JEANNE COUGOULE, L’EMPOISONNEUSE DE SAINT-IGEST. 1816

Comment se débarrasser d’un mari encombrant sans éveiller les soupçons du voisinage et de la justice ? A l’arsenic, bien sûr ! C’est du moins ce que dut se dire Jeanne Cougoule en un temps où les expertises médicales n’apportaient guère de conclusions scientifiques et rigoureuses sur des décès mystérieux. Mais la justice veillait au grain ! Jeanne, cette sorcière des temps modernes, inaugura la liste des empoisonneuses exécutées en Aveyron.

« Il est un crime qui se cache dans l’ombre, qui rampe au foyer des familles, qui épouvante la société, qui semble défier, par les artifices de son emploi et la subtilité de ses effets, les appareils et les analyses de la science, qui intimide par le doute la conscience des jurés et qui se multiplie d’année en année avec une progression effrayante : ce crime est l’empoisonnement. »

Cette analyse, le président de la Cour d’assises de l’Aveyron aurait très bien pu la prononcer quand il ouvrit, le 18 novembre 1816, le procès de Jeanne Cougoule, accusée d’avoir empoisonné son mari.

L’affaire commence le 31 mars 1816.

Loué à l’année comme domestique chez un fermier des environs de Saint-Igest, Pierre Vernet ne rendait plus visite à sa femme que par intermittences. Depuis son mariage avec la Jeanne, à la Pentecôte de 1813, le ménage ne marchait que sur une fesse. La rumeur colportait que Jeanne Cougoule était une femme légère et Pierre Vernet, un mari faible et un cocu résigné.

Le dimanche matin, à la sortie de la messe, Pierre Vernet décida, après deux semaines d’absence, d’effectuer un détour par le mas de Jammes pour prendre quelques affaires et embrasser sa femme. La fraîcheur de l’accueil ne l’étonna guère. Leurs préliminaires affectifs s’arrêtaient depuis longtemps aux salutations d’usage.

Avant son départ, Jeanne servit à son mari une assiette de riz, conservée depuis le dimanche précédent dans une marmite. Pierre Vernet la mangea de fort bon appétit quoiqu’il trouva le riz un peu craquant. Puis il retourna chez son maître, garder les bestiaux dans un pré.

Au milieu de l’après-midi, le domestique fut pris d’un besoin pressant qu’il alla évacuer derrière une haie. A peine avait-il repris son bâton de vacher que de violentes douleurs au ventre l’obligèrent à vomir.

Marie Soulié, une jeune servante de dix-sept ans, était occupée à surveiller les cochons du domaine quand Catherine Cousi l’interpella :

-Marie, Marie. Le Pierre qui garde le troupeau au pré du Roch est malade. Va vite le relever.

Quand Marie arriva à l’endroit désigné, Pierre Vernet était couché sur le ventre, râlant et le corps secoué de frissons.

-Enfin, Marie, te voilà ! Ecoute-moi bien. Cette satanée femme m’aura servi à midi du riz empoisonné.

Le domestique venait à peine de prononcer cette accusation qu’Antoine Treilhe et Jean Cousi, employés à la ferme, déboulaient le champ pour secourir leur compagnon. A tous les deux, il répéta la même allégation.

Les domestiques ne savaient que penser d’une telle déclaration quand Jeanne Cougoule se présenta à son tour.

-Aidez-moi à le transporter à la maison, fit-elle. Avec une bonne décoction de plantes, il n’y paraîtra plus rien.

Pierre Vernet refusa.

-Emportez-moi à la maison du maître, gémit-il. Et, de grâce, appelez vite un médecin.

Une heure plus tard, Antoine Soulages, médecin à Villeneuve d’Aveyron, se présenta à la ferme de Cayrac. Il examina attentivement Pierre Vernet et questionna sa femme sur le repas qu’elle avait servi à son mari.

-Le riz reposait dans une marmite qui n’était pas étamée. C’est cela qui lui aura déclenché le mal.

-Cet homme a sans doute été intoxiqué, déclara le médecin. Ces remèdes le soulageront. Faites-lui boire beaucoup de lait et rappelez-moi si les douleurs persistent.

En rentrant chez lui, vers les 19 heures, Jean-Baptiste Clauzel, fermier de Cayrac, apprit par la bouche de ses domestiques que Pierre Vernet se mourait sur sa paillasse, dans l’étable des boeufs.

-Pierre a d’abord affirmé à qui voulait l’entendre que sa femme l’avait bel et bien empoisonné avec du riz. Mais, après s’être confessé au curé de Saint-Igest, il s’est rétracté devant nous tous, affirmant que c’était une faiblesse de sa part d’avoir accusé sa femme et que sa maladie ne provenait que d’une mauvaise indigestion.

Les autres domestiques confirmèrent les propos de Jean Cousi. Personne ne put en savoir plus. Pierre Vernet décéda à 9 heures du soir.

Outre ses occupations agricoles, Jean-Baptiste Clauzel exerçait la fonction de maire de Maleville avec l’autorité d’officier de police judiciaire. Cette charge lui permettait entre autres de procéder aux premiers actes de l’instruction et de faire pratiquer une autopsie sur les victimes.

L’accusation que Pierre Vernet avait prononcée plusieurs fois avant de se rétracter était suffisamment grave pour faire naître de fortes présomptions à l’égard de sa femme. Au matin du 1er avril, Jean-Baptiste Clauzel dépêcha trois domestiques aux demeures des docteurs Vassilières et Soulages et chez le juge de paix du canton de Villeneuve. Les trois hommes se rendirent aussitôt à Cayrac.

