Casimir Stanislas d’Arpentigny et Pierre Adolphe Desbarolles. Main dans la main avec Alexandre Dumas

Au début du XIXe siècle, la chiromancie qui est l’art de lire dans les lignes de la main ne fait plus guère recette. « Les vieilles diseuses de bonne aventure, relate le comte de Résie, qui étaient depuis bien des siècles en possession de l’avantage d’exploiter la crédulité publique, ne sont plus consultées que par le peuple ou par ceux que l’on nomme les gens d’un autre siècle. »

Les partisans des idées nouvelles, tout autant épris de science que de liberté, leur préfèrent désormais le magnétisme animal, introduit en France par le médecin allemand Messmer puis approfondi par le marquis de Puységur. Reléguée dans les roulottes des bohémiennes ou dans les fêtes foraines, où l’art de prédire consiste à ne rien dire, la chiromancie aurait perdu sa substance originelle – celle que « Dieu mit dans les mains des hommes afin que chacun pût y lire ses propres œuvres » – si deux hommes ne l’avaient pas portée au rang d’une science rationnelle, l’extrayant de la caricature dans laquelle elle avait fini par tomber.

Le premier à poser les principes de la chiromancie moderne en tant que science à part entière se nomme Casimir Stanislas d’Arpentigny. Rien ne prédestine ce jeune homme, bien fait de sa personne, à s’intéresser à la voyance. L’homme est plutôt du genre impétueux. Né à Yvetot, en 1791, il est renvoyé de Saint-Cyr pour indiscipline avant de faire carrière dans les armes lors des campagnes napoléoniennes. Fait prisonnier à Dantzig en 1812, il ne retrouve la France qu’en 1814. Le temps de passer dans l’armée royale, il participe à la guerre d’Espagne en 1818. Le hasard l’amène un jour à consulter une vieille gitane qui lui révèle les secrets des lignes de la main. D’Arpentigny est subjugué. Revenu en France comme garde du corps du roi, il quitte l’armée en 1844 pour se consacrer à la littérature et à la chiromancie.

L’ex-capitaine sait que la science ne se contente pas ni d’approximations, ni de fantaisies. Pour lever le scepticisme de ses compatriotes, il lui faut des preuves solides pour étayer sa thèse. Selon Alexandre Dumas qui l’évoque dans son ouvrage « Terreur prussienne. Episodes de la guerre de 1866 », d’Arpentigny fréquentait des voisins qui avaient l’habitude de réunir chez eux géomètres, mathématiciens, mais aussi poètes, peintres et musiciens. « C’est en serrant par galanterie les mains de ces hommes et de ces femmes qu’il s’aperçoit que les doigts des mathématiciens, des géomètres ou des mécaniciens sont noueux, tandis que ceux des poètes, des pianistes et des peintres étaient lisses. Les deux sociétés étaient si différentes sous ce rapport, que d’Arpentigny disait qu’elles n’avaient pas l’air de se fournir chez le même faiseur de mains. Il commença par être frappé du contraste ; mais ce n’était encore qu’une indication. Il poursuivit l’épreuve. Il parcourut les ateliers de peinture, les cabinets d’artistes, les mansardes des poètes. Partout des doigts lisses ! Il parcourut les forges, les usines. Partout des doigts noueux ! Il en résulta qu’il divisa la société en deux castes : les doigts lisses. Les doigts noueux. Mais il s’aperçut bientôt que son système était trop absolu, qu’il devait y avoir des variétés, qu’il devait y avoir des divisions, des sous-divisions. Il hésitait. Il savait par l’expérience de chaque jour que ses erreurs étaient nombreuses, il sentait que sa science n’était pas complète. Ce fut alors qu’il trouva l’importance du pouce dans la main ; grande révélation ! »

A partir de ses observations, qu’il pousse jusqu’à décrire la forme des ongles, d’Arpentigny dresse une étude des qualités et des défauts de chacun à partir de la  typologie des mains : mains élémentaires, mains psychiques, mains carrées, mains noueuses, mains coniques, mains mixtes avant d’en publier une synthèse dans deux ouvrages : « La Chirognomonie, ou l’Art de reconnaître les tendances de l’intelligence d’après les formes de la main » (1843) et « La Science de la main, ou l’Art de reconnaître les tendances de l’intelligence d’après les formes de la main » (vers 1855). Ainsi, pour d’Arpentigny, « l’Italienne est une créature qui aime. La Russe est une créature qui s’aime. La Française est une créature qui plait. L’Italienne cède à l’amour par amour, la Russe par besoin, la Française par reconnaissance. » Chacune appréciera ! Tout comme quelques contemporains mis à nu par ses déductions : « Balzac, avec ses grandes mains coniques compte les fruits de l’espalier, les feuilles du buisson, les poils de la barbe. Il se complaît dans les détails physiologiques, il eût inventé le microscope. Madame Sand, dont les mains sont fort petites, excelle dans les développements psychologiques, ses détails même ont de la grandeur. Elle eût inventé le télescope… » Quand la littérature tient dans une main ! De quoi s’offrir quelques solides inimitiés à l’image du poète Bouilhet qui écrit dans une lettre à Flaubert à propos du mensonge universel : « Je ferai passer au milieu de l’action le Capitaine, toujours raide dans son col, avec ses cheveux verts, et son habit bleu à boutons d’or, l’homme qui a le plus d’esprit de Paris, parasite partout, dans tous les camps, sautant d’un faubourg à l’autre avec des langages différents, sans crotter ses bottines vernies. »

