Anne de Bretagne : la Raison et l’Honneur
Prisonnière d’un jeu diplomatique visant à annexer le duché de Bretagne au royaume de France, Anne de Bretagne ne sacrifia jamais son indépendance, contenue dans sa devise : « Plutôt la mort que la souillure ». Le duché de Bretagne nait officiellement en 939 avant d’être rattaché à la France par l’édit de l’Union, le 13 août 1532.
« Je t’aime, moi non plus ! »
Six siècles loin d’être un long fleuve tranquille pour la Bretagne, prise entre ses deux puissants voisins (France et Angleterre) désireux de rattacher le duché à leurs couronnes. De quoi perdre son breton face à l’imbroglio géostratégique qui amène tantôt les Français, tantôt les Anglais à exercer leur influence sur ce bout de Finistère sans que pour autant son indépendance soit remise en cause, chacun des ducs imposé par l’une ou l’autre puissance hégémonique profitant de la situation pour s’émanciper.
La diplomatie bretonne oscille donc entre la Raison et l’Honneur. Jeu subtil d’alliances et de divorces sur fond de guerres où les concessions permettent des arrangements et font reculer les convoitises. Une complexité géopolitique à laquelle Anne de Bretagne se verra confrontée toute sa vie et avec laquelle elle tentera de tirer les ficelles au profit de sa terre natale. « Non mudera » (« Je ne changerai pas ») et « Plutôt la mort que la souillure » : deux devises qui dénotent chez Anne un fort caractère et une volonté inébranlable d’indépendance.
Anne de Bretagne : une reine pour trois rois
A quoi tient parfois la destinée d’une reine ? A un linteau de porte du château d’Amboise que la tête du malheureux Charles VIII vient heurter, lui faisant perdre l’esprit et la vie. Nous sommes le 7 avril 1498. Anne de Bretagne, son épouse depuis six ans, se retrouve ainsi veuve mais pas vraiment éplorée. Les intérêts de la Bretagne sont toujours passés avant sa passion amoureuse et cela depuis sa tendre enfance.
En effet, le manque d’un héritier mâle dans la succession au duché de Bretagne propulse en 1486 la petite Anne, âgée de neuf ans, sur le devant de la scène politique. Duchesse certes mais surtout parti à marier pour les divers prétendants qui se pressent aux portes de la Bretagne.
Anne n’a guère de beauté. De plus, elle est affectée d’une légère claudication depuis sa naissance. Mais les intérêts passent avant tout. Pour démontrer son autorité, suite à son couronnement le 10 février 1489 dans la cathédrale de Rennes, elle fait appel aux troupes anglaises, espagnoles et allemandes pour bouter les Français hors des villes occupées. Une décision loin d’être du goût du royaume de France qui redoute une alliance entre la Bretagne et ses grands rivaux. Hors de question non plus pour Anne de s’allier avec les Anglais. Du coup, elle contracte mariage avec le roi de Germanie Maximilien, sans demander l’autorisation au roi de France comme il est de coutume. Drôle de mariage en fait qui voit la cérémonie se dérouler sans le prétendant, remplacé par ses conseillers. Il se raconte même, selon un protocole particulier « qu’Anne couchée sur un lit de parade avait sorti sa jambe gauche dénudée, et Wolfgang (un conseiller de Maximilien) debout à côté du lit, aurait mis sa jambe gauche à côté de celle d’Anne pour signer l’union de son maître avec la duchesse ».
Une union qui fait enrager le roi de France Charles VIII. Du coup, sans ménagement, le monarque répudie son épouse Marguerite d’Autriche, fille de Maximilien, le nouveau mari d’Anne et, tout de go, demande à la duchesse bretonne de l’épouser.
