Claire Ferchaud. La nouvelle Jeanne d’Arc et son petit roi
« Non ! Satan aura beau faire,
jamais la France ne lui appartiendra. »
Claire Ferchaud
« Raymond, Raymond ! Pourquoi me persécutes-tu ? »
Une bergère vendéenne de vingt ans, agenouillée dans sa chambre, écoute cette voix qui lui parle depuis de longs mois. Raymond ? un amoureux qui lui aurait tourné la tête au point de lui faire perdre la raison ?
Incroyable mais vrai, Raymond n’est autre que Raymond Poincaré, dixième président de la République française et cette voix mystérieuse est celle du Christ.
Du plus loin que vont ses souvenirs, Claire a toujours senti l’ombre de son « petit Roi » d’une incroyable beauté, son ange gardien, qui ne la quitte jamais. Longtemps, elle a cru que cette présence était visible de tous les autres, ne comprenant pas leur indifférence.
Un peu plus grande elle a su, elle a compris l’incroyable évidence : son prince est le Christ, le fils de Dieu est son compagnon de route, c’est lui qui lui a appris à marcher, c’est lui qui guide chacun de ses pas, qui lui baise le front quand elle a un chagrin, ils ne se quitteront jamais.
Ses frères et sœurs s’inquiètent de ses périodes de mutisme suivies de grandes colères quand ils refusent de « dire bonjour à Jésus ». Très vite, ils se désintéressent de cette petite sœur si différente. Au village de Loublande, on murmure que la quatrième des Ferchaud est un peu étrange, mais il est vrai que le père, Jean-Baptiste, bigot invétéré, récite des Ave Maria à longueur de journées, rien d’étonnant à ce que sa gamine marmonne en continu des prières, ignorant totalement son entourage.
Alors que les autres petites filles jouent à la maman ou à la maîtresse, Claire, un foulard sur la tête, se déguise en religieuse, s’aménage des cachettes dans les genêts pour prier quand tout à coup elle s’excite, court partout en hurlant : « Je veux souffrir… donnez-moi de la souffrance… »
Curieuse attitude pour une petite fille de huit ans. Est-elle influencée par la sainte histoire de Marie-Marguerite Alacoque dont on attend la canonisation ? A-t-elle des hallucinations qui traduiraient un certain trouble mental ? L’humble petite pâquerette des champs comme elle aime se surnommer, est-elle véritablement l’Élue de Dieu ?
Claire grandit dans cette atmosphère mystique du catholicisme le plus conservateur. Les jours s’écoulent entre prières et longues conversations avec son Roi d’Amour, de plus en plus isolée dans son délire religieux. Sa grande timidité ne l’empêche pas en 1906 d’affronter les soldats venus profaner l’église, suite à la loi de séparation de l’Église et de l’État qui impose un inventaire des biens. Elle est pathétique la cadette des Ferchaud, les bras en croix barrant le chemin aux militaires qui l’ignorent poliment.
Claire a vingt ans en 1916. La France est sous le choc de Verdun, la guerre s’éternise, l’armée allemande poursuit son l’inexorable progression, les soldats vivent l’enfer dans les tranchées.
Le Christ lui confie alors la mission de bouter les Allemands hors de France. La nouvelle dépasse vite les bocages de Loublande, faisant naître un formidable espoir parmi les fidèles qui voient en la pieuse bergère une nouvelle Jeanne d’Arc. La ressemblance s’impose quand, le 1er janvier 1917, la jeune Claire envoie au président Poincaré une longue lettre :
« Monsieur le Président,
Une humble fille du Poitou vient de recevoir du Ciel une mission qui fait frémir sa nature bien timide, mais qui, en but du salut de notre cher pays, ne peut reculer devant aucun sacrifice. J’ai donc l’honneur de m’adresser au chef premier de la nation française…
« Jésus veut sauver la France et les Alliés, et c’est par vous, Monsieur le Président, que le Ciel veut agir, si vous êtes docile à la voix divine.
Il y a des siècles déjà, le Sacré-Cœur avait dit à sainte Marguerite-Marie : « Je désire que mon Cœur soit peint sur le drapeau national, et Je les rendrai victorieux de tous leurs ennemis ». Dieu semble avoir dit ces paroles pour nos temps actuels. L’heure est arrivée où son Cœur doit régner malgré tous les obstacles… Il m’a semblé voir Dieu vous adressant ces paroles « Raymond, Raymond, pourquoi me persécutes-tu ? » À cette voix, vous avez tressailli ; puis la grâce étant plus forte que vos passions, vous êtes tombé à genoux, l’âme angoissée et vous avez dit : « Seigneur, que voulez-vous que je fasse ?… »
Monsieur, voici les paroles sacrées que j’ai entendues de la bouche même de Notre-Seigneur : « Va dire au chef qui gouverne la France de se rendre à la Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre avec les rois des nations alliées. Là, solennellement, les drapeaux de chaque nation seront bénits, puis le Président devra épingler l’image de mon Cœur sur chacun des étendards présents. Ensuite, M. Poincaré et tous les rois alliés à la tête de leur pays, ordonneront officiellement que le Sacré-Cœur soit peint sur tous les drapeaux de chaque régiment français et allié. Tous les soldats devront être recouverts de cet insigne de salut »… En peu de jours, le Sacré-Cœur nous rendra victorieux…Voici les ordres de Dieu. Si vous refusez d’accomplir les lois divines, dans peu de temps vous serez renversé de votre place… Monsieur le Président, vous êtes perdu si vous persistez dans les erreurs qui empoisonnent votre vie. Ah ! je frémis ! Pauvre France ! D’elle, nous n’aurons plus que le souvenir.
