Alexis Didier, le clairvoyant

Au début des années 1840, le magnétisme animal, dénommé populairement le somnambulisme, ne fait plus guère recette au sein de la docte Académie de Médecine laquelle, après bien des tergiversations, a décidé de le ranger au placard après plus de trois décennies de débats et de palabres, l’abandonnant aux mains de cabinets plus ou moins douteux ou de philosophes portés sur la physiologie ou la psychologie comme le docteur Joseph-Pierre Durand de Gros.

A lire quelques rapports de police, il faut bien avouer que l’activité de certains somnambules relève de la plus grande fantaisie. Ainsi, le 13 août 1850, « Le Moniteur » rapporte que « chez la femme C., somnambule et sorcière, on a fait une découverte des plus curieuses. Dans un bocal était enfermée une araignée de l’espèce mélancolique, que sa maîtresse nourrissait avec du sucre. A l’intérieur du bocal était dressée une petite échelle que montait et descendait la hideuse bête ; l’échelle était semée de nombreux carrés de papier de proportions très minimes, sur lesquels étaient écrits des numéros. L’araignée, en allant et venant, ramenaient au fond du bocal quelques-uns de ces numéros, destinés, selon les déclarations de la femme L., à être placés sur les loteries d’Allemagne et qui devaient infailliblement procurer des gains considérables. »

C’est dans un tel contexte de rejet du magnétisme animal par la science qu’apparaissent deux hommes, l’Anglais Daniel Dunglas Home et le Français Alexis Didier, le premier ayant considérablement fait de l’ombre au second, provoquant à son égard un manque de reconnaissance post-mortem.

Né en 1826, issu d’une famille ouvrière, très jeune, après avoir exercé comme ouvrier-graveur, Alexis Didier se découvre un don de lucidité somnambulique auquel désormais il consacrera toute sa vie dans le but constant de démontrer, par des séances publiques et privées, l’existence et la spiritualité de l’âme.

Ce don de clairvoyance lui permet ainsi de lire dans les consciences d’autrui ; de se transporter dans un lieu qu’on lui désigne et d’en décrire toutes les caractéristiques ; de prédire également des événements futurs et de raconter l’histoire d’un objet qui lui est soumis et celle de la personne qui le possède. Magnétisé, Alexis Didier est alors pris de tressaillements. Ses bras s’agitent tandis que ses yeux se révulsent avant de pouvoir entamer un dialogue avec la personne présente. Le plus souvent, il est amené à mimer avec son corps les événements auxquels il assiste.

De nombreux témoignages sur les séances qu’il mène font part de l’exceptionnalité de son don. Alexis Didier est âgé de 21 ans quand il est accueilli par le fils du roi Louis-Philippe, le duc de Montpensier. Sa réputation est établie depuis plusieurs années et les cours européennes veulent connaître ce phénomène qui remet en cause les conclusions de la Science sur le magnétisme animal. A deux reprises, Alexis Didier étonne l’assemblée, d’abord en visualisant un lieu que le duc se représente, s’y transportant par la pensée avant d’en fournir de multiples détails ; ensuite en découvrant le contenu d’un coffre fermé à clef que le duc vient de lui présenter.

Quatre années plus tard, en octobre 1851, le révérend Townshend relate la séance auquel il assiste : « Dès que Marcillacet [son magnétiseur] a été parti, j’ai commencé à tester la clairvoyance d’Alexis, pour ce qui concerne la vision des endroits éloignés. Je lui ai demandé s’il voulait visiter ma maison par la pensée. Il m’a dit aussitôt : “Laquelle ? Car vous en avez deux ! Vous avez une maison à Londres, et une autre dans la campagne. Par laquelle voulez-vous que je commence ?” Je lui ai répondu : “par la maison de campagne”. Après une pause, Alexis a dit : “j’y suis !” Alors, à ma surprise, il a ouvert grand ses deux yeux, et a porté autour de lui un regard fixe (stared about him). J’ai vu qu’il avait le regard fixe d’un somnambule. Autant que j’ai pu m’en rendre compte, il n’a jamais une seule fois changé la position fixe de ses paupières pendant tout le temps où il s’essayait à la clairvoyance à distance. Ses pupilles semblaient dilatées, ternes, et ne manifestaient aucun mouvement d’activité consciente. “Bien, ai-je demandé, que voyez-vous ? -Je vois, dit-il, une maison d’importance moyenne. Il s’agit d’une maison, pas d’un château. Il y a un jardin autour. Sur le côté gauche, il y a une maison plus petite, sur la propriété… -Maintenant, ai-je dit à Alexis, quel paysage voyez-vous ? -De l’eau, de l’eau, répondit-il avec précipitation comme s’il voyait le lac qui, en effet, s’étale sous mes fenêtres. Puis : Il y a des arbres en face tout près de la maison.” Tout cela était exact. “Bon, lui dis-je, nous allons pénétrer dans le salon. Qu’y voyez-vous ?“ Il a regardé autour de lui ; et il a dit (quand je ne me souviens plus des mots exacts, je les donne en anglais) : “Vous avez de nombreux tableaux sur les murs. Mais c’est curieux, ils sont tous modernes, sauf deux. -Pouvez-vous me dire les thèmes de ces deux tableaux ? -Oui. L’un représente la mer, l’autre est un sujet religieux… Il y a trois personnes sur le tableau – un vieillard, une femme, et un enfant. Est-ce que la femme serait la Vierge Marie ? (Il s’est interrogé à haute voix, comme s’il réfléchissait). Non ! Elle est trop vieille.“ Il a continué de la sorte, en répondant à ses propres questions, pendant que je restais parfaitement silencieux. “La femme a un livre sur les genoux, et l’enfant montre avec ses doigts quelque chose qui se trouve dans le livre. Il y a une quenouille dans l’angle.” Effectivement, le tableau représente sainte Anne en train d’apprendre à lire à la Vierge Marie, et tous les détails de la scène étaient corrects… »

