Fées et gestes – L’incroyable supercherie de Cottingley
De 1917 à 1921, près de Bradford (Angleterre), cinq photographies mettant en scène deux jeunes filles entourées de fées et de gnomes, embrasent le monde spirite et théosophique, déclenchant expertises et polémiques jusqu’à l’éclatement de la vérité en 1983.
L’homme vit avec la nature. Il communie avec elle mais la redoute tout autant depuis la nuit des temps. D’où nombre de croyances et de superstitions qui scellent leur relation. Secrète, tantôt fascinante, tantôt hostile, la nature influence nos esprits. Au point de la peupler d’êtres imaginaires, au travers de fées et de génies, créatures invisibles vivant dans des grottes, sous terre, près des mégalithes ou dans les forêts.
Ces croyances et ces superstitions ont durablement influencé les âmes enfantines nourries de contes et de légendes, jusqu’à parfois transformer leur jugement et leur raison. L’incroyable histoire de Cottingley en est sans aucun doute le principal exemple !
Fées-divers à Cottingley
A Cottingley, petit village du Yorkshire, au nord-ouest de Bradford, entre Skipley et Binley, une sculpture en métal rappelle qu’on entre ici dans le royaume des fées. Un village caractéristique de la campagne anglaise, avec sa rivière, son bois et ses champs. Un village tranquille, sans histoire, mis sous les feux de l’actualité en 1917. La famille Wright vit ici : Arthur, le père, passionné de photographies, qui a monté sa propre chambre noire ; Polly, la mère, férue de spiritisme et de théosophie et Elsie, leur fille de 16 ans. Depuis quelques mois, sa cousine, Frances Griffiths (10 ans) les a rejoints, après avoir quitté l’Afrique du Sud avec sa mère. Deux gamines imaginatives qui sont bientôt prises sous les feux de l’actualité dont l’essentiel, depuis quatre ans, est de compter victoires et défaites, morts et blessés d’une guerre qui n’en finit plus de durer.
Dans le deuil qui secoue chaque famille, certains cherchent à entrer en contact avec leurs chers disparus. En Angleterre, les sociétés théosophiques se sont multipliées depuis la fondation du théosophisme en 1875 par Helena Blavatsky. L’un de ses buts est d’étudier les lois inexpliquées de la Nature et les pouvoirs latents dans l’Homme. La théosophie exprime ainsi l’idée d’une réincarnation des êtres sous différentes formes.
Parmi les adeptes les plus connus, l’écrivain Arthur Conan Doyle va jouer un rôle déterminant dans l’affaire de Cottingley, au détriment d’ailleurs de sa réputation. L’auteur de Sherlock Holmes a perdu son fils, victime de la grippe espagnole ainsi que son frère cadet à la guerre. Depuis, l’écrivain tente d’entrer en contact avec leurs esprits à travers l’écriture médiumnique ou par l’impression des visages des défunts sur une photographie.
Deux photographies enflamment le monde spirite
L’histoire débute en juillet 1917. La chaleur de l’été incite les jeunes filles à descendre le long de la Beck qui coule en contrebas du village, bordé de chênes, de frênes et de pierres, refuges des fées. Un lieu propice aux rêveries et au fantastique. D’autant plus que des légendes courent dans le pays sur la présence de fées et de gnomes. Aussi, la mère d’Elsie ne s’étonne-t-elle pas quand, à leur retour, les deux fillettes racontent avoir vu des fées.
Elsie, qui s’intéresse à la photographie, demande à son père de lui prêter son Midg quater-plate. Arthur Wright rechigne mais finit par céder, chargeant l’appareil d’une seule plaque photographique. Toute à leur joie, les deux gamines descendent vers la rivière. Elles en reviennent une heure plus tard, affirmant avoir pris sur le vif des fées.
Quand la chambre noire rend son verdict, Arthur Wright distingue parfaitement sa nièce Frances derrière un buisson et, au premier plan, quatre fées ailées dont trois semblent danser et une autre, jouer de la flûte. Le photographe sourit. Décidemment, ces gamines ont une imagination débordante, capable de découper dans du carton des fées et réaliser un trucage. Tancées de dire la vérité, Elsie et Frances, soutenues par Polly, protestent de leur bonne foi.
