Savignac. L’imagier des murs
L’histoire débute par une idylle. Celle d’un petit gars aveyronnais sans trop le sou qui s’amourache d’une jeune villefranchoise. Sauf que, patatras ! la belle-famille, plutôt du genre aisée, ne l’entend pas de cette oreille. Pas question de mariage ! Aussi, ni une, ni deux, nos tourtereaux prennent la poudre d’escampette. Vers où ? Mais vers Paris, parbleu, seconde patrie des Aveyronnais.
S’aimer rend le travail moins pénible et en quelques années, le couple Savignac tient un petit bistrot, rue de La Glacière. C’est là que naît Raymond, le 6 novembre 1907.
Si l’école Lavoisier lui permet d’apprendre le nécessaire, l’école de la vie lui sert de terrain idéal d’observation. Le bistrot familial, où sa mère cuisine à l’aveyronnaise, son père tenant la salle, est un théâtre quotidien de personnages, plus ou moins hauts en couleur, que le gamin Savignac décortique de son regard déjà malicieux. C’est dans cette atmosphère, au milieu des verres remplis d’absinthe, de ballons de vin blanc, dans la fumée du tabac et des effluves de fricassées de poulet que naît, inconsciemment, le futur petit monde de Savignac. Une comédie humaine qui s’élargit quand, adolescent, ses parents s’installent dans un bar-tabac de la rue des Petits Carreaux, en plein Sentier.
De sa blouse d’écolier comme du tablier de serveur, Raymond Savignac n’en a cure. Et tant pis pour le paternel qui le voyait déjà le seconder avant de lui succéder. Le bougre, à 15 ans, à défaut de devenir coureur cycliste professionnel, quitte les bancs scolaires et part se faire embaucher comme dessinateur-calqueur à la Compagnie des Transports Parisiens tout en suivant des cours de dessin industriel. Rien de bien folichon mais essentiel pour faire son apprentissage qu’il poursuit, trois ans plus tard, à Montrouge, chez Robert Lortac, à fabriquer des dessins animés publicitaires. En 1925, Raymond Savignac trace déjà sa voie.
Difficile pourtant de se faire un nom dans un milieu où règnent quelques têtes d’affiches : Cassandre, Corbu, Colin… Chez Miramar, chez Hochard éditeur, à Métropole publicité, Raymond Savignac vit de petits boulots sans grand intérêt artistique.
Une rencontre avec Cassandre sert de déclencheur à sa carrière. Nous sommes en 1935. Raymond Savignac a 28 ans quand il rejoint le maître de l’affiche dans son atelier. Le hasard fait bien les choses. Cassandre reçoit une double commande publicitaire émanant de deux entreprises (Société et Maria Grimal) productrices de roquefort. Savignac hérite de la seconde marque. L’Aveyron n’est pas une contrée inconnue pour ce Parisien pur sucre. Dans les derniers mois de la Grande Guerre, il s’est réfugié avec sa mère à Villefranche-de-Rouergue. L’enfant de la ville découvre le monde rural. Le calme de la campagne à l’opposé de la vie trépidante de la capitale.
En 1937, Savignac réalise une nouvelle affiche pour l’inauguration de l’autorail Paris-Lille. Cassandre parti aux Etats-Unis, après un intermède chez l’imprimeur Draeger, la drôle de guerre fait de Savignac un bidasse mobilisé à Dijon. L’Occupation le revoit à Paris où il rencontre Robert Guérin qui le fait entrer au Consortium général de Publicité fondé par Eugène Schueller. Il y restera jusqu’en 1947. Le publiciste dit alors de Savignac « qu’il est un grand affichiste, parce qu’il est vrai, parce qu’il est humain, parce qu’il est simple… Savignac ne ressemble qu’à lui-même et ses affiches donnent une impression frappante de non-encore-vu… S’il fallait à toute force le rattacher à une tradition, ce serait à celle des imagiers d’autrefois dont la verdeur et la cocasserie enchantaient le bon peuple de France ».
En 1948, l’affichiste Bernard Villemot lui propose de rejoindre son atelier. « Savignac le féroce », comme le surnomme le poète Maurice Fombeure, connaît son premier grand succès en réalisant l’affiche de la marque Monsavon. Une vache dont les pis fournissent le lait pour réaliser le savon. Pourtant, une première maquette a été refusée par la marque. Et il faut l’intervention d’Eugène Schueller pour publier l’affiche. Savignac dira plus tard : « Je suis né à l’âge de 41 ans, des pis de la vache Monsavon. » Robert Guérin écrit alors : « Savignac est le précurseur, l’homme de demain, l’affichiste le plus populaire du siècle qui vit actuellement son heure d’impopularité. »
La suite lui donnera raison. Il serait trop long de décrire, année après année, une après l’autre, les 616 affiches que Savignac réalise pour les plus grandes marques (Bic, Tréca, Cinzano, Aspro…) mais aussi pour des spectacles, des films (« La guerre des boutons », « Lancelot du Lac »…), les costumes et décors de l’Avare joué en 1969, faisant de lui le créateur incontournable de la publicité d’après-guerre.
Devenu indépendant, dans son atelier de la rue Volney de 1954 à 1971 puis dans la Villa Brune jusqu’en 1979 avant de s’installer à Trouville-sur-Mer, Savignac sait saisir l’esprit de son temps, faisant de l’affiche un univers joyeux et poétique, dont « la lecture doit être instantanée. En une fraction de seconde, écrit-il, l’homme de la rue doit percevoir ce qu’elle veut dire. L’affichiste doit donc dessiner gros comme Guignol qui a du style et n’est jamais vulgaire. »
Ces affiches qui restent gravées dans notre imaginaire, dessinées par « l’homme qui fait sourire les murs et réfléchir le papier », s’expriment par l’éclat des couleurs, un décor épuré et l’humour qui s’en dégage, au service uniquement du produit mis en valeur. Et c’est là toute la force de l’affichiste qui y gagne en efficacité. Car, pour Michel Bouvet, « c’est très difficile de trouver une idée toute bête, toute simple, claire et immédiatement perceptible ». Pour Savignac, « moins on montre, plus on dit. » On sait l’artiste attiré par le cinéma, notamment par Chaplin. Au point d’écrire que « l’affiche c’est le gag transporté en image fixe. »
Agé de 72 ans, Savignac quitte Paris pour s’installer avec son épouse Mimi à Trouville-sur-Mer. Réalisation d’affiches et expositions s’enchaînent désormais dans un ballet continu, lui apportant une reconnaissance unanime, en premier lieu dans sa ville d’adoption du bord de la Manche qui lui consacre une salle dans le musée Montebello ainsi qu’une promenade à son nom jalonnée de ses affiches.
Quant à l’Aveyron, qui ne l’a pas oublié, le lycée de Villefranche-de-Rouergue porte son nom.
A lire :
GOSSIEAUX, Martine, « Savignac », dans La Passion du dessin d’humour, Cahiers dessinés, coll. « Cahiers dessinés Album », 2008
Savignac, Projets et maquettes d’affiches, Galerie Martine Gossieaux, 1993
Savignac affichiste : un homme et un métier, Robert Laffont, 1975


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