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Hellé Nice. Une étoile sur les pistes

 Hellé Nice : un nom qui a lui seul est déjà un nom d’étoile. Un nom d’emprunt offert à la célébrité avant de tomber dans l’oubli. Un nom, pourtant, au destin hors du commun. Qui sut se faire une place au soleil avant de se consumer pour avoir trop voulu grimper au firmament d’une gloire frivole.

Hellé Nice, c’est d’abord un corps mis à nu, sacralisation d’une beauté pure et d’une sensualité offerte et voulue aux regards. Mais un corps libre de ses choix, au-delà des convenances admises. Un corps instruit et non « instrumentalisé » pour exalter ses passions amoureuses et sportives.

Hellé Nice a certes pu choquer : sa famille, d’abord, d’un milieu modeste et conventionnel ; un entourage masculin qui n’admet guère l’intrusion féminine dans un domaine qui lui semble réservé comme le sport automobile ; la société en général, vite réduite à refuser tout écart de conduite.

Rejetant ce conformisme, Hellé Nice a surtout vécu pour elle. Non par égoïsme démesuré mais bien pour assouvir ses passions et assumer ses choix de vie. Si, à certains égards, elle peut être comparée à ses consoeurs pilotes Camille du Gast et Violette Morris, elle s’éloigne complètement de la première par son origine sociale et de la seconde par sa féminité assumée aux antipodes de celle refoulée de Violette.

Pourtant, si leur vie se croise seulement sur les circuits automobiles, Hellé Nice et Violette Morris subiront toutes deux le poids de l’insidieuse rumeur, cette gangrène de l’information qui ronge les esprits et imprime le doute. Pire que le sort de Violette Morris, abattue par la Résistance en 1944 pour avoir trop frayé avec les milieux collaborationnistes, Hellé Nice a dû vivre, durant trente-cinq ans, seule, avec cette culpabilité jamais prouvée ; avec la trahison de ceux qui l’avaient tant choyée ; avec ses souvenirs d’albums photos et de papiers journaux. Supportant sa déchéance morale et physique comme elle avait toujours assumé sa gloire. Eteignant une à une les lumières de son passé pour ne devenir qu’une ombre avant de disparaître. Le corps après les biens. Son nom après le corps. L’oubli !

  1. Le rallye de Monte Carlo renaît pour la première fois des cendres de la guerre. Dans le grand salon de réception, la veille de la course, entre petits fours et coupes de champagne, Hellé Nice est radieuse. Le sourire étincelant, elle se sent revivre au milieu des officiels, des pilotes et des convives triés sur le volet. À quarante-huit ans passés, après avoir été tant adulée, il est difficile de vivre sans cette impression d’être au centre des conversations et des regards posés sur soi. Et puis, dans quelques heures, elle pourra s’élancer encore à tombeau ouvert pour prouver qu’elle est toujours une grande pilote : « la reine des Bugatti ».

Une petite cour s’est formée autour d’elle quand Louis Chiron fait son entrée dans le salon, toujours élégant dans son costume blanc et son éternel foulard à pois. Hellé sourit. Avec Chiron, ils ont presque le même âge et la même rage de courir et de vaincre. Pourtant, quand la vedette des circuits aperçoit Hellé, il fend les groupes d’invités et se plante brusquement devant elle :

« Vous avez été un agent de la Gestapo, lui assène le Monégasque. Votre place n’est plus ici. Quittez ce salon. »

Hellé Nice regarde Louis Chiron, interloquée. Son attaque a été si rapide. Si peu courtoise. Tous les regards se sont tournés vers celle qui fait désormais figure d’indésirable. Elle se doit de répondre vite à cette ignominie. L’accusation est trop grave, seulement quatre années après la fin de la guerre. Pourtant, aucun mot n’arrive à sortir de sa bouche. Les larmes aux yeux, elle préfère fuir ; quitter pour une fois ces regards interrogateurs devenus accusateurs. Louis Chiron a réussi dans son entreprise. Personne ne saura jamais pourquoi. Vengeance amoureuse ? Peut-être. Car aucune preuve de la collaboration d’Hellé Nice avec les Nazis n’a jamais été extraite des archives. Tout juste peut-on trouver étrange l’achat, en 1943, d’une splendide maison à Nice par Hellé ou sa passivité face aux événements. Mais ils furent tellement nombreux ceux qui fermèrent les yeux. Quant à Louis Chiron, on oublia vite qu’il avait été pilote chez Mercedes en 1936 alors qu’Hitler est au pouvoir.