Deux mois s’écoulent quand les fillettes renouvellent l’expérience. Cette fois, Elsie se retrouve assise sur la pelouse, face à un gnome qui la regarde. Arthur Wright finit par s’emporter devant ces croyances d’un autre temps, leur interdisant dorénavant d’emprunter son appareil.
Les deux photographies n’auraient pas franchi le cercle familial et le voisinage si Polly, la mère, n’avait pas assisté durant l’été 1919 à une réunion du cercle théosophique de Bradford et révéler l’existence des deux clichés, attirant quelques mois plus tard l’attention d’Edward L. Gardner, membre éminent de la théosophie. En présence des négatifs, Gardner est convaincu de leur authenticité, déclarant : « le fait que deux jeunes filles aient non seulement été en mesure de voir des fées, ce que d’autres avaient fait, mais en plus aient pour la première fois été en mesure de les matérialiser à une densité suffisante pour que leurs images soient enregistrées sur une plaque photographique, signifie qu’il est possible que le prochain cycle d’évolution soit en cours. »
Gardner prend quand même des précautions. En présence des négatifs, l’expert Harold Snelling affirme qu’ils ne présentent « aucune trace de travail en studio impliquant des modèles en carton ou en papier ».
Gardner donne alors une série de conférences à travers le Royaume-Uni, attirant l’attention de Sir Arthur Conan Doyle. L’écrivain est en train d’écrire un article sur les fées pour Noël. L’histoire de Cottingley tombe donc à point.
Trois autres clichés déclenchent une nouvelle polémique
Gardner finit par se rendre auprès des jeunes filles et en revient encore plus convaincu. Ce qui ne l’empêche pas, sur les conseils de Conan Doyle, de demander une contre-expertise aux sociétés Kodak et Ilford. Kodak refuse de délivrer un certificat d’authenticité tandis qu’Ilford affirme que ces photographies sont truquées. D’autres experts apportent la même conclusion. Pourtant, aussi extraordinaire que ce soit, Gardner et Conan Doyle restent fermement convaincus de la présence des fées sur les deux clichés.
En juillet 1920, Gardner se rend une nouvelle fois à Cottingley, avec dans sa malle deux appareils photographiques et 24 plaques qu’il confie aux deux fillettes afin qu’elles renouvellent leur expérience de 1917. Le 19 août, Elsie et Frances se rendent sur la Beck et en reviennent avec deux photographies. L’une représente Frances avec une fée ailée qui danse près de son nez. L’autre montre une fée offrant une fleur à Elsie. « La fée, écrit Conan Doyle, se tient debout, presque immobile, en équilibre sur les feuilles du buisson. Les ailes sont proches du jaune, et la partie supérieure de la robe est rose très pâle. »
Deux jours s’écoulent avant qu’une troisième photo dévoile la présence des fées, prenant un bain de soleil. L’auteur du « Chien des Baskerville » la décrit ainsi : « Assise sur le bord supérieur gauche, les ailes bien déployées, se trouve une fée sans aucun voile qui semble se demander s’il est l’heure de se lever. Une lève-tôt un peu plus âgée se trouve sur la droite, avec une chevelure abondante et de superbes ailes. Son corps un peu plus lourd peut être aperçu au travers de sa robe de fée. »
Conan Doyle, qui a appris la nouvelle en Australie, se réjouit : « … lorsque, ici en Australie, j’ai pris connaissance de votre note et de la publication des trois magnifiques photos qui confirment les résultats que nous avons publiés. Quand la réalité de nos fées sera admise, les autres phénomènes psychiques trouveront une meilleure acceptation… Nous avons reçu des messages de façon continue, lors de séances pendant un certain temps, nous indiquant qu’un signe visible allait se manifester. »
En décembre 1920, il écrit dans le Strand Magazine : « La reconnaissance de leur existence va bousculer l’esprit matérialiste du XXe siècle hors de ses ornières boueuses et lui fera admettre qu’il y a du charme et du mystère dans la vie. Ayant découvert cela, le monde ne trouvera pas si difficile d’accepter le message spirituel, étayé par des preuves matérielles, qui lui a déjà été présenté. »
