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Albert Corey. La médaille perdue de la France

Il est aujourd’hui une médaille qui fait débat plus de cent ans après avoir été obtenue et qui laisse notre tableau des médailles orphelin d’une breloque en argent.

Nous sommes en 1904 à Saint-Louis (Louisiane) pour la IIIe olympiade des jeux modernes. De biens curieux jeux à vrai dire tant ils semblent déconnectés de l’idéal olympique. Prévues initialement à Chicago, les épreuves sont transférées au dernier moment à Saint-Louis pour coïncider avec l’exposition universelle qui célèbre le centenaire de la vente de la Louisiane par la France, en mars 1804. Etonnante aussi la durée des jeux : cinq mois de compétition, bien éloignée de la communion des athlètes des cinq continents. D’ailleurs, la majorité d’entre eux ne s’est pas déplacée, vu la longueur du voyage – 11 jours de traversée et 40 heures de chemin de fer – et le coût représenté. Et que dire enfin de ces jeux parallèles dit « Journées anthropologiques », au caractère raciste évident, qui consistent à exhiber des athlètes « exotiques » au public, provoquant l’ire du baron de Coubertin qui aura cette phrase cinglante à l’égard des organisateurs : « Cette mascarade outrageante se dépouillera naturellement de ses oripeaux lorsque ces noirs, ces rouges, ces jaunes apprendront à courir, à sauter et à lancer et laisseront les Blancs derrière eux… » Phrase prémonitoire qui dut rallumer la fierté dans le regard du vieux chef Geronimo, exhibé lui-aussi pour l’occasion.

Mais revenons à cette fameuse médaille ! Et plus précisément à l’athlète qui la porta à son cou. Notre homme se nomme Albert Corey. En 1903, le titi parisien a franchi l’océan Atlantique pour réaliser son rêve américain : faire fortune ! En cela, rien de bien original ! Sauf que l’émigrant se double d’un sportif de valeur, spécialiste des courses de fond et notamment du marathon, l’épreuve reine des Jeux Olympiques. Affilié au Chicago Athletic Association, ses performances lui permettent à titre individuel de s’engager pour le marathon de Saint-Louis. Dilemme : bien qu’il soit engagé comme résident américain, Albert Corey est encore à cette date considéré comme citoyen français car il n’a pas encore accompli ses cinq années de présence sur le sol américain comme l’exige la loi de naturalisation.

Trente-deux participants se présentent sur la ligne de départ, sous la chaleur étouffante de Saint-Louis. Des Américains bien sûr mais aussi une dizaine de coureurs grecs, deux sud-africains de couleur qui, avant de venir courir, jouent les figurants dans un film et un cubain  extravagant mais non dépourvu de qualités physiques qui se présente au moment du départ en chemise de nuit, pantalon et chaussures à talons hauts.

Une course qui ne manque pas de sel et qui se dispute dans des conditions épouvantables, les voitures suiveuses soulevant un incessant nuage de sable à rendre malade un fennec du désert. Notre petit Français, déjà franco-américain, suit son plan à la lettre : partir doucement et remonter un par un ses adversaires pour franchir la ligne d’arrivée si possible en vainqueur ou, du moins, aux places d’honneur. Et de fait, notre marathonien ne s’est pas trompé. Les uns après les autres, les concurrents s’effondrent sur le bord de la route, les muscles raidis par l’effort, le gosier brûlant de poussière ou vomissant dans le fossé. À quelques kilomètres de l’arrivée, il ne reste à Albert Corey qu’à rattraper un Américain du nom de Thomas Hicks. Encore quelques centaines de mètres et il finira par fondre sur lui et le laisser sur place. La victoire est au bout ! Mais stupeur ! Corey déchante quand il aperçoit deux énergumènes se précipiter sur le coureur titubant. Ni une, ni deux, ils le prennent par les aisselles, lui administrent un cognac accompagné d’un jaune d’œuf histoire de le requinquer et avant de le relâcher lui administrent une piqûre de strychnine à faire bondir un taureau anesthésié. Pas pour longtemps car le tricheur perd rapidement de sa superbe. Corey est sur ses talons. Qu’à cela ne tienne ! Une seconde piqûre de strychnine le remet sur pieds. Hicks entre le premier sur le stade de son triomphe. Corey ne terminera que second en 3 heures 34 minutes ! Enfin les deux hommes le croient-ils ? Car, au moment où la foule se lève pour applaudir les deux héros, les officiels sont en passe de remettre la médaille d’or à un autre Américain, Fred Lorz. Stupeur, colère et tremblements parmi les organisateurs qui apprennent que le présumé vainqueur, presque mourant quinze kilomètres en arrière, s’est fait transporter en voiture à quelques centaines de mètres du stade avant de terminer premier. Disqualifié, Lorz est renvoyé alors que Hicks, qui s’est évanoui dans les vestiaires, est déclaré vainqueur. Du coup, et en dépit de ses réclamations, Albert Corey remporte la médaille d’argent. Cette médaille que les Américains s’approprieront au dépens de la France qui aurait pu devenir le seul pays dans l’histoire des Jeux à remporter une médaille sans envoyer de participants.

Quant à Albert Corey, son histoire s’arrête là, à vingt-six ans ! Que retira-t-il de son infortune sportive ? Nul ne le sait. Peut-être de ne compter que sur soi-même dans un pays où la réalité supplante souvent le rêve !

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