Bien que plus jeune d’une dizaine d’années, Pierre Adolphe Desbarolles marche main dans la main avec d’Arpentigny dont il apprécie le travail d’observation mais critique sa classification. Artiste peintre et homme de lettres, Desbarolles fréquente avec assiduité les salons littéraires et se lie d’amitié avec Alexandre Dumas père dont il devient le confident, l’accompagnant dans ses nombreux voyages à l’étranger. C’est sans doute au contact de l’écrivain mais aussi d’Eliphas Lévi, auteur d’une « Histoire de la Magie », qu’il s’initie à la chiromancie avant de développer sa propre thèse. S’appuyant sur les études de Paracelse, Desbarolles croît à un fluide magnétique dont les molécules, transformées en atomes, se réunissent dans le corps humain et façonnent son caractère que l’on peut retrouver dans les lignes de la main ou, comme le prétend Gall, dans les formes crâniennes (phrénologie). « Suivez-moi bien, écrit-il, ces molécules, ces atomes nagent et se meuvent sous des formes imparfaites dans la lumière astrale et s’introduisent dans le sein de la femme lors de l’enivrement occasionné par la surabondance de cette lumière au moment de la génération. Là, ils se rassemblent et se perfectionnent à l’aide du courant astral… » Selon Dumas père, « le mysticisme  venait de trouver une logique ! »

En 1859, résultat de ses études et observations, Desbarolles publie « Chiromancie nouvelle en harmonie avec la phrénologie, la physionomie et la graphologie. Les Mystères de la main révélés et expliqués. Art de connaître la vie, le caractère, les aptitudes et la destinée de chacun d’après la seule inspection des mains. » Une étude dont Dumas fils dira qu’elle est un ouvrage remarquable, ajoutant à l’usage des sceptiques : « La chiromancie, ce n’est pas de la plaisanterie, c’est de la science. »

Une reconnaissance qui n’est pas l’apanage de tous les scientifiques. Alfred Binet ironise ainsi sur « ce Desbarolles, Grand Maitre de la Chiromancie, comme Gall est celui de la Céphalométrie, comme Messmer est celui du magnétisme animal, comme l’abbé Michon est celui de la graphologie. Dans chaque petite chapelle, il y a un petit saint ».

Desbarolles ne fait pas qu’observer et prendre des notes pour écrire. Il consulte aussi, le plus souvent accompagné de sa maîtresse, « une femme mûre, à beaux traits, une sorte de médaille de gitana, coiffée étrangement d’un filet couleur feu, la robe agrémentée de dessins légèrement diaboliques, avec, pour bijoux, des sortes de vagues amulettes ; l’air et la mise d’une vieille lorette et d’une nécromancienne de la rue Bréda ». Edmond de Goncourt rapporte dans son « Journal » comment Desbarolles l’examina : « Il m’a trouvé une nature de femme ! Il est revenu souvent à cela, et c’est vrai. “Très nerveux… vous devez voir souvent des névralgies. -Oui… -Une assez belle ligne de vie….”

« Et puis, sur une grosseur à la base interne de l’index, il m’a trouvé, fort développé, le désir de me faire connaître. Ce à quoi je n’ai pu m’empêcher de dire : “c’est vrai !” »

Voué à la chiromancie, Desbarolles écrira encore deux ouvrages : « Le caractère allemand expliqué par la physiologie » et Un « Almanach de la main » en 1865 qui comporte 500 gravures explicatives des lignes et monts de la main avant de créer une revue pratique : « Journal de la Chiromancie », lancée en 1869.

Pierre-Adolphe Desbarolles disparaît en 1886, laissant une œuvre originale, offrant à la chiromancie une vitrine scientifique qui l’éloignait de la sorcellerie sans lui accorder une véritable reconnaissance. A l’image de bien des études plus ou moins fantaisistes dont le XIXe siècle fut si friand.

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