Les critiques ne manquent pas de s’élever devant la naïveté de l’écrivain. « Pour obtenir, ironise le journal de Sidney, Truth, la véritable explication de ces photographies de fées, il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances en phénomènes occultes, mais plutôt de bien connaître les enfants. » Tandis que le major John Hall-Edwards, spécialiste de radiologie médicale, écrit : « A l’évidence, je n’hésite aucunement à dire que ces photos pourraient avoir été “truquées”. Je critique l’attitude de ceux qui ont déclaré qu’il y a quelque chose de surnaturel dans les circonstances qui entourent la prise de ces photos, car en tant que médecin, je crois qu’imprégner l’esprit des enfants de ces idées absurdes se traduira plus tard par des troubles nerveux et des troubles mentaux. »
La polémique ne cesse d’enfler durant l’année 1921, Conan Doyle étant taxé d’écrivain crédule, lui le créateur du plus intuitif des détectives, Sherlock Holmes. Quant à Gardner, il accomplit une dernière visite à Cottingley afin de fournir des preuves irréfutables. L’affaire en restera là, disparaissant de la presse tandis que Frances et Elsie, marquées par cette histoire, s’effaceront de l’actualité pour mener leur vie de femme.
L’affaire de Cottingley revient à la Une
Plus de quarante ans s’écoulent quand, en 1966, un journaliste relance l’affaire en retrouvant la piste d’Elsie qui vit dans les Middlands après avoir séjourné en Inde. Quant à Frances, revenue d’Afrique du Sud, elle s’est installée avec son époux à Ramsgate. Agée de 65 ans, Elsie reste évasive sur les clichés, qui peuvent être « des produits de son imagination ».
De 1971 à 1978, la BBC et la télévision s’intéressent à l’affaire de Cottingley et tentent surtout de faire avouer à Elsie et Frances la supercherie. En vain ! Si elles reconnaissent que « ces photographies sont issues de leur imagination », « qu’une personne rationnelle ne voit pas les fées », elles réfutent toute idée de trucage.
Pourtant, les nouveaux moyens technologiques permettent une expertise plus fine des photographies. Ainsi, le rapport du New Scientist affirme, le 3 août 1978, que les photographies sont des faux, mettant en avant que des systèmes soutenant les fées peuvent être vus. Cinq ans plus tard, un second rapport du British Journal of Photography rend compte du trucage, réalisé à partir du découpage de carton et d’accessoires permettant la mise en scène. Frances et Elsie reconnaissent enfin qu’elles ont menti mais se contredisent sur la cinquième photo. Alors qu’Elsie avoue la supercherie, Frances affirme son authenticité : « C’était un samedi après-midi pluvieux, déclare-t-elle, nous étions en train de nous amuser avec les appareils photographiques et Elsie n’avait rien prévu. J’ai vu ces fées dans les herbes, je les ai juste visées avec l’appareil et j’ai pris une photographie. »
A leur décharge, sans doute les deux jeunes filles influençables ont-elles été prises dans une spirale du mensonge, d’autant plus que des personnages éminents venaient apporter leur caution à leurs propos.
Frances, décédée en 1986 et Elsie, deux ans plus tard, l’histoire de Cottingley n’est pas tout à fait retombée dans l’anonymat. Elle fait encore l’objet d’analyses de la part de spécialistes du spiritisme et d’ouvrages plus ou moins nuancés.
Les mémoires de Frances ont été publiées en 2009 après que le National Media Museum de Bradford ait acquis objets et documents en rapport avec l’affaire. Quant aux plaques de verre photographiques, elles sont la propriété d’un anonyme.
Si le canular est aujourd’hui acquis, accepter l’énigme, l’inconnu participe aussi à l’imaginaire collectif et permet de continuer de rêver et d’espérer.
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