Loublande devient vite un lieu de pèlerinage. La ferme des Ferchaud est prise d’assaut par des milliers de fidèles venus en charrette, à vélo ou à pied, souvent de très loin. La dévotion atteint son paroxysme quand on apprend que par la médiation d’un député conservateur de Vendée, Claire a obtenu une audience avec le président.
L’image du Sacré-Cœur est diffusée à des millions d’exemplaires, la France est inondée, les soldats, croupissant dans les tranchées, placent la sainte reproduction près du cœur, espérant une protection divine. Devant une telle ferveur, une circulaire du ministère de la Guerre daté du 6 août 1917, contresignée par Pétain, interdit l’exhibition de l’image et établit l’obligation d’observer une stricte neutralité religieuse, opposant ainsi les défenseurs de la laïcité républicaine et les cléricaux qui rappellent que la « France est la fille aînée de l’Église ». Le débat sur l’identité religieuse de la France fait rage dans les milieux avertis, l’armée française est en complète déconfiture et, dans ce contexte épineux, la modeste bergère vendéenne est reçue à l’Élysée par Raymond Poincaré pour le convaincre de bouter l’ennemi hors de France.
L’entrevue restera sans suite, mais la pugnacité de Claire est sans limite. Tous les généraux de France recevront une lettre dans laquelle elle demande ardemment aux « braves petits soldats… de déployer le drapeau du Sacré-Cœur malgré les défenses formelles… Je leur promets la victoire… »
Lettres restées sans effet.
Les mois passent, l’Armistice du 11 novembre 1918 met fin à la Grande Guerre et Claire commence à devenir encombrante.
L’archevêque de Paris s’émeut de la fièvre épistolaire de cette Vendéenne et, appuyé par le Vatican, obtient la mutation de l’évêque de Poitiers qui l’encourage et la soutient.
Ce camouflet ne suffit pas pour décourager notre nouvelle Jeanne d’Arc. La France est gouverné par un mécréant, la franc-maçonnerie trop influente conduit le pays à sa perte, il est grand temps de se retirer pour accomplir une nouvelle mission.
Encore soutenue par les autorités religieuses locales et la ferveur de toute une région, elle crée une congrégation de « vierges réparatrices » composée de six jeunes filles unies dans la prière pour expier les outrages faits à Dieu et réparer les dommages causés aux hommes par le péché. La cause est noble. Pourtant le Vatican juge la communauté dissidente et la condamne par décret en 1920. Les brimades tendant à calmer l’ardeur de la trop mystique Claire se multiplient. « On » lui conseille de quitter le voile qu’elle arbore illégitimement, de remplacer le grand Christ qui orne sa poitrine par un plus modeste, de veiller à un peu plus de discrétion dans la démonstration ostentatoire de ses convictions.
Seule contre tous, Claire, autoproclamée Claire de Jésus Crucifié, accepte les vexations avec la même humilité que Marie-Marguerite Alacoque acceptait les souffrances.
Désireuse toutefois de reconquérir la confiance de l’Église, Claire demande une audience à Benoît XV qui consent à la recevoir. La veille de son départ pour Rome, elle apprend le décès du Souverain Pontife.
Ignorant alors ses détracteurs, elle continue à pourfendre les francs-maçons, les communistes, les juifs et à entretenir des liens étroits avec son Amour-Roi dans l’adoration du Sacré-Cœur, toujours en marge de l’Église.
Claire Ferchaud, la messagère du Christ, s’éteint le 29 janvier 1972 à Loublande, laissant libre cours à de nombreuses polémiques.
Certains glorifient l’incroyable pureté de son message relatif au drapeau du Sacré-Coeur et à la Messe Perpétuelle, que défend la branche intégriste de l’Église ; d’autres voient en elle une manipulatrice à la fois gourou et mystificatrice.
Elle reste le symbole des rapports difficiles entre l’Église et la République laïque après que le catholicisme ait été pendant des siècles la religion d’État, le roi de France étant le représentant de Dieu.


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