Le mal était fait ! Hellé Nice aurait dû bondir. Se défendre. Piquer au vif Louis Chiron pour détourner sur lui les regards. Délester la rumeur de son venin. Dès lors qu’elle avait fui sans apporter de contradiction, sa culpabilité devenait évidente. Le cours de sa vie allait en être chamboulé. Plus jamais elle ne sera invitée sur un circuit. Sponsors et amis, les uns après les autres, lui fermeront leurs portes. Un dernier virage manqué qu’Hellé Nice subit, claquemurée dans le silence et le désespoir. Les ténèbres après les lumières du succès.

Plusieurs vies dans une seule ! Qui s’enchaînent, s’entrecroisent et se complètent. Entre bonheur, gloire et tragédies ! Tel se résume le film de la vie de Mariette Hélène Delongle, la petite fille d’Aunay-sous-Auneau, près de Chartres, née à l’aube du XXe siècle. Une gamine déjà différente des autres par sa beauté et son intrépidité. La double clé de ses succès à venir. En attendant, la mort est déjà venue frapper à deux reprises à la porte familiale. Un père décédé alors qu’elle n’a pas encore quatre ans. Puis un frère, emporté par un obus, dès 1914.

Sa mère, en se rapprochant de Paris pour retrouver son nouveau compagnon, pose le premier jalon d’une vie parisienne qu’Hélène touche d’abord du doigt, enchaînant petits boulots et séances photographiques que sa plastique lui autorise. Hélène attire les regards et le sait. Des directeurs de cabarets lui proposent de se produire comme danseuse. Elle accepte. Poser sous les feux des projecteurs la fascine. L’éclat de sa beauté et la sensualité raffinée de son corps ne laissent pas les petits cercles mondains indifférents. Déjà, Hélène Delongle sait conduire sa vie. À toute vitesse. La victoire toujours en vue. Au-delà des critiques et des reproches.

Parmi les hommes qui se pressent autour d’elle, Henri de Courcelles, une gloire de l’aviation durant la Grande Guerre, la séduit. Reconverti dans la course automobile, il fait découvrir à la nouvelle Hellé Nice l’ambiance des circuits automobiles, l’adrénaline de la vitesse et le petit monde des pilotes qui gravite autour des courses.

Aunay-sous-Auneau et Sainte-Mesmes sont déjà si loin. Sa famille aussi, avec laquelle elle n’a plus guère de rapports. Désormais résonnent en elle les noms de Bugatti, de Riviera, de stations de sports d’hiver où elle dévale les pentes, de Montlhéry ou du Mans, deux nouveaux circuits où les voitures de course tournent à des vitesses folles. Sans abandonner la danse où Hellé Nice connaît un succès sans cesse grandissant. Au Ritz, dans des galas de soutien, à travers l’Europe puis au Cabaret de Paris pour danser dans la Revue Paris-New-York. Tout réussit à Hellé Nice et à Henri de Courcelles, vainqueur en 1925 des 24 heures du Mans. Mais le bonheur est fugitif et la mort se rappelle encore une fois à elle. De Courcelles décède, sous ses yeux, le 3 juillet 1927, sur le circuit de Montlhéry. Un arbre s’est mis en travers de sa voiture. En travers de la vie d’Hellé Nice. D’un bonheur perdu. Egarée, elle abandonne un temps la danse avant de revenir sur scène, une fois ses larmes séchées. Pas pour longtemps ! Second baisser de rideau quand une chute en skis lui brise un genou. Hellé ne dansera plus ! Sauf au volant d’une voiture, dans le ballet incessant des tours de piste. Comme un défi en l’honneur de l’être disparu.

