les réserves encore importantes (trente-deux millions de tonnes) et l’excellente productivité des mineurs. Voilà de quoi alimenter les inquiétudes face à la menace progressive de fermeture des mines.

Aussi, quand en septembre 1961, le général de Gaulle entame son voyage présidentiel en Aveyron, il sait combien l’étape du Bassin houiller sera périlleuse, vu l’hostilité des élus du Bassin, dans un territoire acquis à la gauche depuis le début du siècle. Déjà, la mairie d’Aubin, communiste, a déclaré refuser de recevoir le président. C’est donc à Viviez puis à Decazeville que De Gaulle est reçu. Il écoute les doléances des élus du Bassin, par la voix du maire René Rouquette et répond sans apporter de véritables solutions mais en demandant aux populations de faire confiance à la Nation. « Decazeville n’est point en France la seule région critique, et je suis obligé d’en tenir compte. Le cas de Decazeville fait partie du problème charbonnier de l’Europe. La situation des mineurs et de leur avenir constitue l’un des premiers soucis du gouvernement. Dans ces régions critiques, se posera bien sûr, de plus en plus, le problème de l’implantation de nouvelles industries. Mais tous les problèmes se posent en même temps : agricole, industriel, exportation. C’est une situation que nous surmonterons pas à pas, que nous ne résoudrons que par un effort de solidarité locale et de cohésion nationale. » Un discours que les mineurs du Bassin se chargeront de traduire, deux mois plus tard, par une grève générale.

Quand l’année suivante, huit mineurs de Decazeville sont licenciés, deux mille deux cents de leurs camarades se mettent aussitôt en grève, le mardi 19 décembre 1961, posant deux revendications majeures à la reprise du travail : le maintien de l’activité normale dans le bassin houiller de l’Aveyron et pour les mineurs reconvertis ou à reconvertir, la perception immédiate de la retraite proportionnelle ou le maintien de l’affiliation au régime de Sécurité sociale minière. Événement exceptionnel : les mineurs décident de faire la grève au fond de la mine, les grévistes passant même le réveillon au fond de la mine ou en surface.

Le 21 décembre, à Decazeville, entre quinze mille et vingt mille personnes manifestent leur soutien aux grévistes. La solidarité parvient de partout et de tous les milieux. Pourtant, aussi bien à l’Élysée qu’à Matignon, rien ne bouge, en dépit des lettres envoyées et des communiqués des syndicats.

Le 28 décembre, cinq mille personnes défilent dans les rues de Rodez à l’appel du Comité des femmes. Ils sont encore cinq mille à Decazeville, le dernier jour de l’année. Le 31 décembre, les maires de l’Aveyron démissionnent en signe de solidarité. Les élus du Conseil général menacent de faire de même. C’est pourtant une fin de non-recevoir que le gouvernement transmet au Comité intersyndical.

Le 9 janvier, l’ensemble du département cesse le travail pendant vingt-quatre heures. Trente-six mille personnes défilent dans les rues de Decazeville. L’épreuve de force est engagée, qui va crescendo les semaines suivantes : cinquante mille personnes à Decazeville le 26 janvier.

Résolus à aller jusqu’au bout, vingt mineurs volontaires tirés au sort tant les candidats sont nombreux (onze du fond et neuf de surface) se mettent en grève de la faim dès le 5 février. Une décision mûrement réfléchie qui a pour but de faire fléchir le gouvernement mais dont le résultat demeure incertain. En effet, dès le 12 février, six d’entre eux sont hospitalisés. Trois jours plus tard, un septième tombe dans un état semi-comateux alors que cinq autres sont évacués. Leur santé déclinant, les huit derniers décident de cesser leur grève le 16 février.

Leur action finit par faire bouger le pouvoir qui propose d’organiser une Table ronde entre le gouvernement, les Charbonnages de France et le Comité intersyndical.

Malgré de légères avancées, la grève continue. Le gouvernement décide alors de ne plus négocier tant que la reprise du travail n’aura pas été effective. Plusieurs syndicats décident de cesser la grève, isolant la CGT, et appellent le lendemain à la reprise du travail.

Dernier baroud d’honneur : dix mille personnes défilent dans Decazeville le 21 février. La grève a duré soixante-six jours. La solidarité a dépassé les 200 millions de francs. Les mineurs ont arraché quelques avantages mais la politique charbonnière à venir ne subira pas de changement. La production et les effectifs continueront à diminuer jusqu’à la fermeture définitive des mines.

0 réponses

Laisser un commentaire

Rejoindre la discussion?
N’hésitez pas à contribuer !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.