Le cadavre de Pierre Vernet présentait plusieurs taches livides et jaunâtres sur divers points du corps. Après son ouverture, ils examinèrent l’estomac. Une substance blanchâtre pavoisait les empreintes de l’organe. Le docteur Vassilières l’exposa sur un charbon ardent. Une fumée blanchâtre apparut, dégageant une forte odeur aliacée. Pour les deux médecins, la mort de Pierre Vernet résultait bien de l’absorption d’une substance arsenicale.

Tout désignait donc Jeanne Cougoule comme l’instigatrice de l’empoisonnement. D’un commun accord, les quatre hommes décidèrent de lui rendre visite.

Quand ils entrèrent dans la cuisine, Jeanne Cougoule ne manifesta aucune surprise.

-Jeanne Cougoule, questionna le maire, tu as révélé à mes domestiques que le riz mangé par ton mari avait cuit dans une marmite non étamée.

-C’est exact !

-Est-il vrai que quelques heures après avoir mangé ce riz, il fut grièvement incommodé qu’il dit hautement, en présence de plusieurs personnes, que c’était toi qui l’avait empoisonné ?

-Jamais, il n’a prononcé de tels propos en ma présence ! s’indigna la jeune femme. Comment aurait-il pu le faire puisque le fait était faux ?

-Possédez-vous, intervint le juge de paix, du poison dans la maison ?

-Et pourquoi en aurions-nous possédé ? Pierre et moi n’avons jamais eu de querelles ni de sujets de mécontentement.

-Fouillons la maison, déclara le juge. On verra bien si tu dis vrai.

N’ayant rien trouvé, le maire de Maleville s’empara de la marmite comme pièce à conviction puis il dressa le procès-verbal de leur visite.

Quand il en prit connaissance Antoine Mouly, juge au tribunal de l’arrondissement de Villefranche-de-Rouergue, fut suffisamment convaincu de la culpabilité de Jeanne Cougoule pour lancer contre elle un mandat d’arrêt. A 19 heures, les gendarmes Alric et Fraysse procédèrent à son arrestation.

Les jours suivants, Jeanne Cougoule subit deux interrogatoires durant lesquels elle persista à nier les accusations portées contre elle par son mari et confirmées par l’expertise médicale. Sept mois plus tard, son dossier était renvoyé devant la Cour d’assises.

Ce jour-là, les douze jurés assis face au box des accusés virent entrer dans la salle d’audience une femme de vingt-cinq ans, sobrement vêtue, le front découvert et le visage perlé de taches de rousseur, qui manifesta dès les premières questions un caractère bien trempé.

Long de quatre pages, l’acte d’accusation présentait Jeanne Cougoule comme l’instigatrice et l’exécutrice du crime d’empoisonnement. Quant au mobile, il se résumait en ces quelques phrases :

« Bien loin de vivre dans une union et une intelligence parfaite, comme elle l’a soutenu lors de son interrogatoire, Jeanne Cougoule tenait chez elle la conduite la plus scandaleuse, recevant des jeunes gens avec lesquels elle entretenait de honteux commerces ; que dès lors elle devait nourrir les plus mauvais sentiments contre son mari ; qu’en effet elle les a plusieurs fois manifestés par des propos et des menaces qui annonçaient les projets les plus criminels, tandis que Vernet de son côté paraît s’être conduit d’une manière régulière et sans reproches ».

Après que Jeanne eut réfuté point par point les questions du président, douze témoins se présentèrent à la barre à l’appel de leurs noms. Tous, ayant juré de dire « toute la vérité, rien que la vérité », confirmèrent leurs dépositions et les propos de Pierre Vernet. A la demande du procureur du Roi, les gendarmes introduisirent la boîte contenant la matière tirée de l’estomac de la victime. Un murmure se répandit dans le public quand le greffier brisa le sceau d’un geste cérémonieux. Les deux pharmaciens répétèrent avec exactitude et fidélité les résultats de l’examen scrupuleux auquel ils s’étaient livrés.

-Il résulte de notre analyse que la matière présente dans cette boîte est bien une substance arsenicale.

Défenseur de Jeanne Cougoule, Me Panissal s’ingénia à démontrer la faiblesse des témoignages et appuya son raisonnement sur le fait qu’en présence du curé de la paroisse, Pierre Vernet s’était rétracté. Quant à la science, elle demeurait trop incertaine dans ces circonstances pour être suivie à la lettre et devenir une preuve irréfutable.

Interpellée par le président, l’accusée déclara n’avoir rien à ajouter pour sa défense. Les débats une fois clos, il rédigea la question sur laquelle les jurés devraient statuer.

-Jeanne Cougoule, accusée, s’est-elle rendue coupable, le 31 mars dernier, du crime d’empoisonnement sur la personne de Pierre Vernet, son mari, ainsi qu’il est ramené et expliqué dans l’acte d’accusation ?

A l’unanimité, les jurés répondirent par l’affirmative. Après avoir délibéré, la Cour condamna Jeanne Cougoule à avoir la tête tranchée sur la place du Bourg à Rodez.

-Vous avez trois jours pour vous pourvoir en cassation, ajouta le président à l’adresse de l’accusée.

La requête ayant été rejetée le 23 janvier 1817, Jeanne Cougoule fut exécutée le 24 février suivant, à 3 heures de l’après-midi. Elle devait être la première d’une liste de sept empoisonneuses que la Cour d’assises de l’Aveyron envoya à l’échafaud entre 1817 et 1842.

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