La médium ouvre la voie

Adrienne Bolland est âgée de vingt-quatre ans quand elle obtient son brevet de pilote sur le terrain du Crotoy, à l’école de René Caudron. Le moins que l’on puisse dire c’est que la jeune femme n’a pas froid aux yeux. Un mois à peine son brevet en poche, avec seulement quelques heures de vol, elle devient la première femme convoyeuse d’avions. Adrienne, c’est sûr, a le goût du risque, qui est la marque de fabrique des grands aventuriers et explorateurs. Aller toujours plus loin, toujours plus haut, pour soi-même et pour entrer dans l’Histoire.

Une Anglaise, en 1912, a traversé la Manche depuis l’Angleterre. Adrienne sera donc la première, le 25 août 1920, à réaliser la même performance mais en sens inverse. De quoi frapper les esprits et lui permettre d’être invitée dans les grands meetings aériens où elle côtoie le gratin de l’aviation. De ces rencontres, l’idée de partir en Argentine germe dans son esprit. Officiellement, pour assurer la promotion commerciale de la marque Caudron ; dans son esprit, le projet insensé d’être la première femme à franchir la cordillère des Andes, entre l’Argentine et le Chili, à des hauteurs qui avoisinent les 5000 mètres.

René Caudron se laisse convaincre. Il lui confie deux Caudron G.3 en pièces détachées et un mécanicien, René Duperrier. En janvier 1921, Adrienne Bolland débarque à Buenos Aires. La presse évoque dès son arrivée une possible tentative de traversée des Andes. Titillée par cette annonce, Adrienne ne recule pas devant une entreprise si périlleuse. Seul problème : ses deux avions ne sont pas capables de monter à des altitudes supérieures à 4000 mètres. La mort serait fatale. Il lui faut un appareil plus performant mais René Caudron refuse.

Hors de question pour Adrienne de reculer. Elle traversera la cordillère sur un G.3 et advienne que pourra !

Le 20 mars, elle arrive à Mendoza. Le temps de se préparer et d’accomplir quelques exhibitions sur la ville andine et l’aviatrice se retranche dans sa chambre d’hôtel.

« Je ne voulus plus voir personne. J’avais besoin de me concentrer. J’étais en train de faire ma valise. On frappe. »

Croyant avoir à faire à une employée, Adrienne ouvre et se trouve face à une femme qui lui dit avoir des parents français et vouloir à tout prix lui parler. La réaction est en accord parfait avec le tempérament de la jeune femme :

« Vous êtes encore une Française qui vient m’annoncer que je vais me casser la gueule ? Je suis au courant, figurez-vous. Ecoutez, j’allume une cigarette. Le temps que je la fume, dites-moi ce que vous avez à me dire. Après vous me fichez la paix. »

Cherchant un peu ses mots, la visiteuse s’exprime calmement pour lui avouer ce qu’elle a vu dans son rêve :

« Vous serez dans le fond d’une vallée qui tourne à droite. Il y aura un lac. Vous le reconnaîtrez. Sa forme et sa couleur sont celle d’une huître. Vous aurez envie de tourner à droite. Surtout pas. Les montagnes sont trop hautes. C’est à gauche. Vous verrez une montagne qui a la forme d’un dossier de chaise renversée. »

Et la femme s’en va, laissant Adrienne Bolland terminer de fumer sa cigarette.

Adrienne Bolland décolle le 1er avril. Son expédition, l’aviatrice la raconte à la revue Icare, bien des années plus tard :

« Je décolle, à peu près sûre de ne jamais arriver. Je monte, assez péniblement, et tout à coup, j’aperçois un lac. Machinalement, je me dis : “Il est magnifique. On dirait une huître…” Aussitôt, tout me revient. Je regarde, à gauche et à droite. A droite la vallée avait l’air de s’ouvrir. A gauche, tout paraissait bouclé, mais il y avait une montagne qui, en effet, pouvait évoquer vaguement un dossier de chaise renversée, à condition d’y mettre de la bonne volonté.
II fallait choisir. Je ne sais pas ce qui m’a poussée à faire confiance à la petite Française de Mendoza. J’ai tourné à gauche, en pensant : “Et dire que pour une ânerie pareille, je vais sans doute me casser la figure !” J’ai volé pendant un certain temps, sans rien dans la tête que la peur. De plus, j’avais horriblement froid. Mes moyens ne m’avaient pas permis de m’équiper convenablement et je m’étais couverte tant bien que mal avec un pyjama, une combinaison de coton et un matelas de vieux journaux. J’avais les doigts gelés, malgré le papier-beurre dont j’avais essayé de les envelopper. Pas d’inhalateur, bien sûr, et le col, avec sa statue du Christ, était à 4 080 mètres. Je devais passer vers 4 200. Je volais depuis près de trois heures. J’avais beau avoir pour neuf heures d’essence, je n’en menais pas large. Tout à coup, sur ma droite, j’aperçois des cours d’eau qui coulaient dans l’autre sens. Et tout de suite après, la plaine, avec une grande ville presque droit devant moi. Santiago ? Ce n’était pas certain, mais des villes de cette importance, il me semblait qu’il ne devait pas y en avoir des quantités au Chili.
Le temps de me poser la question et j’étais dessus. On m’avait dit que l’aérodrome était à 7 kilomètres de la ville. Je fais un virage à gauche et j’aperçois, sur le terrain, des points qui brillaient sous le soleil. En m’approchant, j’ai compris : on m’attendait avec la musique militaire…
« Avec mes doigts raides, j’ai eu l’impression que je n’arriverais jamais à me poser sans casse. Mais tout s’est passé on ne peut mieux. On avait étendu sur le terrain trois drapeaux : celui d’Argentine (d’où je venais), celui du Chili et le drapeau français. J’ai touché, hélice calée, au beau milieu de nos couleurs. Je ne l’avais pas fait exprès, mais tout le monde a crié au miracle : “Quelle précision !”.
« Moi, naturellement, j’ai fait la modeste. De toutes façons, j’avais trop froid pour discuter. Pour me sortir de l’avion, il avait fallu me tirer et les Chiliens avaient cassé ma ceinture, pourtant épaisse. Pour un peu, ils m’auraient cassée en deux, aussi, à force d’enthousiasme. Le général Contreras, qui commandait l’école de pilotage, avait préparé du champagne en mon honneur. Je n’aurais pas pu l’avaler :
“Je voudrais un peu de café… et une glace.”
Les aviateurs n’en ont généralement pas dans leur sac à main, mais ils m’ont apporté un miroir en pied.
J’avais une figure à faire peur : on ne me voyait plus les yeux tant j’étais gonflée et mon visage était barbouillé du sang que j’avais perdu à cause de l’altitude. Une infirmière m’a retiré des caillots partout dans le nez, dans les oreilles. Et puis j’étais tellement fatiguée, surtout par les nuits blanches d’angoisse d’avant le départ, que je me suis endormie sur place, malgré le café. C’est le général qui m’a couchée, aidé d’un capitaine. Ils m’ont déshabillée… Je ne l’ai su qu’après. »

L’exploit d’Adrienne Bolland est incroyable. Au Chili, en Argentine puis en France, elle est fêtée comme il se doit. Avec seulement deux années de pilotage, elle entre dans l’histoire de l’aviation. Que serait-il advenu d’elle si la médium ne lui avait pas montré la voie, qu’Adrienne suivit avec sagesse.

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