Refus. Contre-proposition. Diplomatie. Les sentiments n’ont pas de place dans ce petit jeu de négociations où seuls comptent les intérêts du royaume et du duché. Pressée par ses vassaux de prendre une décision qui serait à l’avantage des deux parties, Anne de Bretagne finit par accepter. Problème ! L’un et l’autre sont cousins à un degré prohibé. Un accord du pape est nécessaire. La question réglée, Anne doit subir ce qui peut passer pour une véritable humiliation. Afin de vérifier sa malformation, elle se voit obligée de se présenter nue devant un parterre de ducs chargés de vérifier pour le roi l’importance de sa boiterie.
Fiançailles à Rennes. Mariage au château de Langeais. Anne De Bretagne est enfin couronnée reine de France dans la basilique Saint-Denis, le 8 février 1492. Elle est âgée de 15 ans.
Charles VIII s’empresse aussitôt de placer ses conseillers à la tête du duché, premier pas d’un futur rattachement à la couronne tout en faisant preuve de diplomatie, reconnaissant les privilèges accordés à la Bretagne afin de ne pas froisser les susceptibilités de la noblesse et du peuple breton.
Au cours des six années de son mariage, Anne de Bretagne joue son rôle matriarcal en tentant de donner un successeur mâle au royaume. En vain ! Cinq enfants naissent durant cette période. Aucun ne survivra au-delà de trois ans.
On sait ce qu’il advint de Charles VIII le 7 avril 1498. Son cousin, Louis XII, lui succède. Celui qui sera surnommé « le père de son peuple » est le fils du poète Charles d’Orléans et de Marie de Clèves. Agé de 36 ans, il est marié à Jeanne de France, fille du roi Louis XI. Une princesse que la nature n’a point gâtée, stérile et contrefaite. Qu’à cela ne tienne ! Il s’agit pour Louis XII d’assurer la lignée de la famille d’Orléans et d’éviter de perdre le duché de Bretagne, Anne, devenue veuve, ayant retrouvé son titre de duchesse et rétabli la chancellerie et le conseil de Bretagne avec ses conseillers à leurs têtes. Jeanne de France répudiée après accord du pape, Anne de Bretagne épouse Louis XII le 8 janvier 1499. Neuf mois viennent à peine de s’écouler depuis la mort de Charles VIII mais la reine a réussi à sauver sa couronne et à préserver les institutions et les privilèges de la Bretagne.
La reine Claude, dernière duchesse de Bretagne
Ce successeur que Charles VIII a attendu en vain, ne satisfera pas plus Louis XII. Deux garçons mis au monde par Anne naissent mort-nés et seules deux filles Claude (15 octobre 1489) et Renée (20 octobre 1510) survivent aux neuf accouchements de la reine.
L’aînée Claude est dans un premier temps, alors qu’elle est âgée de trois ans, fiancée à Charles de Luxembourg, le futur Charles Quint. Mais Louis XII rompt les fiançailles pour la destiner à François d’Angoulême, au grand dam d’Anne de Bretagne.
Les deux tourtereaux n’ont vraiment rien en commun. Les chroniqueurs de l’époque décrivent Claude : « Du visaige, elle ressemble fort à la Reyne, sa mère, elle est bien petite et destrange corpulence, et certes sa grâce de parler supplest beaucoup de la faulte de baulté » tandis qu’ils encensent la prestance de François d’Angoulême : « Lorsque ce prince parut sur le throsne à la fleur de sa jeunesse avec la mine et la taille d’un héros, avec une merveilleuse adresse dans tous les nobles exercices d’un cavalier, brave, libéral, magnifique, civil, débonnaire et bien disant, il attira l’adoration du peuple et l’amour de la noblesse ».
Le mariage se déroule le 18 mai 1514 sans la reine, décédée le 9 janvier précédent au château de Blois, usée par les maternités successives et la terrible maladie de la gravelle. Un an s’est à peine écoulé que Louis XII, qui s’est remarié dare-dare avec Marie d’Angleterre, en octobre 1514, succombe à son tour, le 1er janvier 1515.
