De drôles d’inventions !
Aussi effroyable que soit le bilan humain au sortir de la guerre, nul ne peut infirmer l’idée qu’un tel bilan était prévisible et estimé ainsi, bien avant le début du conflit. Depuis vingt ans, les puissances européennes se sont engagées dans une course à l’armement, faisant travailler savants et techniciens au service d’un effort de recherche pour trouver une ou des armes susceptibles de leur donner l’avantage sur le terrain militaire. 14-18 scelle l’entrée dans « l’ère de la guerre scientifique », écrit Ernst Jünger. La modernisation de l’artillerie et des fusils, l’arrivée de la mitrailleuse concourent à une plus grande efficacité destructive. La Grosse Bertha, imaginée dans les usines Krupp à Essen, créée pour mettre à bas les forts français et belges renforcés, tient d’exemple de cette évolution. Une modernisation qui précède l’arrivée sur les champs de bataille des grenades, des gaz, des chars et du lance-flammes, créé en 1910 en Allemagne. La guerre serait donc meurtrière, tant du point de vue des hommes engagés que par l’armement utilisé. Ainsi, 112 000 tonnes de produits chimiques (chlore, gaz moutarde, ypérite) sont utilisés pendant la Grande Guerre provoquant la mort de 500 000 soldats.
Sur un front désormais stabilisé, où les lignes ne bougent plus, l’idée du camouflage pour se dissimuler et se protéger devient une préoccupation de plus en plus grande, tant sur terre que sur mer et dans les airs. L’armée française a retenu la leçon du pantalon rouge garance, bien trop voyant, pour le remplacer par un uniforme bleu horizon moins visible. A la traîne dans ce domaine, comparé aux Anglais et aux Allemands qui ont fait le choix de tenue kaki ou feldgrau, la France se pose désormais en précurseur du camouflage. Et tout cela dans un cadre officiel, une première équipe étant formée sous la direction du peintre Guirand de Scévola en février 1915. C’est lui, avec le décorateur Louis Guingot, qui a l’idée de cacher les canons sous des toiles ressemblant à la nature environnante, dès août 1914, pour les dissimuler à l’ennemi. A la fin du conflit, la section camouflage s’élève à 3000 hommes, une main d’œuvre féminine évaluée à 10 000 personnes, un atelier central parisien et des ateliers dispersés sur le front. Cette équipe réunit de nombreux corps de métiers, décorateurs de théâtre et d’opéras, spécialistes du trompe-l’œil ; des sculpteurs, des peintres et des illustrateurs.
Côté allemand, les artistes sont également mis à contribution comme l’écrit Franz Marc : « … J’ai peint neuf “Kandinsky” […] sur des toiles de tente. Cette histoire a un but tout à fait utile : rendre introuvable l’emplacement des pièces d’artillerie pour les avions de reconnaissance et les photographies aériennes, en les recouvrant de ces toiles peintes selon un système pointilliste grossier et d’après les observations faites sur les couleurs naturelles de camouflage (mimétisme). […] »
Des leurres sont installés pour tromper l’ennemi : faux arbres, fausses ruines, tanks, canons et avions. Des lieux stratégiques sont ainsi recouverts de toiles peintes ou de haies pour les protéger des bombardements. Parfois d’ailleurs dans des conditions gigantesques comme cette reproduction du nord de Paris et de la banlieue, positionnée vers Roissy-en-France, éclairée la nuit, susceptible de faire croire aux aviateurs allemands de se trouver au centre de Paris et donc d’épargner de nombreuses vies.
Le camouflage exige de plus en plus d’ingéniosité et de sophistication. Ainsi, côté américain et anglais, décore-t-on les coques des navires de dessins psychédéliques. Une technique appelée Dazzle ou disruptive. Son invention est due à un artiste anglais, Norman Wilkinson. « Le camouflage disruptif atteint son objectif non en se rendant invisible au sous-marinier, mais en brouillant son jugement. » Le but est d’échapper aux torpilles des sous-marins allemands, maîtres de l’Atlantique au début de la guerre, en rendant difficile l’estimation de leur distance, de leur vitesse et de leur direction. Des bandes, diversement disposées, brisent les formes des navires. D’autre fois, l’avant et l’arrière du bateau possèdent la même apparence, ne permettant pas d’évaluer le sens de sa marche. Toutefois, l’efficacité de ce procédé n’a pas été totalement démontrée. En 1919, un artiste, John Everett, reprend ces vues de bateaux pour exécuter plusieurs tableaux.
Les armées ont aussi recours à des inventions plus ou moins insolites, sinon farfelues dont la plupart ne dépasseront pas le stade expérimental. La pénurie de caoutchouc impose à l’Allemagne de trouver une solution pour remplacer les roues des vélos, souvent utilisés sur le front pour se déplacer. Des ressorts remplacent le caoutchouc. Un procédé peu pratique sur route goudronnée, plus utile dans la boue des tranchées.
Motos-mitrailleuses, blindés en tout genre et de toutes les formes font partie de la nouvelle panoplie d’armes comme cet incroyable char russe, dénommé « le tsar », avec sa roue de neuf mètres de haut. Sa création n’ira pas plus loin qu’un prototype, l’engin, dès les premiers essais s’enfonçant, à cause de son poids, immanquablement dans le sol.
Surprendre l’ennemi : tel est le leitmotiv des inventeurs et ingénieurs de l’armement. Des photos nous montrent ainsi des unités se déplacer sur l’eau en skis ou à l’aide d’un engin qui ressemble à un pédalo sur lequel est juché un tireur. Pour franchir une rivière, l’armée fait aussi appel aux échassiers des Landes.
L’important est de protéger le soldat, des tirs et de l’artillerie ennemie. Pour avancer, une sorte de tondeuse blindée munie d’un fusil est actionnée par les jambes d’un homme couché au sol. Echec cuisant ! Sur un relief aussi accidenté, l’engin finit par s’enliser et laisse son occupant incapable de reculer.
Des murs défensifs mobiles autorisent une excellente protection. Statique, l’expérience est concluante ; mobile, ces murs en acier se révèlent inutiles dans les tranchées. Il en est de même pour les armures dont on revêt les soldats. En chrome, nickel et acier, elles recouvrent le visage et le buste. Mais trop encombrantes et trop lourdes, près de 18 kg, elles sont vite abandonnées. Une autre version, pour tireur d’élite, est imaginée, avec possibilité de se replier pour la position à genoux ou couchée.
A partir de 1915, dans les tranchées, apparaît le fusil périscope. Commandé par l’état-major à la manufacture de Tulle, cette arme étrange, utilisée par un soldat debout, épouse la forme de la tranchée et permet au tireur, grâce à un jeu de miroirs, d’observer l’ennemi ou de tirer. Un simple clip permet aussi de dissocier le fusil de son support.


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