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JOSEPH-PIERRE DURAND DE GROS : LE DAMNE DE LA TERRE

Il est des personnages et des noms que l’Histoire a du mal à retenir et ne labellise pas du nom d’une rue, d’un boulevard ou d’une place malgré qu’ils furent, par leur personnalité, leur talent ou leur action, des hommes connus et appréciés de leurs contemporains. En Aveyron, Joseph-Pierre Durand de Gros s’inscrit dans ce registre de l’oubli. Car chacun sait que nul n’est prophète en son pays.

 

Témoin et acteur de son temps, il le fut. Plus que tout autre ! Mais seule la Raison lui dicta le chemin à suivre, labourant avec passion sur le champ des découvertes scientifiques. Une Science qu’il ne concevait qu’à travers l’émancipation de l’Humanité.

   Bon sang ne saurait mentir ! J.P. Durand de Gros était le fils de Joseph-Antoine Durand, dont une avenue de Rodez porte aujourd’hui le nom. Disciple de Saint-Simon et de Fourier, fervent républicain, ce père nourricier fut aussi un agronome de renom qui inonda la presse régionale de ses riches propos. Plus qu’un simple concepteur d’idées, J.A.. Durand se voulait tout à la fois architecte et bâtisseur. Selon lui la propriété, base essentielle de la société, serait d’utilité publique ou ne serait pas : « Nous ne voulons pas, disait-il, offrir aux misères du pauvre un adoucissement mouillé des larmes du riche ; nous avons la puissance d’enrichir le pauvre, d’initier les travailleurs à la Morale, à la Science et aux Beaux-Arts, tout en ajoutant aux jouissances du riche ».

   UN PERE NOURRICIER

A  la petite propriété, morcelée et peu productive, J.A. Durand proposait en effet le système de la grande propriété, basé sur les principes saint-simoniens et adapté à l’irrigation seul moyen, à ses yeux, pour pousser l’agriculture vers un progrès qui augmenterait de beaucoup ses capacités productives.

La réussite évidente de son domaine prouva le bien-fondé de ses idées. Un projet polarisa particulièrement son attention, qu’il fut le premier à mettre en pratique : « Le besoin le plus pressant de l’époque, c’est celui de nourriture et d’habillement pour le pauvre, et de sécurité pour le riche ; pour y arriver, il faut utiliser l’exploitation des eaux afin de pousser notre agriculture à un progrès qui augmente de beaucoup ses produits ». Ainsi, et malgré les attitudes rétrogrades de ses adversaires, construisit-il un canal d’irrigation de 3120 m, irriguant 35 hectares.

En 1838, il poussa encore plus loin la mise en pratique de ses idées en proposant de céder son domaine à la Société Centrale d’Agriculture sur la base d’un actionnariat et pourvu que des pratiques communautaires s’établissent entre les membres du domaine. Son projet fut poliment refusé.

Le coup d’état du 2 décembre 1851 et sa condamnation à l’Algérie Plus pour avoir résisté avec les républicains aveyronnais éloigneront J.A. Durand  de l’Aveyron jusqu’en 1857. Après avoir essuyé un nouvel échec à la prime d’honneur agricole de 1861 pour de sordides mesquineries politiques, J.A. Durand se contenta de vivre sur son domaine de Gros. Il y mourut le 20 juillet 1869. L’Empire qu’il avait tant combattu ne devait lui survivre que l’espace d’une année. Sans doute aurait-il vu la naissance de la Troisième République comme l’avènement d’une société nouvelle, idéal pour lequel il s’était tant battu.

    LE COMBAT POUR L’HYPNOSE

   De ce père qu’il admirait, J.P. Durand de Gros reçut l’intelligence, la dextérité de la plume et toute la faconde. Sa jeunesse baigna dans les combats et les réalisations que l’agronome de Gros et d’Arsac menait et réalisait sur ses terres. Sa vie d’étudiant parisien et la Révolution de 1848 finirent par le convaincre du bien-fondé des théories fouriéristes. En 1850, alors âgé de 24 ans, il publie un petit opuscule théorique « Petit catéchisme politique et social, ou la politique et le socialisme mis à la portée de tout le monde » où il démontre, avant d’aborder la question du socialisme, les méfaits et l’impuissance à gouverner de la Monarchie et de la République suivant l’évolution historique des sociétés. En épigraphe, il écrivait : « Le plus grand ennemi de l’homme, c’est l’ignorance. Ce qui n’est pas résolu à l’avance et à temps par la discussion, l’est toujours ensuite et trop tard par la violence ».

Considéré comme un élément dangereux lors du coup d’état du Prince-Président Louis-Bonaparte, J.P. Durand de Gros dut s’exiler un temps en Grande-Bretagne. C’est dans ce pays qu’il allait rencontrer un chirurgien de Manchester, James Braid, qui expérimentait une nouvelle thérapie, l’hypnotisme.

Revenu en France puis en Algérie, pour tenter de faire évader son père, le docteur Philips, alias J.P. Durand de Gros en profita pour présenter à un public incrédule ses premières expériences hypnotiques. Il publiera même un livre, « Electro-dynamisme vital », contre lequel se déchaînèrent les vieux grognards de l’Académie de Médecine qui faisaient furieusement campagne, depuis 1840, contre le magnétisme animal.