La Bretagne perd son indépendance
François d’Angoulême lui succède sur le trône de France sous le nom de François Ier, avec son épouse, la reine Claude, âgée de 14 ans. L’aînée d’Anne de Bretagne décède dix ans plus tard, en juillet 1524. Sa sœur Renée ayant renoncé à tout droit sur le duché de Bretagne, François Ier a le champ libre pour enfin unir la Bretagne à la France. Une décision approuvée par les Etats généraux de Vannes le 6 août 1532 avant d’être entériné par l’édit du Plessis-Macé, en septembre 1532 : « Sçavoir faisons à tous présents et à venir, Nous avons receu l’humble supplication de nos très-chers et bien-aimez es gens des trois Estats dudit pays et duché de Bretaigne, par laquelle ils nous ont remonstré que à la dernière assemblée d’iceux à Vennes, où nous estions en personne, après avoir accepté et eu pour agréable la requeste qu ’ils nous avaient baillée par escrit, signée de leur Procureur et Greffier, par laquelle nous requeroient l’union d’icelui et duché avecques la couronne de France : Nous leur avions promis les entretenir en leurs privilèges et libertés anciennes et que de ce leur baillerions lettres en forme de chartre… »
Dès lors, que penser d’Anne de Bretagne ? Un farouche défenseur de l’indépendance bretonne pour laquelle elle utilisa toute sa science de la diplomatie ou bien a-t-elle joué le jeu d’une union entre la Bretagne et la France au détriment de l’Angleterre ? Vision contrastée qui ne l’empêche pas d’être devenue un symbole de l’histoire bretonne.
Le coup de tête de Charles VIII
Il existe mort plus glorieuse ! Et Charles VIII ne se serait jamais douté, lui le fils de Louis XI, qu’un linteau de porte, plutôt que l’épée ou une lance, aurait raison de sa vie.
Ce 7 avril 1498, le jeune souverain, âgé de 27 ans, après une partie de chasse dans la forêt d’Amboise et s’être ensuite copieusement sustenté avec quelques chevaliers, se rend dans les appartements de la reine, alitée depuis plusieurs jours après une nouvelle fausse couche. Décidemment, songea-t-il, son épouse n’arriverait pas à lui donner un successeur.
Bon prince malgré sa déception, le souverain invite sa dame à se distraire dans les fossés du château pour assister à une partie de jeu de paume, le sport à la mode de l’époque qui voit les joueurs amuser la galerie des parieurs. Le lieu est peu romantique, pue l’urine des passants qui s’y épanchent et n’incite guère aux confidences.
Charles VIII et Anne de Bretagne atteignent une porte basse qui s’ouvre sur la salle du jeu de paume quand le roi qui devait avoir la tête ailleurs, se prend le linteau de plein fouet, poussant un juron de douleur. Anne de Bretagne hurle quand le roi chancèle. Mais le souverain a la tête dure. Légèrement étourdi, il rejoint sa loge où le couple prend place. Les spectateurs suivent le va-et-vient des échanges quand, subitement, Charles VIII tombe à la renverse, foudroyé. Panique dans la salle ! On allonge le monarque, on tente de lui parler ! De le faire revenir à lui. En vain ! Le roi ne réagit pas ! Le roi se meurt ! Les médecins appelés à la hâte ne connaissent pas plus de succès pour le ranimer.
Premier secours : le porter au moins dans ses appartements, le lieu n’étant guère acceptable pour un roi mourant. Une saignée est pratiquée. Sans résultat. A peine le roi murmure-t-il : « Mon Dieu et la glorieuse Vierge Marie, monseigneur saint Claude et monseigneur saint Blaise me seront en aide. »
Tout ce petit monde ne pourra rien ! Il est 23 heures quand Charles VIII succombe. Anne de Bretagne, qui ne lui a pas donné de fils, voit débouler sans délai le cousin de son défunt, Louis d’Orléans, l’héritier de la couronne. Elle ne sait pas encore qu’elle l’épousera quelques mois plus tard, devenant la reine de deux rois !


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