Sa première grande victoire, elle l’obtient le 9 juin 1929 quand elle remporte la 3e Journée Féminine de l’Automobile. Sa carrière de pilote est lancée. Elle n’abandonnera plus jamais le volant. De circuit en circuit, d’amant en amant, de réception en fête somptueuse, des Etats-Unis au Brésil, tout lui réussit. Hellé Nice croque la vie à pleines dents. Bugatti puis Alfa Roméo lui confient leurs meilleures voitures. Lucky Strike en fait son égérie publicitaire. Hellé Nice fait corps avec ses bolides. Comment lui résister ? Comment ne pas être attiré par sa beauté, son enthousiasme, son courage, son intrépidité ? Ami ou amant, tous la vénèrent : du baron Philippe de Rothschild au comte Bruno d’Harcourt ; de Jean Bugatti au fougueux Américain Bill. « La reine des Bugatti » gagne des courses ; fait tomber des records de vitesse.

Ses étapes d’ascension sont aussi marquées par des points de bascule. Des tragédies qui viennent endeuiller sa gloire et son bonheur de femme. Philippe, Jean, Bill disparaissent tour à tour, victimes de leur passion et de la vitesse. Sans eux, Hellé Nice continue sa route qui semble tracée vers les sommets.

  1. Alors que l’Europe entre dans une période de turbulences, Hellé part au Brésil, entichée d’un nouvel amant, Arnaldo Binelli, pour disputer le Grand Prix à Rio de Janeiro. Le soleil, la plage, les réceptions, l’amour : Hellé rayonne. Elle sait le circuit de Rio particulièrement dangereux mais elle en a vu d’autres. Face à la concurrence des Alfa et des Ford V8, son Alfa Monza fait merveille. À un tour de l’arrivée, Hellé est en seconde position avec, en ligne de mire, le champion brésilien Manuel de Teffe, follement acclamé par son public. Hellé accélère. Elle veut gagner. Accélère encore. L’Alfa aborde le virage à près de 160 km/heure. Dans le viseur de sa petite caméra, Arnaldo filme son héroïne. Il devine son intention. Sa soif de victoire. Son envol. L’Alfa, projetée dans les airs, vient de quitter la piste pour retomber dans les tribunes bondées de spectateurs. Hellé Nice est éjectée ; projetée sur un soldat qui amortit sa chute. Le drame. Les secours relèvent six victimes et une trentaine de blessés. Hellé Nice, après trois jours de coma, revient à la vie. A la cause du drame. Aux conséquences terribles. La polémique enfle sur sa responsabilité mais le film d’Arnaldo la blanchit de toute accusation. Après trois mois de convalescence, elle peut rentrer en France. Le gouvernement brésilien lui a octroyé une pension. Mais peut-elle recourir sans appréhension ? Peut-elle évacuer l’image de ce soldat qui a perdu la vie en sauvant la sienne ? A Beaulieu-sur-Mer, elle se repose, se laisse du temps avant de revenir en piste.

Mai 1937 : avec trois autres femmes pilotes, sponsorisées par Yacco, elle bat plusieurs records du monde de vitesse. Son dernier exploit ! Les temps changent ! La guerre, les privations, la fin des courses automobiles : le couple Arnaldo-Hellé quittent la Côte d’Azur pour Arcueil, en région parisienne. Avant de revenir à Nice en 1943, dans une villa cossue. La guerre achevée, Hellé Nice tente de relancer sa carrière. Mais rien ne sera jamais plus comme avant. Avant que la rumeur vienne souffler son haleine perfide.

  1. Qui songerait que cette petite vieille édentée, à la beauté fanée, marchant avec difficulté, fut une des femmes les plus acclamées des circuits automobiles ? Qui pourrait penser qu’elle côtoya les personnalités les plus importantes du monde automobile ? Trente-quatre ans de dégringolade ont réussi à tout effacer. Jusqu’à son nom auquel elle a préféré un pseudonyme… jusqu’à sa fortune qu’Arnaldo a dilapidée en quelques années… jusqu’à Arnaldo qui l’a laissée sans amour… jusqu’au dénuement le plus complet… jusqu’à l’oubli… jusqu’à la mort, qui vient la chercher le 1er octobre 1983 pour rejoindre le paradis des pilotes.

Jusqu’à cette journée souvenir du 4 septembre 2010 où elle est redevenue, sur le monument funéraire de sa famille, Hellé Nice, l’étoile des pistes ! Celles qu’elle n’aurait jamais dû quitter

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