Au long cours. Maryse Hilsz
Levallois-Perret. Terrain d’aviation. Un dimanche comme un autre de cette année 1910. Enfin pas tout à fait comme les autres. Blériot ! Le grand Blériot ! Celui qui a dompté la Manche doit se produire sur un avion de sa fabrication. Il fait un temps radieux ! L’orage de la guerre n’a pas encore recouvert le ciel de sa menace. Ce sera un beau dimanche ! Un de ces jours où tout semble heureux. Comme la petite Marie-Antoinette, serrée contre sa mère au milieu de la foule qui se presse le long des hangars jouxtant la piste d’envol. Leurs regards fixés sur ce drôle d’engin qu’un seul homme, par la grâce de la technique et peut-être par celle de Dieu, va porter jusqu’aux nues. L’avion, jusque-là muet sur la piste, toussote enfin. Blériot monte à bord. Une onde de hourras parcourt la foule. L’avion s’élance. Vibre. Les spectateurs retiennent leur souffle. Peut-être pour ne pas perturber l’envol. Puis l’avion s’élève. Les applaudissements fusent. Pour la petite Marie-Antoinette, c’est le plus beau jour de sa vie. Le soir, en s’endormant, elle s’imagine à la place de Blériot, traversant des pays et des continents. Le ciel comme sa seconde terre. Celui pour lequel elle vivra. Loin de sa place monotone d’apprentie-modiste parce qu’il faut bien vivre et amener un peu d’argent dans un foyer où le père est absent, décédé prématurément.
Marie-Antoinette grandit. Passent les années de guerre. Les bombardements, les avions et les monstrueux Zeppelins qui menacent la capitale. L’invasion prussienne. La famille Hilsz connaît. Le grand-père Hilsz a quitté l’Alsace annexée pour s’installer à Paris au début du siècle. Les temps heureux s’effacent dans le deuil. La fleur de l’aviation, celle des meetings d’avant-guerre, s’est transformé en combattants du ciel, avec son cortège de héros morts pour la France : Roland Garros, Guynemer et tant d’autres, anonymes. La paix revenue, Marie-Antoinette est âgée de 18 ans. Hors ses journées de travail, elle aime venir traîner sur le terrain d’aviation de son enfance. Regarder les avions décoller et atterrir. Un ballet dont elle ne se lasse jamais. Mais comme tout a changé depuis les premiers vols de Blériot. De plus en plus vite. De plus en plus loin. De plus en plus haut. Mais comment appartenir à ces dieux du ciel quand on est une femme et simple modiste ? Vouée à travailler pour vivre. Elle a bien entendu parler de ces aviatrices qui bouleversent l’ordre établi masculin et dont les exploits lui sont parvenus : Marie Marvingt et Adrienne Bolland. Le temps passe vite et les rêves finissent souvent dans la boîte aux souvenirs. Marie-Antoinette a désormais 23 ans. Même dimanche lumineux. A Vincennes cette fois. Un meeting d’aviation doublé de sauts en parachute. Un coup de tête ! Un coup de folie ! La jeune femme contacte les organisateurs. Désire s’inscrire. Non ! Elle n’est jamais montée dans un avion. Encore moins sauté en parachute. On peut imaginer sa demande. Ferme et résolue. Le refus d’abord des organisateurs. Interloqués ensuite par l’aplomb de cette jeune femme. Maurice Finat, le boss, en premier. Qui tente d’abord de la dissuader avant d’accepter. Après tout, elle sera l’attraction du meeting. En espérant qu’elle sera héroïne et non victime. Quelques conseils. Marie-Antoinette monte à bord. De là-haut, elle aperçoit la cible tracée au sol. Son point d’atterrissage. Son point de non-retour. Le basculement de sa vie. Elle danse dans l’air. Au sol, Maurice Finat est ébahi. La foule applaudit. Marie-Antoinette vient de se poser à seulement dix mètres de la cible. Un exploit qu’aucun des participants n’atteindra. Décidément, pense Maurice Finat, cette fille n’a peur de rien. Là voilà, se dit-il, la nouvelle attraction des meetings pour faire venir un public avide de nouvelles sensations.
Marie-Antoinette devient donc parachutiste avant d’être aviatrice. Avant d’être Maryse Hilsz. Ce prénom qu’elle empruntera à une autre gloire de l’aviation : Maryse Bastié. Mais elle volera. Cent douze sauts d’exhibition au total. 500 francs par saut De quoi lui permettre, économie après économie, de passer son brevet de pilote, obtenu le 21 avril 1930. Le début d’une frénésie de vols et de records à battre jamais rassasiés. De raids épiques et de péripéties en tout genre. Ne jamais rien lâcher ! Ne rien concéder à la peur ! Etre la première, quoi qu’il en coûte !
De 1931 à la déclaration de guerre, Maryse Hilsz survole la planète. De Paris à Saigon. De la capitale à Madagascar et à Tokyo. D’Istres vers la Mauritanie. Des voyages au long cours ponctués de mésaventures où elle frôle la mort. Des records du Monde d’altitude qu’elle pulvérise à trois reprises, grimpant finalement à 14310 mètres. Puis vient la guerre. Maryse Hilsz rejoint le corps militaire des pilotes féminins auxiliaires chargé de convoyer des soldats vers le front. L’écroulement de la France met fin à sa mission. Regagner la vie civile et son ancien métier lui est inconcevable. Maryse Hilsz a besoin d’action. D’actes d’héroïsme. Elle entre en résistance. Accomplit plusieurs missions. La Libération lui offre l’opportunité de rejoindre l’Armée de l’Air puis le GLAM (Groupe de liaisons aériennes ministérielles) avec le grade de lieutenant.
Le 30 janvier 1946, le Siebel SI 200, parti de Villacoublay, survole le Jura quand il est pris dans une tempête. A l’intérieur, trois hommes d’équipage et une passagère, Maryse Hilsz. Le givrage, consécutif à des températures glaciales, provoque le blocage des commandes. L’avion devient incontrôlable. La chute est irréversible. Le Siebel explose même en vol avant de s’écraser au Moulin des Ponts, près du hameau de Damanche, dans l’Ain. Maryse Hilsz, qui a tant de fois caressé la mort comme pilote, disparaît sans être aux commandes de son avion. Rejoignant Hélène Boucher, Claire Roman ou Maryse Bastié. La vie les a toutes lâchées. Peut-être pour avoir trop flirté avec la mort.


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