La guillotine à Montézic. Affaire Rouquarié. Cour d’assises de l’Aveyron. 5 février 1829

Entre pays coustoubi et Monts d’Aubrac, la Viadène s’est longtemps confinée dans son cloisonnement géographique, à l’écart des axes de circulation. Au XIXè siècle, les vignerons d’Entraygues, du Fel et d’Estaing n’avaient de cesse de s’apitoyer sur l’état lamentable des voies, freinant le transport du vin et des productions fruitières, acheminés vers les villes et villages de la Montagne et de l’Auvergne. Seuls, les chars à bœuf parvenaient à franchir les chemins impraticables et, encore, au prix de mille tourments. Les voituriers, quant à eux, s’étaient depuis longtemps résignés à contourner ce pays infranchissable.

Cette situation perdurait encore au début du XXè siècle quand le Conseil général de l’Aveyron mit tout son poids politique et économique dans la balance pour décider l’Etat à avaliser le projet de construction d’une ligne de chemin de fer d’Espalion à Aurillac, par Entraygues et Montsalvy. L’attentat de Sarajevo et le conflit mondial repoussèrent cette décision aux calendes grecques.

Cet isolement rejaillissait pour une bonne part sur des habitants, durs à la peine et habitués depuis belle lurette à régler leurs linges sales en famille. Rixes, échauffourées, règlements de compte et querelles de voisinage ne manquaient pas dans le pays sans que la justice, considérée comme un pis-aller, ne vienne y fourrer le bout de son nez. Fallait-il encore ne point dépasser les bornes, comme le fit Pierre Rouquarié, du village de Montézic, en cette fin d’année 1827.

Considérant le braconnage comme un droit imprescriptible de l’homme, Rouquarié collectionnait les procès-verbaux pour délit de chasse. Le bougre n’ayant pas la langue dans sa poche, la moutarde lui monta un beau jour au nez lorsqu’il croisa sur son chemin l’objet de ses infortunes cynégétiques, en la personne de Jean-Pierre Calmels, habitant du village voisin de Campouriez.

Le ton monta crescendo et Rouquarié promit à Calmels de lui faire subir le sort qu’il destinait, d’ordinaire, au gibier passant à portée de son fusil. Puis on en resta là.

Le 10 décembre 1827, vers les 4 heures du soir, Calmels achevait d’abreuver ses bestiaux lorsqu’il aperçut Rouquarié, armé d’un fusil, qui s’avançait vers lui, l’air menaçant. Comprenant, à sa mine, que la dispute se règlerait, cette fois, à coups de chevrotine, Calmels, désarmé et effrayé, prit les jambes à son cou, suivi par Rouquarié qui lui cria :

-C’est en vain que tu fuis, il te faut mourir !

En même temps, il tira sur lui une décharge de chevrotines. Calmels s’abattit sur le sol. Il tenta de se relever. Un second coup de feu lui éclata la tête, le laissant pour mort sur le chemin.

Rouquarié ne s’attarda pas et regagna son domicile, trop sûr de son impunité. Aucun témoin n’avait assisté à la scène criminelle mais ce n’était un secret pour personne que Rouquarié était l’assassin. Le meurtrier avait été vu, quelques heures auparavant, armé d’un fusil à deux coups et blotti derrière un rocher, attendant sa proie, qui ne pouvait pas être un gibier ordinaire. Après la double détonation, Rouquarié avait été aperçu, fuyant les lieux précipitamment.

C’est à son domicile que le propriétaire du fusil, soucieux de ne pas être compromis dans cette affaire, vint le trouver. Il lui adressa de violents reproches, lui promettant de ne pas laisser ce crime impunis. Rouquarié avait, cette fois, été trop loin. Il y avait mort d’homme. Enfournant quelques affaires dans sa musette, il prit la poudre d’escampette, mettant un peu de distance entre lui et le village, traumatisé par la mort de Calmels.

En son absence, les jurés de la Cour d’assises de l’Aveyron le condamnèrent à la peine de mort par contumace. Rouquarié, que sa fuite n’avait pas mené très loin de chez lui, n’apprécia que modérément la sanction capitale. Soupe au lait comme il l’était, il menaça ni plus ni moins le juge de paix de Saint-Amans-des-Cots de lui faire, à son tour, sauter le caisson si le ministère public persistait dans les poursuites à son encontre.

-Je vous tuerai, lui écrivait-il, je vous tuerai plutôt à la sortie de la messe. Il faudrait faire encore mille carnage, je serai toujours invincible.

Le juge de paix prit la menace au sérieux. Rouquarié avait déjà blessé d’un coup de fusil l’un des gendarmes lancé à sa poursuite. Hors de question, toutefois, de se plier aux menaces d’un assassin. Cependant, le juge n’eut guère de temps pour s’inquiéter de son sort. Un mois plus tard, la maréchaussée réussit à mettre le grappin sur l’assassin avant qu’il ne réussisse à décharger sur eux le contenu de ses deux pistolets.

Le 5 février 1829, la Cour d’assises de l’Aveyron, sous la présidence de M. Albarel, conseiller à la cour royale de Montpellier, requit contre Pierre Rouquarié, la peine capitale. Et pour faire bonne mesure, elle décida que l’exécution se déroulerait à Montézic, histoire de montrer aux gens de ce pays que la justice pouvait frapper partout, même dans les lieux les plus fermés du territoire national.

Ainsi fut fait ! Le 27 avril 1829, à 6 heures du matin, Rouquarié fut extrait de sa cellule et hissé dans une voiture, en compagnie de l’aumônier de la prison et d’un escadron de gendarmerie. Le cortège se mit en branle et ne parvint à Montézic qu’après un périple de dix-huit heures, à travers un pays aux chemins impraticables.

Rouquarié, qui sentait sa dernière heure arrivée, tenta une ultime dérobade. Entre Soulages et Huparlac, étendu sur le plancher de la charrette et entièrement couvert d’un manteau qui le cachait aux regards des gendarmes assis à côté de lui et censés le surveiller, il réussit à se délivrer de ses menottes. Une aubaine ! Discrètement, il se glissa à terre puis, par un violent effort, arracha de la main de son gardien le bout de la chaîne qu’on lui avait passée autour du corps. Rouquarié, sans demander son reste, s’élança dans un pré. Les gendarmes, passé l’effet de surprise, se lancèrent à sa poursuite. Le condamné grimpait déjà à une muraille quand l’un des pandores le saisit par un pied et le fit tomber à terre. Menotté et ligoté comme un saucisson, Rouquarié fut remis sans ménagement dans la charrette, qui parvint, vers midi, à Montézic.

L’échafaud avait été dressé sur la place du village, théâtre des jeux d’enfance du condamné, à quelques encablures de la maison paternelle. Une foule immense, descendue des confins de l’Aubrac, de la Viadène, remontant du Lot et de la Truyère, se pressait pour voir passer le funeste cortège.

Au premier rang, Rouquarié aperçut les membres de sa famille, puis les gens du village. Exhorté par l’ecclésiastique à faire preuve de courage, il se laissa entraîner par le bourreau et son aide, sans broncher. A l’instant du coup fatal, des cris de déchirement partirent des premiers rangs. L’assassin ne les entendit pas. Sa tête avait déjà basculé dans le panier. Rouquarié n’avait que 21 ans !

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