Alors que le nom de Philips s’étalait de plus en plus dans les colonnes de la presse nationale, J.P. Durand de Gros suspendit soudain ses travaux et s’éclipsa une seconde fois. La police de Napoléon III de nouveau à ses trousses, il avait préféré mettre un peu de distance entre lui et la France, histoire de se faire oublier.

C’est à New York qu’il débarque en 1855. Il y obtient rapidement la citoyenneté américaine, un grade de docteur en médecine et le bonheur, en épousant la fille de l’attaché militaire de l’ambassade de Russie, une femme d’une grande beauté qui avait épousé la cause nihiliste, en vogue dans ce pays où le tsar régnait en maître absolu.

Tout au long de ce séjour de cinq années, il s’initia à des expériences de spiritisme qui devait profondément le marquer. Il découvrit dans ces pratiques l’affirmation des principes métaphysiques, cette prolongation de la vie au-delà de la mort apparente et l’action possible sur nous d’êtres insaisissables à nos sens, soumis à d’autres conditions vitales et organiques. Pour Durand de Gros, la mort était bien « cette vie nouvelle qui ne doit pas être comme un état miraculeux d’immobile et monotone jouissance ou d’éternel tourment, mais une suite et un progrès de l’existence d’ici-bas soumise comme celle-ci à des lois intelligibles, où l’homme se retrouverait plus haut ou plus bas, selon ses forces ou les mérites acquis déjà sur  terre.

Durand de Gros, tout en poursuivant ses travaux en Amérique, ne perdait pas de vue ce qui se passait en France. Il avait appris notamment que deux jeunes chirurgiens, Azam et Broca, avaient utilisé son livre sur l’électro-dynamisme vital pour faire admettre l’hypnotisme à l’Académie de Médecine. Mais les adversaires du magnétisme animal ne tombèrent pas dans le panneau. L’hypnotisme de nouveau rejeté dans l’ombre, Durand de Gros décida de traverser l’océan pour porter une nouvelle fois la bonne parole devant les scientifiques français. Malgré le succès de ses conférences et de ses cours, Durand de Gros se heurta à une opposition systématique. Il se borna donc à exposer ses théories dans plusieurs ouvrages d’une grande qualité, tout en réglant ses comptes avec les savants les plus en vue tels que Claude Bernard, Charles Robin, Chevreul et Littré.

 SCIENTIFIQUE EN SABOTS

Vaincu mais toujours debout et les armes à la main, J.P. Durand de Gros décida en 1869 d’aller cacher sa révolte et son amertume dans sa propriété d’Arsac.

Là, ouvrier des champs parmi les ouvriers des champs, il râtelait ses foins tout en poursuivant ses recherches sur le magnétisme animal, l’anthropologie et la philologie. Au cours des longs hivers, il rédigeait de nombreux articles et ouvrages qu’il envoyait aux journaux et aux éditeurs. Se rappelant cette période, il écrivait sans ménagement en 1896 : « Tenu à l’écart comme un lépreux par les Claude Bernard et les Charles Robin durant leur règne, et en même temps par toute la clientèle à eux asservie, aujourd’hui que ses tyrans sont morts et que le monde respire… » L’été le voyait ensuite se consacrer aux travaux agricoles, faisant de sa propriété un microcosme communautaire et scientifique, continuant de promouvoir l’œuvre de son père.

A soixante ans, J.P. Durand de Gros n’avait rien oublié des idéaux de sa jeunesse. Fidèle à ses principes, il tenta d’organiser sa propriété en une sorte de petit laboratoire fouriériste, « la famille communale ». A côté de la vaste cuisine où les repas étaient pris en commun, il avait installé une bibliothèque, « vaste pièce nue, toute tapissée de livres, avec les poutres au plafond et de vieux journaux aux fenêtres là où manquaient les vitres. »

Veuf dès 1885, il préférait aussi loger dans la maison commune, où il aimait retrouver ses domestiques lors des repas ou des longues soirées hivernales.

Scientifique en sabots, publiant de nombreux articles pour défendre l’agriculture soumise à l’exode rural, J.P. Durand de Gros s’intéressa aussi à la politique. Elu conseiller municipal de Rodez en 1874, il fut ensuite battu aux élections sénatoriales de 1892, sous l’étiquette républicaine. Une fois de plus, il n’avait pas hésité à prendre le contre-pied des candidats traditionnels en refusant de faire campagne, restant ferme sur ses convictions, franc et honnête dans l’élaboration de son Programme.

J.P. Durand de Gros, qui fut l’un des grands savants de ce siècle, mourut le 17 novembre 1900 dans sa maison d’Arsac. Un concert de louanges, un peu tardif peut-être, suivit son décès. Pourtant, délaissé de son vivant, Durand de Gros allait aussi le demeurer après sa mort. « L’homme en Durand de Gros était digne de l’œuvre. Comme l’œuvre fut longtemps méconnue, l’homme fut ignoré. »

En quittant notre Monde pour rejoindre cet au-delà qu’il avait apprivoisé, il laissa cette réflexion, pleine de prémonition : « Notre monde civilisé entre dans une grande crise où seront en jeu les institutions les plus fondamentales de la société en même temps que les mœurs et les croyances sur lesquelles ces institutions reposent ».

POUR EN SAVOIR PLUS

 COSSON, Jean-Michel. La trilogie Durand de Gros. Apôtres de la science et martyrs de la liberté. Rodez, 1993, 288 p.

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