La clairvoyance de Didier peut aussi l’amener à résoudre des énigmes, tel le vol dont a été victime l’amant de l’actrice Céleste Mogador qui le consulte à ce propos : « Didier, écrit-elle, voit aussitôt où habite la voleuse, et se met à marcher comme s’il la suivait : “Pouvez-vous me conduire près d’elle ? demande son amant. -Oui, dit-il, attendez.” Il fit tous les détours comme s’il marchait, puis nous dit : “nous voici rue B. C’est la seconde porte en entrant à gauche, elle loge au quatrième. Oh ! Elle n’y est pas, il y a des femmes, sa mère et sa sœur, la robe d’hier est sur le lit. -Mais, dit son amant, la voyez-vous ? Qu’a-t-elle fait de la bourse ? -Attendez que je la suive ! Tiens, c’est une actrice, non, ce n’est pas un théâtre ; il n’y a pas beaucoup de monde et l’on chante, elle va sortir. »

Avec Alexis Didier, les criminels n’avaient plus qu’à bien se tenir !

Cependant, les séances d’Alexis Didier ne sont pas toujours autant couronnées de succès. Il suffit de la présence dans l’assemblée de sceptiques pour que le clairvoyant perde ses dons réels de voyance. « Les consultants, écrit-il en 1857, se comportent parfois à mon égard avec une moquerie irritante pour mes nerfs à tel point, que tout danse et vacille devant mes yeux, et qu’il m’est impossible de rien saisir distinctement. D’autres, au contraire, font preuve de la meilleure volonté jointe à une confiance enthousiaste, mais leurs désirs sont assez ardents pour troubler ma vision, devant laquelle passent avec une rapidité foudroyante des apparitions de formes insaisissables.

« Bien souvent, le désir d’obtenir des réponses conformes à leurs aspirations est à tel point excessive, qu’elles m’influencent, m’impressionnent, et ce que je vois alors n’est plus qu’une transmission de sensations et de pensées. Enfin, bien des fois le somnambule est mal disposé parce qu’il est en rapport avec des natures peu sympathiques, ou parce qu’il se trouve dans un milieu de sceptiques préoccupés de ne pas se laisser convaincre ; dans ce cas, les phénomènes de lucidité ne peuvent pas se réaliser… J’ai très souvent observé que la seule adjonction d’un spectateur bienveillant suffisait à raviver en mon âme une activité extraordinaire, lui conférant la force de surmonter les obstacles qui la faisaient demeurer inerte. Le bon succès de mes séances était dû fréquemment à la présence d’une femme ou d’un homme dont le fluide me pénétrait en irradiant une luminosité très suave, qui m’illuminait subitement comme par miracle, dotant ma lucidité d’une extension surhumaine… »

Comme pour Home, Alexis Didier est en proie à la suspicion de ses contemporains, perplexes devant de tels exploits, qui le soupçonnent de prestidigitation. Et qui mieux que le célèbre Robert Houdin – le plus grand magicien de l’Histoire – pourrait le confondre ? A deux reprises, il assiste à des séances de Didier. Et par deux fois, il est convaincu que ce dernier n’utilise ni artifices, ni compérage.

De telles séances qui se multiplient durant une quinzaine d’années mettent à mal une santé fragile. A la fin des années 1850, Alexis Didier ne fait plus guère parler de lui. Il meurt à l’âge de 60 ans, en 1886, la même année que Dunglas Home. Sans qu’aucun tour de magie ne soit à déceler dans cette similitude funèbre.

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