III- La nuit du grand silence

Il est dix heures. Onze heures. Peut-être plus. Personne ne sait vraiment. Une lente torpeur a maculé la ville. Chassé des rues les derniers pochards. Les ultimes catins. Les traînards du pavé. Le royaume de la nuit a happé ce qui restait de vivant. Libérant le monde de l’ombre et de l’incertain. Du fantastique et de la peur. Chimères s’évadant des pinacles pour projeter leurs gueules terrifiantes sur les murs des masures ; spectres se coulant à travers les ruelles étroites. Et puis, telle une chasse-volante en partance pour le sabbat, des silhouettes se fondent le long de la cathédrale, portant un étrange paquet. Qui ressemble à un corps. Qui est un corps. Lugubre cortège aux pas hachés d’esprits tourmentés. Regards épeurés lorgnant de droite et de gauche. Un géant les commande. Ses ordres sonnent comme des sentences. Des malédictions. La bande se faufile le long du tour de ville. Masses décadentes des tours et des remparts médiévaux. Extérieur de la ville. Au-delà, la campagne. Qui, à cette heure-là, se risquerait à défier les êtres de la brume et des ténèbres  à part ceux qui ne craignent plus la mort ? Qui croiserait leur chemin subirait le même sort ! Passée la limite nord de la cité, des près en pente raide glissent jusqu’aux rives de l’Aveyron. Parsemés de cahutes de jardins. Pas glissant sur le sentier fangeux. Jurons à peine étouffés. Souffle court des hommes épuisés d’efforts et de crainte sur lesquels pèse le poids d’un corps enlevé, humilié, meurtri. Des lambeaux de brume annoncent la rivière. Au-dessus de leurs têtes, la masse sombre et inerte de la ville se penche sur le dernier acte. Dans l’attente du jour. De revivre les scènes assassines. D’en refaire l’histoire. A sa manière. Un choc sourd dans l’eau. Un corps habillé qui s’enfonce. D’’abord. Remonte à la surface. Et des hommes qui s’enfuient. Forts de leur vengeance.

Cela aurait pu être une nuit comme toutes les autres nuits. Qui sera une nuit sans fin. Une énigme obsessionnelle.